Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso à tout va ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? Bienvenue dans notre calendrier de l’Avent Altérophile ! Tous les jours, jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos neurones. Voici la treizième étape de notre périple bibliophile.
Peut-on rire de tout ? En tout cas peut-on rire de sa propre souffrance ? C’est ce que propose Michel Goussu dans cet excellent « Le poisson qui pourrit par le tête », un roman au titre digne des grandes heures du surréalisme. Ceux qui ont connu les barricades de la rue Gay-Lussac reconnaitront peut être aussi la pochette célèbre d’un album de Captain Beefheart.
Le narrateur (Michel Goussou ?) entre avec plein d’espoir et de fougue chez « Avenir Futur » comme chef de projet. Au fur et à mesure que les jours passent, il se heurte à la machine implacable qu’est l’immobilisme dans l’entreprise. Car à quoi peut bien servir une entreprise aujourd’hui ? Son but premier, est sans doute de vendre un objet ou un service dont personne n’a besoin. Pour que le truc soit viable, il faut donc ajouter des publicitaires et des commerciaux qui vont essayer de vous refourguer la chose ou de créer un nouveau besoin. On embauche aussi des larbins pour faire le sale boulot … enfin celui de base (créer l’objet / service), c’est à dire des ingénieurs, des techniciens et toute la plèbe adaptée. Il faut aussi un service de communication pour embellir le tout et une direction des ressources humaines pour manager ce joyeux bordel. Enfin, et j’oubliais le meilleur pour la fin, les inévitables chefs de service (sévices?) et autres directeurs pour consolider cette fragile pyramide.
Si on a un peu de bol, l’improbable ensemble fonctionne et chacun pourra toucher son salaire jusqu’à la fin de ses jours. Ce que Michel ignorait en entrant innocemment dans cette machinerie, ce sont les 2 lois fondamentales du fonctionnement de tout système. Tout d’abord l’homéostasie, qui vient de la biologie et qui permet à un être vivant (ici notre entreprise) de rester autour d’un point d’équilibre. C’est de cette manière par exemple que la température du corps humain reste aux alentours de 37°C sous peine de mourir. Le corolaire appliqué au monde merveilleux de l’entreprise est qu’il ne faut surtout pas essayer de changer quoi que ce soit. Sinon des éléments de régulation viendront très vite vous le rappeler : chefs, collègues, DRH, etc.
La deuxième loi est le deuxième principe de la thermodynamique, j’ai nommé l’entropie. Je ne vais pas entrer dans les détails de cette loi fondamentale de la physique, mais sachez qu’elle concerne le désordre. Dans notre cas, on pourrait penser que l’ensemble des collaborateurs d’une entreprise vivent dans le seul but d’améliorer et de faire progresser l’entreprise et bien il n’en est rien. Chaque élément a sa propre existence, indépendamment des uns et des autres. C’est souvent là que le bât blesse. En effet, on peut penser que plus un système est important, plus l’inertie sera grande et les choses bougeront petit à petit, ce qui est vrai, mais se rendre compte que son travail au sein de cette machine à broyer les âmes n’a aucun sens est souvent beaucoup plus dur à admettre. Il faut alors savoir mettre son ego de côté, protéger ses flancs et attendre son chèque de fin de mois, c’est la vie ! D’ailleurs, l’un des personnage, Samir, excelle dans ce rôle d’attentisme éclairé.
Notre protagoniste par sacrifice et désintéressement va lutter des mois durant contre ces 2 lois avant de faire, ce qu’on appelle désormais un Burn-Out. Car oui, il y a un harcèlement et à tous les niveaux car chacun essaye de maintenir sa pauvre petite condition, son homéostasie en rejetant toujours la faute sur l’autre (principe de l’entropie).
On peut aussi parler des Bullshit-Job, comme l’a théorisé David Graeber, à propos de tous ces boulots qui ne servent à rien sauf peut-être à maintenir l’ordre social. Car c’est ici le coeur du problème. On a une entreprise qui vend du vent et permet de nourrir toutes ses petites fourmis en créant des emplois sans aucun sens. La plupart d’entre nous l’acceptons. On ne mord pas la main qui nourrit même si l’envie nous démange.
Alors peut-on continuer à vivre ainsi ? L’actualité nous rattrape et semble indiquer qu’une autre voie est souhaitée. Mais est-ce possible ? ou assistons nous enfin aux prémices de l’effondrement final ?
Le livre de Michel Goussu, entre comédie et drame est un récit d’une justesse incroyable sur une immersion grandeur nature dans le monde du tertiaire. Il est aussi d’une richesse rare tant les thèmes abordés sont nombreux et pertinents. De plus La lecture est légère et fluide ce qui implique d’en ralentir le rythme afin de ne rien en manquer. En résumé, « Le poisson pourrit par la tête » est une réussite totale et soyons fous, soyons réaliste, nous avons ici, le premier grand roman Kafkaien du XXIème siècle.
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Le poisson pourrit par la tête – Michel Goussu – Edition Castor Astral – ISBN : 9791027800063
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Liens :
Le blog littéraire de Michel Goussu
Le site du Castor Astral
Excellent article, rendant parfaitement compte de ce livre dont j’ai regretté la diffusion trop restreinte .