BD en juillet : quand refroidissent les canons

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Les quelques jours ensoleillés qui nous sont accordés, nous encouragent à prolonger l’humeur généreuse qui présidait sur la sélection précédente. Deux très belles œuvres d’abord, toutes les deux situées juste après la fin de la première guerre mondiale, mais sachant s’affranchir de leur statut de BD dite «historique» pour le dépasser amplement, suivies d’un florilège de petits formats à glisser ostensiblement dans le sac de plage ou subrepticement sous le clavier de l’ordinateur.

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L’histoire de la BD franco belge est parsemée d’arlésiennes fameuses. Des BD comme Sasmira de Vicomte dont après quatorze années d’attente, on a vu sortir un second tome sans plus aucune réserve d’enthousiasme. Des BD dont on aura très probablement jamais la suite comme Le dernier Loup d’Oz de Lidwine. Avec ses neuf ans d’attente, le second et dernier volet de La grippe coloniale peut définitivement intégrer cette prestigieuse et embarrassante catégorie. La brouille entre les deux auteurs (le scénariste Appolo et le dessinateur Serge Huo-Chao-Si), consécutive au «blocage» de ce second pour mettre l’histoire en images, a bien failli nous en priver mais finalement la conclusion de cet excellent récit est là. Bonne surprise, cette fin se montre largement à la hauteur du premier tome.
Nous sommes en mars 1919 et 1600 poilus créoles regagnent la Réunion après quatre années de boucheries insensées. On suit plus particulièrement un quatuor haut en couleurs : Evariste le narrateur dont la guerre a acéré le regard, Grondin dont les frasques dissimulent mal les cicatrices, Voltaire le tirailleur sénégalais grande gueule et revendicateur, et enfin, Camille l’aristocrate à la gueule cassée. Ces bonshommes n’ont pas ramené avec eux que des mauvais souvenirs, ils apportent aussi dans l’île les germes de la terrible grippe espagnole faisant des ravages en Europe.
Sur cette double dramaturgie : le retour à la vie civile/la menace de l’épidémie, les auteurs construisent un étonnant récit, mêlant avec bonheur : humour vachard, drame puissant et description fine de la société coloniale. Ainsi tout en menant une intrigue resserrée et tendue, ils décrivent à merveille les tensions et la violence des rapports sociaux plombant la multiplicité de communautés de l’île.
Deux albums à découvrir d’urgence donc surtout que les dessins d’Huo-Chao-Si, entre réalisme pointilleux et expressivité presque cartoonesque, contribuent grandement à la singularité de l’ouvrage.

Chez Vent d’Ouest, octobre 2003 et juin 2012, format 24×32 cm, 56 pages, €

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Gueule d’amour de Delphine Priet-Mahéo et Aurélien Ducoudray est aussi l’histoire du retour à la vie «civile» d’un homme au visage ravagé lors de la guerre de 14-18. Ce qui frappe d’abord dans l’ouvrage, c’est l’extraordinaire dessin au crayon gris de l’illustratrice rennaise. Après des travaux dans la vidéo et l’animation, c’est sa première BD et c’est peu de dire que cet essai est prometteur. Son trait sombre, violent, tortueux et riche en matière est une vraie révélation. Quelque part entre les illustrateurs allemands et Topor, elle arrive à rendre la monstruosité et l’humanité de chaque personnage avec une puissance peu commune. On se promet de la suivre de près.
Mais l’ouvrage fait aussi preuve d’une très belle qualité d’écriture. D’abord parce que si l’on croisera d’autres gueules cassées au cours du récit, c’est d’abord l’histoire du personnage principal et de sa colère inextinguible. Refusant les honneurs, la pitié ou les pâles compensations qu’on lui offre, il avance sans trop savoir vers où mais sans jamais être freiné par les réactions suscitées par sa difformité. Le ton est donc rageur et un humour noir et irrévérencieux plane sur l’ensemble de l’ouvrage. Sa rencontre avec Sembene un colosse noir amène doucement le récit vers d’autres territoires. Rendu tout aussi monstrueux que son compagnon aux yeux de ses contemporains par sa couleur de peau et ses dents aiguisées, cet ogre débonnaire va devenir une sorte de double de notre héros qui l’amènera dans de biens sombres embrouilles mais aussi vers un début d’apaisement. On notera aussi la très belle place faite aux personnages féminins dans l’ouvrage. Infirmières, épouses, putes… chacune des rencontres, par des réactions souvent inattendues ou surprenantes achèvent de tirer le voyage de notre anonyme héros vers des rivages atypiques et bouleversants.
La postface essayant de replacer le récit dans un contexte historique, nous semble d’ailleurs ne pas vraiment rendre justice à cette œuvre dont le propos, la liberté et la force nous paraissent largement dépasser les limites de l’exercice documentaire.

Chez la boîte à bulles, mai 2012, format 19,5×27,2cm, 112 pages, 19 €

Nous concluons avec de nouveau quelques propositions de lecture de Bandes Dessinés, modestes en nombre de pages comme en taille mais dont le contenu est suffisamment riche pour qu’elles soient savourées avec délectation entre deux baignades ou passages du boss.

dimanche

On commence en douceur avec un vagabondage graphique de toute beauté dans un dimanche en banlieue résidentielle tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Dans DIMANCHE et Quatre Guides Nature, Jon McNaught décrit avec une grande acuité la profonde mélancolie de ces moments si particuliers de la semaine. Sans parole mais avec bruitages, deux jeunes montent sur un toit et observent le voisinage. Rien de bien spectaculaire n’arrivera, un avion passe, un chien aboie… les grands drames n’auront lieu que sur les différents écrans que nous croiserons. Un graphisme précieux et minutieux pour un récit tout en subtilité dont l’humour mordant se fait particulièrement sentir dans les quatre sarcastiques guides nature concluant le livre.

Chez Nobrow Press, mars 2012, format 11,5×17,5cm, 32 pages, 12,50 €

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Peter Kuper est un auteur américain utilisant souvent la technique de la carte à gratter pour construire des récits muets. Les deux tomes de Point de vues regroupent les strips en 5 cases qu’il a créés pour le New York times. Le principe en est immuable. Quatre cases sont regroupées sur une page et au verso une cinquième apporte un éclairage particulier sur celles du recto. Dans une première partie, on découvre ainsi d’abord qui est l’observateur des cases puis ce sera un point de vue extérieur révélateur qui apparaitra au dos. Un exercice de style ludique, souvent brillant et impertinent, mené avec un graphisme très impressionnant.

Chez ça et là, octobre 2005 et novembre 2006, format 17,5×17,5 cm, 128 pages, 16 €

momentsclésdelassociation

Plus référencé, Moment clés de l’Association, ne parlera surtout qu’aux connaisseurs de cette merveilleuse et douloureuse aventure éditoriale qui a tout simplement révolutionné l’édition BD française. Pourtant l’adage «Il faut tout lire de François Ayroles» se confirme une fois de plus. En une série de 50 dessins légendés, il nous narre avec un regard précis et acide les étapes importantes de la grande épopée de l’Association. Pour peu qu’on connaisse un minimum les publications de la maisons c’est un vrai régal. Dans le lot d’ouvrages sortis récemment sur le sujet, on est clairement un cran au dessus de la masse.

Chez l’Association, avril 2012, format 14×19 cm, 56 pages, 9 €

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On termine avec le plus meugnon du lot. Une BD en forme de preuve d’amour. Adrian Tomine est un auteur américain connu pour des œuvres à l’humour mélancolique. Dans Scènes d’un mariage imminent, il laisse cependant de côté son regard aiguisé et acide, pour se consacrer ici, suite à la demande de sa fiancée, dans le récit enlevé et réjouissant des préparatifs de leur mariage. En 54 pages, Tomine décrit savoureusement les péripéties familiales et pratiques, inhérentes à l’organisation de ce genre d’événement. Concrètement, il s’agit surtout de la reconstitution malicieuse des infernales discussions et interminables négociations entre les futurs époux. Le tout est très plaisant et, selon votre inclination vous trouverez là-dedans de quoi vous décider à vous marier… ou à ne jamais franchir le pas.

Chez Delcourt, mai 2012, format 13,5x15cm, pages, 19 €

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