BD en avril : fables, doudous et écologie

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Aventures et jubilation du verbe, étrangeté de l’enfance, autobiographie militante… la sélection BD du mois d’avril est pour le moins éclectique. A défaut de cohérence, nous vous proposons au moins trois possibilités de s’élever quelques instants au delà de l’atmosphère délétère de l’entre deux tours.

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Vu son succès, ce n’est pas vraiment une série ayant besoin d’une chronique dans ces colonnes. Nous avons tout de même tenu à saluer la sortie du dixième et dernier tome de De cape et de crocs. Depuis 1995, Alain Ayroles et Jean Luc Masbou nous narrent avec verve les flamboyantes aventures de leur épatante bande de personnages hauts en couleur. Si vous avez la chance de ne pas encore connaître ces BD, précipitez-vous sans hésiter chez votre libraire ou dans votre bibliothèque. Les deux auteurs y mélangent avec jubilation les ficelles et les figures du roman d’aventure, des fables et du théâtre. On y suit Don Lope et Armand (un loup et un renard) deux preux bretteurs aussi à l’aise avec les figures rhétoriques qu’avec leur épée. Au cours de leurs péripéties mouvementées, on croisera moultes figures humaines, animales (ou extraterrestres), toutes aussi flamboyantes. D’Eusèbe, le mystérieux lapin à Kader, le janissaire en quête de sa fille en passant par la volcanique Hermine, la tourmentée Sélène et une pléthore de vilains en tout genre, on retrouve toutes les figures classiques, tout en jouant malicieusement avec elles. Parce que la grande jubilation de ces livres, au delà de l’ivresse de rebondissements feuilletonesques riches en duels et cavalcades, c’est surtout l’humour foisonnant. Les auteurs truffent leurs dialogues et leurs dessins de références, clins d’œil, calembours, contre pied. On aura ainsi droit au catalogue complet des figures de rhétoriques, à de nombreuses répliques de grands classiques de la littérature, mais également à la présence de Corto Maltese (ou d’Albator!) dans des coins de cases. C’est d’ailleurs un vrai plaisir de les relire à chaque fois tant l’on redécouvre de nouvelles perles à chaque fois.
Au fil des dix tomes, la formule a bien sûr connu des hauts et des bas et les auteurs ont eu quelques peines à maintenir sur la longueur le niveau des quatre premiers mais même dans les albums les moins réussis, il reste toujours quelques passages suffisamment savoureux pour vous consoler.
Ce dernier opus a la rude tâche de boucler la boucle et on peut dire qu’Ayroles et Masbou ont soigné leur sortie. Toutes les intrigues et sous intrigues, trouveront donc une conclusion. A l’exception notable de l’explication de la présence de l’adorable Eusèbe dans une effroyable galère qui fera l’objet d’un futur diptyque. Le bouquet final est particulièrement savoureux, avec en point d’orgue le formidable duel fratricide, tant de fois reporté, entre Don Lope et Kader.
Très belle révérence donc pour une série qui gardera une petite place particulière dans notre bibliothèque personnelle.

Chez Delcourt, avril 2012, format 31,5X 23 cm, 49 pages, 13,95€

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On saute sans vergogne des félins au singe avec les très étranges Sock Monkey de Tony Millionnaire. Rackham nous propose en effet le second volume des compilations des extravagantes péripéties imaginées par ce cartooniste bostonien. L’univers développé par cet auteur ne ressemble à rien d’autre. Dans de courts récits en noir et blanc aux graphismes époustouflants, on suit les déambulations oniriques de deux «doudous» : un singe fabriqué avec des chaussettes appelé Oncle Gabby et Monsieur Corbeau, un oiseau en peluche avec des boutons de culottes pour yeux.
Si dans Maakies, sa série de strips (gags en une ligne de cases), l’auteur développe un humour noir, scabreux et irrévérencieux, dans Sock Monkey il puise dans ses souvenirs d’enfance et notamment dans ses errances dans l’immense demeure victorienne de ses grands-parents, pour bâtir un univers poétique et surréaliste ne ressemblant à nul autre. Pourtant, si les rêveries à la Winsor Mc Kay (l’auteur de Little Némo) ne sont pas loin, la noirceur de l’auteur refait parfois surface de façon abrupte et l’on passe parfois de l’un à l’autre au détour d’une page sans avertissement.
Une lecture déconcertante donc, qui distille sans distinction émerveillement et malaise. Le tout est servi par des dessins proprement renversants. La composition maniaque et précise de chaque objet et décor est très impressionnante. Il y a aussi une façon très particulière et déstabilisante de pousser les perspectives du point de vue de ces petites créatures, ce qui donne à la fois le sentiment de retrouver un certain état d’enfance où tout est à la fois bizarre et fascinant.
Une BD très singulière où l’on plonge sans être totalement sûr d’échapper à la noyade, mais qui vous offre un voyage à nul autre pareil.

Chez Rackham, mars 2012, format 20 X 28, 88 pages, 17 €

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On termine par un impressionnant mais néanmoins totalement indispensable pavé. Le travail de Philippe Squarzoni a beau ne rien avoir en commun avec Tony millionnaire, il se distingue également par une démarche rare et originale. Depuis Garduno, en temps de paix/ Zapata, en temps de guerre, son premier diptyque de 2002/2003, le monsieur mêle avec bonheur dans ses livres : démarche militante et éléments purement autobiographiques. Cela donne des récits denses mais fluides où l’on passe d’habiles mises en image de ses analyses à des temps d’introspections sur sa vie ou sur son travail.
Son dernier livre est né au moment où il terminait son précédent DOL (tromperie, duperie en droit civil français). Il y dresse un bilan politique accablant des gouvernement Chirac. Au moment de conclure, il se pose la question de la partie écologique de cet état des lieux. Il s’aperçoit alors qu’il ne maîtrise pas vraiment le sujet et décide d’y revenir quand il aura une vision plus claire de la chose. Il lui faudra 6 ans de travail pour s’autoriser à se lancer dans ce qui finira par constituer un deuxième livre de 480 pages.
Cet ouvrage sort donc aujourd’hui sous le titre Saison Brune. Si le titre pourrait faire penser à un travail sur la montée d’un néo-fascisme européen, il s’agit bien là d’écologie et plus précisément sur le réchauffement climatique.
La saison du titre est en fait une expression du Montana, désignant un moment de l’année entre hiver et printemps. C’est donc plutôt une métaphore de l’indécision dans laquelle se trouve actuellement l’humanité par rapport à son futur.
Le livre est découpé en trois parties. La première traite de l’aspect scientifique du réchauffement : le fonctionnement du climat, la description de l’effet de serre, l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère durant l’époque moderne.
La seconde partie met en parallèle les conséquences futures du réchauffement climatique et les questionnements de Squarzoni et de sa compagne sur leur propre comportement et l’impact et les limites des comportements individuels.
Le livre se conclut sur les différents scénarios énergétiques qui s’offrent à nos sociétés et surtout sur les choix politiques, les modèles de société, qu’ils impliquent. Squarzoni se demande surtout si notre société est encore capable de réagir et d’avoir la volonté de saisir une opportunité se réduisant de jour en jour ?
Autant vous prévenir tout de suite, le monsieur n’est pas vraiment optimiste.
Pourtant la lecture de ce livre est loin d’être accablante. La profusion des informations et la clarté de leur présentation est remarquable. Les enjeux sont clairement exposés, sans fard ni dramatisation. Cela demande parfois que l’on s’attarde sur certaines pages pour saisir toutes les données exposées mais l’ensemble est judicieusement aéré par de malicieux éléments personnels ou cinématographiques. Ensuite parce que le ton très personnel de l’ouvrage, le rend très touchant. Les doutes et les interrogations de Squarzoni sont clairement mis en scène. L’auteur ne prétend pas faire un travail de journalisme. Il compile et synthétise certes une quantité de données impressionnantes mais se met en scène avec sa culture, son petit quotidien et cette porte ouverte vers son intimité ne fait que renforcer son propos.

Chez Delcourt, mars 2012, format 23X 16,5 cm, 480 pages, 29,95€

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Pour se faire pardonner les quelques jours de retard de cette chronique, nous vous proposons deux petites informations en bonus :
– D’abord, Philippe Squarzoni sera l’invité de l’Observatoire des Sciences de l’Université de Rennes 1 (OSUR), le jeudi 3 mai à 18h pour une rencontre avec les étudiants chercheurs autour de son livre évoqué juste au-dessus. Vous le retrouverez dans la salle de conférences de l’Osur (rez-de-chaussée du bât 14B, campus de Beaulieu).
– Ensuite l’excellent webzine Du9, vous propose comme chaque année, une passionnante et éclairante analyse critique des chiffres de vente 2011 de la Bande Dessinée en France. Vu la taille imposante du dossier (75 pages !), on vous conseille de télécharger la version pdf pour un meilleur confort de lecture.

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