[Noir polar] Les Mares Noires : du court, du sombre, de l’implacable

Nord du Québec, sur les rives du Saint Laurent : entre grands espaces et centrale nucléaire, un drame se joue et fait exploser une cellule familiale. Les Mares Noires est un court roman écrit par le québécois Jonathan Gaudet. Un uppercut sombre et radioactif où rien ne finit bien… 

Dès les premières lignes, le décor, peu engageant, est planté : « Un mur de conifères rongés par les larves empêche de voir la longue plaine alluviale appelée les Mares Noires et qui s’étend jusqu’aux rives du grand fleuve. Les toits du village sont invisibles, loin derrière la station-service. Au-delà de la rivière et derrière le boisé noirci, l’autoroute scinde le territoire en deux, cicatrice de béton tracée sur la terre ancestrale où passe en grondant le trafic portuaire. Les animaux désertent la nudité de l’endroit pour la profondeur obscure des forêts. »

C’est là pourtant que vit la famille du roman. Emilie, le bébé larmoyant. Catherine, sa mère, vaguement dépressive et qui déteste cette maison, perdue loin de tout. David, le père, qui travaille à la centrale nucléaire toute proche. Une explosion, un incendie dans ce temple de l’atome et tout part en vrille. Le père fait partie des six victimes disparues, « carbonisées sous les décombres ».

La mère se retrouve seule avec son bébé. Qui devient petite fille puis ado rebelle et mutique. Une relation toxique s’installe, racontée à petites touches dans les premiers chapitres.

Si ce roman est noir, il est aussi contemplatif. Les descriptions un peu glauques des paysages y sont nombreuses et le rythme si haletant de l’explosion laisse place à une langueur de l’après-drame. Les tensions s’installent, la mère et la fille se jaugent, chacune enfermée dans son histoire, son deuil et ses ressentiments. Treize ans après le drame, les deux femmes se regardent en chiens de faïence. Ou en coyotes de faïence ! Animal emblématique d’Amérique du Nord, ce canidé apparaît au détour de plusieurs chapitres de ce court roman, rythmant la vie des personnages et ajoutant une symbolique assez forte à la place qu’y occupe la nature. Ce coyote est un solitaire, il a abandonné sa horde et survit comme il peut : « Le coyote se presse à la recherche d’âmes perdues. Il appartient à une dimension qui n’est pas tout à fait la nôtre, sans pour autant nous être complètement étrangère. Psychopompe, il louvoie entre ce monde et le suivant. Il profite des ombres pour se démultiplier et abuser ses proies. Il est désincarné et sans substance, puis se matérialise dans les endroits les plus inattendus. Son hurlement éclate à droite, puis à gauche, et soudain il est partout. »

Nouveau chapitre et c’est au tour du père, David, de prendre la parole et de raconter sa dernière journée à la centrale : « La piscine de stockage des combustibles irradiés fait penser à un bassin de compétition olympique. Même forme, mêmes dimensions. Il n’y manque plus que les nageurs, les podiums et les drapeaux. Posé au fond comme des sarcophages engloutis, les caissons métalliques remplis de grappes radioactives tremblotent sous la lueur des néons. Aurores boréales mises en bocal, les reflets de l’eau dansent sous la voûte. » Une piscine qui aura son importance car c’est le titre choisi pour la parution initiale du roman au Canada en 2016…

Impossible de raconter la suite sans dénaturer une éventuelle lecture de votre part ! Tout ce qu’on peut dire c’est que l’auteur amène subtilement un climat oppressant et délétère, que même une surprise de taille n’apaisera en rien.

Si les histoires d’amour finissent mal, on pourrait dire que l’histoire de cette famille finit encore plus mal. Qu’aucun espoir ne vient éclairer les Mares-Noires. Et que cette tragédie canadienne n’a d’égal que les tragédies grecques anciennes…

 

Les Mares Noires / Jonathan Gaudet
Editions Belfond (collection Noir)
Parution : octobre 2022
174 pages
20 €
EAN: 978-2-7144-9747-5
En savoir plus sur le site de l’éditeur

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