Le festival international de Bande Dessinée d’Angoulême se déroulant ce week-end, je pensais vous faire un petit survol de la sélection du festival des albums de 2011. Face à la bonne centaine d’albums sélectionnés sur toutes les catégories, j’y ai renoncé. Avec un tel nombre, c’est difficile d’en dégager quelque chose. On sent vraiment qu’il s’agissait surtout de fournir à un maximum de monde la possibilité de coller en couverture un petit macaron «sélectionné à Angoulême». Je passe donc.
On commence avec la seule vraie nouveauté de ce mois. Les lecteurs attentifs des ouvrages de David B auront surement déjà remarqué une certaine appétence du monsieur pour les personnages de brigands. Rien de bien surprenant à ce qu’il s’attaque aujourd’hui à l’une des plus fameuses associations de criminels de la fin du XXème siècle. Non… pas l’OMC, mais le gang des postiches.
Les faux visages est donc le récit plus ou moins romancé des méfaits de cette fameuse bande de casseurs. Entre 1981 et 1986, nos huit lascars braqueront pas moins de 27 banques (et même 3 dans la même journée) avec une méthode simple et efficace. Ils rentraient dans les banques grimés en bourgeois cossus et barbus et se séparaient en deux groupes. Le premier surveillait les otages pendant que le second ouvrait les coffres. B. insiste beaucoup sur le côté atypique de la bande. Ces gars issus de Belleville et Montreuil, n’avaient en effet que très peu de lien avec le milieu. La galerie de personnages est particulièrement savoureuse : le cerveau, le cogneur, le mystique passionné de flingues, le beau gosse, le monte-en-l’air, le taiseux, le cinglé et enfin le gitan passionné par l’histoire des bandits de Paris. Même si la violence des actes n’est jamais édulcorée, on comprend l’élan de sympathie qu’avait éprouvé la France pour ces «Robins des bois» annonçant frapper les bourgeois là où ça fait mal et débarquant dans les banques en criant «Contrôle fiscal !». Le portrait de groupe est très réussi. D’autant plus que sont aussi fort bien intégrés dans le récit, les policiers. Ceux qui font tout pour arrêter d’être ridicules, comme les pourris qui voient là l’occasion de se remplir les poches.
Un récit dense, tendu et ultra rapide, porté par les excellents dessins de Tanquerelle. Le gars nous avait déjà bien épaté sur ses adaptations de Jorn Riel ou sur la Communauté, mais là il a encore franchi une étape. C’est précis, dynamique, hyper expressif. Bref, du très très bon. Elle commence bien cette année.
Chez Futuropolis, janvier 2012, 152 pages, 21 €
On enchaine avec un petit rattrapage de BD lue à sa sortie et très appréciée, mais qui avait échappé à cette chronique pour de basses raisons de timing.
Oui mais il ne bat que pour vous d’Isabelle Pralong a un très joli titre, et ça déjà, ce n’est pas rien. Cette artiste suisse que j’avais déjà remarquée pour son très beau l’éléphant chez Vertige Graphic. Elle récidive avec une nouvelle œuvre tout aussi réussie.
Ne vous laissez pas intimider par l’aspect massif de ce pavé de 200 pages en grand format. C’est un ouvrage dont la construction rend, contrairement aux apparences, la lecture légère et fluide. Le récit est tout simplement structuré en cours chapitres, alternant scènes réalistes et scènes fantasmagoriques. Chaque titre de chapitre est un vers d’un poème surréaliste d’Heiner Müller (dont est d’ailleurs tiré le titre). On passera donc de scènes de la vie d’une jeune femme : Lucie, à des scènes oniriques étranges ou amusantes ou la même Lucie cherche un singe.
On y parle de désir (ou non) de maternité, de Gena Rowlands dans Opening Night, de relation entre sœurs et on y croise un orque dragueur et un tigre matricide mais prévenant. Le dessin aérien et épuré, laisse beaucoup d’espace aux personnages et particulièrement à ses grands visages aux yeux immenses dont l’expressivité est assez remarquable.
Encore un très beau livre donc, douloureux parfois, amusant souvent et sensible toujours.
Chez l’Association, octobre 2011, 200 pages, 22 €
Pour finir, on s’offre un petit voyage vers des rivages «autres». L.L. De Mars est un auteur né en Suisse mais vivant et travaillant à Rennes. Il a participé à la création en 1996 et dirige toujours Le terrier un passionnant site artistique proposant les œuvres de nombreux artistes dont beaucoup sous licence Art libre. Cette forme de contrat juridique applique le principe du Copyleft aux travaux artistiques. En gros, l’artiste autorise toute personne, ayant accepté ses conditions, à procéder à la copie, la diffusion et la transformation d’une œuvre, comme à son exploitation gratuite ou commerciale, à condition qu’il soit toujours possible d’accéder à sa source pour la copier, la diffuser ou la transformer.
Les œuvres de L.L. De Mars sont très variées et la partie BD ne l’est pas vraiment au sens traditionnel du terme. Il y a des images et des mots, mais les structures et la narration sont très inhabituelles et libres. Ainsi dans Une brève et longue histoire du monde, le lecteur est propulsé dans une farandole bigarrée et rageuse de couleurs et de scénettes explosant les contraintes habituelles du récit pour dresser un portrait fragmenté et peu flatteur du monde. Quand je vous dis que c’est une aventure ces bouquins.
Sorti plus récemment Dialogue de morts à propos de musique, est plus facile d’accès. Il s’agit de la retranscription d’un dialogue (récurrent semble-t-il) entre LL de Mars et un de ses amis à propos de la musique. Évidemment le bonhomme ne va pas faire simple. Il colle donc ses mots dans les bouches décharnées d’Hector et Victor, deux squelettes déambulant échappés de leur tombeau. Le graphisme noir et blanc, conçu à partir de tampons d’écolier, sied parfaitement à l’opposition farouche des deux orateurs. Le premier célèbre la musique comme un plaisir simple, immédiat et intuitif, l’autre vomit l’immense majorité de la musique actuelle qu’il qualifie de marchande, tiède et lâche. L’opposition tourne vite donc au dialogue philosophique vachard et savoureux, d’autant plus troublant que ces deux-là semblent nous parler d’outre-tombe.
Alors oui, avec ces deux livres, on est largement en dehors des sentiers battus. On peut évidemment être peu tenté par ces déconcertants paysages mais l’expérience, si elle n’est pas sans risque, pourrait bien vous combler ou tout du moins vous secouer un peu sur vos bases.
Les deux ouvrages sont commandables chez les éditeurs ou trouvables sur Rennes à la librairie Alphagraph.
Une brève et longue histoire du monde, chez délicates, juillet 2011,96 pages, 20 €
Dialogue de morts à propos de musique, chez Scutella, octobre 2011, 86 pages, 20 €