Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on en trouve à tous les coins du net que l’on va se priver du plaisir légèrement coupable de vous concocter un petit classement des Bandes Dessinées nous ayant le plus plu en 2012. Comme on n’est pas bégueule, on y ajoute deux petites sélections d’actualité en forme de réconciliation.
L’année 2011 démarrait sur les attristantes querelles intestines de l’Association, utopie éditoriale ayant amplement contribué à pousser la Bande Dessinée hexagonale à explorer ses possibles. Concluons 2012 par une doublette réunissant une publication de l’Asso et une autre de l’Apocalypse. Cette dernière étant la nouvelle aventure éditoriale de JC Menu, soit celui qui aura aussi bien participé à l’essor de l’Association qu’à son explosion. Manière de dire qu’on n’a définitivement aucune envie de choisir un camp et que l’on continuera à guetter avec une égale excitation les sorties des deux structures. L’édition indépendante a bien besoin de toutes ses forces en ce moment.
Après des illustrations, des récits courts et même quelques disques, Susceptible est le premier album «au long court » de la québécoise d’origine Geneviève Castrée. C’est le premier livre publié chez l’Apocalypse.
La jeune Goglu vit avec Amère, sa mère. Tête d’œuf son père biologique est parti et Amère vit maintenant avec Amer. Goglu grandit et se construit entre une mère immature et dépressive, ne lésinant pas sur l’alcool et les drogues et un beau-père n’hésitant pas à lui faire porter tout le poids du mal-être d’Amère. Dans ce contexte peu propice à l’épanouissement, Goglu aborde l’adolescence bien seule.
Derrière ses pseudos et son graphisme faussement rond, Geneviève Castrée construit un récit puissant et d’une grande finesse. Comment se construit-on dans le manque ? Pourquoi et comment devient-on ce qu’on est ? Quelles sont les parts de nous même et des autres ? Un album riche et ultra-sensible construit en une série de chapitres courts et intenses, apportant une grande force à ce récit âpre et d’une douloureuse sensibilité. Un livre conçu sur des plaies encore vives, mais ne cédant jamais à une mélodramatisation excessive. Une auteure dont on suivra avec une attention toute particulière les prochaines sorties.
Chez l’Apocalypse, septembre 2012, format 19 x 26 cm, 80 pages, 19 €
Celui-là par contre, on l’aime depuis longtemps. L’enfance d’Alan vient prolonger le travail de mémoire qu’avait entamé Emmanuel Guibert avec ses albums La guerre d’Alan. Rappelons qu’il s’agit de la mise en images d’entretiens réalisés à partir des souvenirs d’Alan Ingram Cope, personnage haut en couleur, rencontré par l’auteur et avec lequel il a lié une profonde amitié.
Après trois tomes retranscrivant l’expérience de la seconde guerre mondiale de cet homme modeste et incroyable, et auquel Guibert a consacré 12 ans de travail, ce nouveau volume est consacré à son enfance dans l’Amérique de la Grande Crise. On retrouve avec un plaisir immense l’épatant travail graphique alliant travail sur des photos d’archives et de somptueux lavis à la puissance évocatrice remarquable.
Le livre est d’abord un portrait subtil d’une famille, d’un pays et de la vie quotidienne de ses habitants à la veille de la guerre. Mais c’est surtout un magnifique livre sur la mémoire. Que reste-t-il de notre enfance ? Les jeux, les petits riens ou les grands traumatismes ?
Chez l’Association, septembre 2012, format cm, 159 pages, 19 €
~~~ Top BD 2012 ~~~
Dix livres sortis en 2012, nous semblant au dessus du lot, sans autre ordre que l’alphabétique.
Cliquez sur les titres pour lire les chroniques détaillées.– 23 prostituées, Chester Brown
Polémique et impudique, le dernier livre de chester Brown est un pamphlet sidérant, à la fois profondément sincère et tellement à côté de la plaque que ça en devient fascinant.– Aâma, t2, Frederik Peeters
Le second volume de la saga de SF humaniste de Frederik Peeters confirme que c’est une des grandes séries du moment. Un récit mêlant questionnement intimiste et grand spectacle avec un bonheur inouï.– Au travail, Olivier Josso Hamel
« Pourquoi fait-on de la Bande Dessinée ? » Étonnant récit introspectif creusant les origines et la construction de la vocation et de l’œuvre d’un auteur. Une des BD totalement indispensable de 2012.– Bêtes de somme : mal de chiens, Evan Dorkin, Jill Thompson
Construire des récits d’horreur aussi flippants que touchants avec une bande de bêtes à poils et à plumes : Mission Impossible… et pourtant largement réussie par Evan Dorkin et Jill Thompson.– Big Questions, Andres Nilsen
Si nous ne devions en choisir qu’un en 2012, ce serait celui-là.– Gueule d’amour, de Delphine Priet-Mahéo et Aurélien Ducoudray
Faux ouvrage historique mais vrai cri de rage dévastateur et graphiquement somptueux.– Kililana Song T1, Benjamin Flao
Autre claque graphique, un récit de corps et de lumière nous emmenant pour un tour d’Afrique loin des guides touristiques.– Les Faux Visages, David B. et Tanquerelle
La sidérante épopée du gang des postiches racontée par deux auteurs au top de leur forme.– Renégats, Baladi
Si nous ne devions en choisir que deux en 2012, ce serait l’autre et celui-là.– Saison Brune, Philippe Squarzoni
Philippe Squarzoni prend le temps de poser avec une aveuglante clarté l’ampleur et les vrais enjeux de la question écologique actuelle.