Du papier sous le sap1 #18 : Comics Frenzy (part II)

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso à tout va ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? Bienvenue dans notre calendrier de l’Avent Altérophile ! Pour cette 18ème étape, on vous propose le retour de la vengeance du fils maudit de notre petite sélection de BD anglo-saxonnes. Cette seconde partie est dépourvue de collants et de masque mais n’en est pas moins savoureuse.

On commence par un très intense retour dans le sud natal du talentueux Jason Aaaron. On doit déjà au monsieur un des plus beaux exemples de polar en images avec l’épatant et indispensable Scalped. Il officie désormais avec un savoir-faire certain sur de grosses séries Marvel comme Thor ou Original Sin. Il se garde néanmoins quelques espaces un peu moins balisés, notamment sur des séries chez Image. La délicatement titrée Southern Bastards est l’une d’entre elles et c’est assurément sa plus passionnante.
Earl Tubb, sexagénaire aux épaules carrées est de retour dans sa petite ville d’Alabama d’origine :  Craw County. Ce voyage aux origines n’a rien de plaisant puisqu’il a quitté l’endroit avec perte et fracas pour partir au Vietnam et mettre ainsi le plus de kilomètres possibles entre lui et un père des plus écrasants. Il revient contraint et forcé par le départ en maison de retraite de son oncle, qui l’oblige à venir récupérer ses affaires. Un simple repas au diner du coin au cours duquel il découvre l’influence locale étouffante d’Euless Boss, le coach de l’équipe de foot américain local, va enclencher une machine infernale qui ne laissera personne indemne.
La figure paternelle, c’est le zombie des années 2010. La majorité des lecteurs de comics a désormais plutôt la trentaine ou la quarantaine. Éditeurs et auteurs l’ont bien compris et multiplie donc les séries sur lesquelles les papa-lecteurs vont pouvoir se projeter. Sauf que Jason Aaron est un des meilleurs à ce jeu-là. Sa série est un chant d’amour et de haine pour le sud. La féroce tendresse qu’a l’auteur pour ses personnages, les sympathiques comme les pires enflures, donne une acuité remarquable à l’ensemble du casting. Le scénariste fait de plus une démonstration de force assez époustouflante en terme de rythme. Ce comics ne vous laissera pas souffler une page et vous emmènera sans prévenir là où vous vous y attendez le moins. Le dessin épuré mais très sensoriel et expressif de Jason Latour rend parfaitement l’atmosphère poisseuse et impitoyable de la série. La chose dont on est rapidement certain dans Southern Bastards, c’est que tout ça finira très très mal. Il ne reste donc plus qu’à découvrir pour qui et comment. Le chemin qui nous mènera jusqu’à la chute risque d’être bien  aussi éprouvant que jouissif.

Southern Bastards Jason Aaron, Jason Latour
Chez Urban Indies, 4 tomes de 112 pages, 14,51€
EAN : 9782365776264

Matt Kindt est un autre auteur dont on suit le travail depuis longtemps et avec une acuité toute particulière. Nous avons donc été ravis de voir que son imposant Du Sang sur les mains (sorti en 2013 aux États-Unis) était publié cette année chez Monsieur Toussaint Louverture.
Du sang sur les mains, sous-titré malicieusement De l’Art Subtil des Crimes Étranges est un duel, celui qui oppose l’inspecteur Gould, enquêteur surdoué,  à un mystérieux interlocuteur. Au fil de petites chroniques criminelles sans lien apparent dans lesquelles il découvre une étonnante galerie de malfrats atypiques, le lecteur voit progressivement apparaître la trame de quelque chose de bien plus vaste et bien plus sombre.
Hommage malicieux aux pulps policiers des années 60 (Dick Tracy en tête), le livre est surtout une très belle démonstration d’équilibre entre sophistication de l’histoire et peinture subtile de personnages à la moralité complexe. Adepte récurrent des orfèvreries narratives, Matt Kindt construit pièce par pièce un puzzle assez vertigineux sans pour autant perdre l’aspect profondément humain de ses personnages. L’attachement qu’on ressent pour toute cette drôle de bande participe beaucoup à l’impact émotionnel d’une intrigue remarquablement retorse dont l’ébouriffant final ne donne qu’une envie : celle de revenir au départ pour en scruter les rouages.

Du Sang sur les mains Matt kindt
Chez Monsieur Toussaint Louverture, 272 pages, 24,50€
ISBN : 109072425X

Avec Dept H, Matt Kindt (aidé de sa femme Sharlène aux couleurs) reste dans le registre policier. Il pimente ici la chose en plaçant son intrigue dans les grandes profondeurs d’un monde futuriste au bord du chaos.
Hari Hardy, savant et explorateur adoré des foules a été assassiné. Son cadavre gît sous 9000 mètres d’eau dans une base sous marine de sa propre conception. C’est sa propre fille, Mia, qui est chargée de résoudre le mystère. Sa tâche va d’abord être compliquée par ses liens avec les membres de l’équipe suspects. Pourtant ce n’est rien par rapport au cataclysme déclenché par le sabotage de la station qui enclenche un implacable compte à rebours et aux inquiétants signaux qui arrivent de la surface.
Matt Kindt mène de nouveau son intrigue avec un savoir-faire redoutable. La tension remarquable qu’il tisse au fil de la découverte des relations entre les différents personnages et son art d’embrouiller les pistes sont un vrai bonheur. Les petites touches scientifiques ou SF ajoutent encore du piment à ce suffocant compte à rebours exploitant parfaitement la claustrophobie de son fantastique décor.
Si, comme nous, vous tombez sous le charme du travail ambitieux et singulier de l’auteur, nous vous conseillons de guetter attentivement la future sortie de Mind MGMT (toujours chez l’épatant Monsieur Toussaint Louverture). Ce vertigineux thriller d’espionnage où chaque agent est doté de pouvoirs étranges est tout simplement ce que le monsieur a fait de mieux. Nous vous en parlerons d’ailleurs certainement à sa sortie.

Dept H Matt kindt et Sharlene kindt
Chez Futuropolis, 4 tomes de 168 pages, 22€
ISBN : 9782754822220

Nous concluons cette revue de troupe en retournant en Irak. Nous vous avons dit en épisode 14 tout le bien que nous pensons de Bagdad, la grande évasion de Saad Z. Hossain. Nous vous proposons de nouveau de vous rendre dans la capitale irakienne occupée par les troupes américaines avec l’atypique  Sheriff of Babylon.
Le scénariste Tom King est surtout connu des fans pour son travail sur Vision ou sur Batman Rebirth. Cet ex-agent de la CIA a cependant sorti son travail le plus personnel avec cette mini-série en douze épisodes dessinée par Mitch Gerads (avec des très puissantes couvertures de John Paul Leon). La série était au départ prévue en huit épisodes mais l’éditeur a eu la judicieuse idée de la prolonger un peu.  Au vu de la densité du récit il y avait en effet de quoi faire.
En 2003, le règne de Saddam Hussein est terminé mais pourtant les Américains ont bien du mal à apporter un sentiment d’apaisement et de sérénité à la population locale. Dans le calme relatif de la green zone, l’ex-flic Christopher Henry forme les hommes qui doivent constituer la future police irakienne. Quand un de ses apprentis flics est retrouvé mort au pied des deux fameux gigantesques sabres, il entame alors une enquête des plus périlleuses avec l’aide de Sofia, Irakienne de bonne famille élevée en Amérique, et de Nassir, ex-membre de la police de Saddam.
Inspiré de l’expérience de l’auteur en Irak, le récit est personnel, très personnel. Vous vous en doutez, on a affaire à un récit âpre où tout peut basculer à tout moment et où la tension est permanente. L’auteur rend d’ailleurs remarquablement bien compte de la complexité des réseaux qui s’affrontent pour le contrôle de ce monstrueux merdier. Là encore, la force du récit tient surtout à ses personnages et principalement à ce formidable trio central se débattant dans le chaos ambiant avec autant de verve que de désespoir. Le dessin efficace mais un peu raide de Mitch Gerads n’emballe peut être pas au premier abord mais se révèle finalement assez subtil dans ses compositions et dans son travail très puissant sur les visages.

Sheriff of Babylon Tom king et Mitch Gerads

Chez Urban, Vertigo Deluxe, 304 pages, 28€
EAN : 9791026815297

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