BD en juin : abondance estivale

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D’insistantes rumeurs continuant à prétendre que nous serions en été, la sélection du mois ressort avec circonspection ses atours estivaux. Au programme : un gros coup de cœur orange et une généreuse mais compacte farandole de conseils de lecture, pour ceux qui ont la chance de partir, comme pour ceux qui resteront au boulot.

Autravail

On commence par un livre qui nous a rien de moins que bouleversé.
Olivier Josso Hamel est loin d’être un débutant. Si en 20 ans de carrière, il n’a produit qu’un unique album (Douce Confusion chez Ego comme X), il a aussi créé de nombreux récits courts pour des revues et il avait surtout entamé de nombreux projets qu’il n’arrivait pas jusqu’ici à lier. Le premier tome de Au travail (sur cinq prévu), est enfin, le début de la synthèse de ces tentatives.
Le livre pose une question simple mais passionnante : « Pourquoi fait-on de la Bande Dessinée ? ». Josso s’embarque donc dans un voyage en mémoire d’une sensibilité extrême pour retracer ses racines artistiques. Il revisite avec finesse ses dessins d’enfance et surtout l’impact décisif de ses premières lectures pour essayer de comprendre son propre parcours. Ayant perdu son père très jeune, la lecture des BD va trouver d’étranges et pénétrants échos chez l’enfant peinant à exprimer la perte immense qui le frappe. L’auteur construit un savant kaléidoscope entre retour autobiographique et images fortes des Tintin, Astérix, Lucky Luke… l’ayant marquées. Il s’attarde particulièrement sur un album de Spirou et Fantasio (La mauvaise tête par Franquin) dont le jeu de masque flottant au bord de l ‘explosion va particulièrement le troubler.
L’ouvrage est d’une force peu commune. Pas de nostalgie mièvre ici, mais une construction incroyablement riche et puissante. L’auteur adulte revisite sa propre généalogie créatrice avec des noirs charbonneux et des blancs éclatants au typex sur le papier orange que lui ramenait sa bonne fée de tante de son cabinet de radiologie pour qu’il puisse y gribouiller. Ce dessin à la fois précis et virevoltant est si riche en matières qu’on a presque l’impression d’en pouvoir sentir les reliefs, les coulures et les aspérités.
Un livre qui se place d’ores et déjà dans les grands chocs de 2012 et qui devrait sans aucun doute marquer un palier dans l’histoire de la Bande Dessinée autobiographique.

On vous invite chaudement à lire l’interview de l’auteur chez les merveilleux gens de Du9.

Chez l’Association, février 2012, format 29×22 cm, 100 pages, 21€

La petite liste de conseils estivaux suivants, explosant les quotas habituels de la chronique, nous passons en mode expéditif pour faire tenir le tout dans le cadre.

les plumes

D’abord, un conseil simple : lisez tout de François Ayroles.
Ensuite vous pouvez vous jeter sur Les plumes. Dans ces deux délicieux tomes où la scénariste Anne Baraou croque avec tendresse, vivacité et férocité le portrait d’un quatuor d’écrivains râleurs, aigris, jaloux, piliers de bar… et terriblement touchant. Superbement servis par les couleurs subtiles d’Isabelle Merlet, le trait impitoyable d’Ayroles donne une acidité et une vivacité supplémentaire à un récit hautement savoureux.
Jetez un œil aux savoureux faux commentaires de quatrième de couverture. Si ça vous faire rire, c’est dans la poche.

Chez Dargaud, septembre 2010 et mai 2012, format 29,5×23 cm, 96 pages, 18€

billybat

Après le succès de Pluto, son excellente revisitation des aventures d’Astro le petit robot de Tezuka, on attendait de pied ferme le nouvel ouvrage du surdoué Naoki Urasawa. Ça s’appelle Billy Bat. Il y a 3 tomes parus pour l’instant, et avec son co-scénariste Takashi Nagasaki, on peut dire qu’ils n’y vont pas avec le dos de la main morte. A partir de l’histoire d’un dessinateur de comics d’origine japonaise, découvrant qu’il aurait inconsciemment plagié son personnage fétiche (une chauve souris détective appelée donc Billy Bat) sur un des ses compatriotes, on nous embarque dans une incroyable conspiration où l’influence du petit personnage de fiction ne semble pas avoir de limites. Délicieuse mise en abyme basée sur les BD de Billly Bat, coq à l’âne stupéfiant brassant les époques et les mythes dans un vertigineux fourre tout… on en prend plein les mirettes. Pas forcément toujours très digeste mais hautement jubilatoire jusque là.

Chez Pika, mars à mai 2012, format 29,5×23 cm, 216 pages, 8€ chaque

culdesac

On profite du côté liste de courses pour placer un petit retour en arrière qui nous tient à cœur. Les deux tomes de Cul de sac de Richard Thompson sont une collection de strips (BD courtes en une ou deux bandes de cases) totalement merveilleuse. Le gars réussit l’exploit de se placer mine de rien dans la droite lignée de deux autres chefs d’œuvre de la description de l’enfance dans les banlieues américaines : les Snoopy de Mark Schultz et les Calvins & Hobbes de Bill Watterson. Les aventures de la famille Otterloop et de leurs deux monstrueux enfants sont des petits bijoux de précision humoristique servis par des dessins irrésistibles. Alice avec toute sa bande de bambins barjots de la classe de maternelle de Miss Bliss, et Petey l’ado paranoïaque vous embarquent dans leurs pérégrinations à la fois surréalistes et terriblement ordinaires. A découvrir absolument.

Chez Delcourt, 2 tomes, février et décembre 2011, format 21,7×21,7 cm, 128 pages, 13,95€

daytripper

Moins drôle, le très sensible Daytripper : au jour le jour, est la création de deux jumeaux d’origine brésilienne : Fabio Moon et Gabriel Bá. Les frangins ont travaillé dans divers comics et se retrouvent ici pour un livre à quatre mains, en dix chapitres explorant sur un principe qu’il serait criminel de vous dévoiler, la vie de Bras de Oliva Domingos, chroniqueur de la rubrique nécrologie d’un journal vivant dans l’ombre de son écrivain de père.
Un livre qui est une vraie expérience de lecture, hautement personnelle et qui ne devrait laisser personne indifférent. A noter que le graphisme délicat des deux frères réhaussé par les splendides aquarelles de l’immense coloriste Dave Stewart est un pur délice visuel.

Chez Urban comics, avril 2012, format 28×18,5 cm, 256 pages, 22,50€

bêtesdesomme

On termine, une fois n’est pas coutume, par une BD animalière. Bêtes de somme : mal de chiens est le recueil des étonnantes aventures d’une bande de chiens (et un chat) confrontée à d’étranges manifestations surnaturelles dans leur voisinage. Evan Dorkin réussit l’exploit de mêler horreur, humour mais aussi mélancolie et une certaine gravité, dans ces improbables péripéties où nos apprentis enquêteurs de l’inconnu à quatre pattes vont affronter zombis, sorcières et autres fantômes. Les superbes dessins aquarellés de la formidable Jill Thompson achèvent de rendre cet étrange ouvrage totalement indispensable.

Chez Delcourt, juin 2012, format 28,5×20,3 cm, 170 pages, 20 €

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