BD en octobre : Planète folle et pantins délurés

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A mi-chemin entre la rentrée et Noël, nous sommes au cœur d’un absurde déferlement de plus de 5 000 publications. Impossible donc d’avoir le temps (ou les finances) pour y voir un tant soit peu clair. Nous faisons donc un pas de côté, avec une réédition, un titre sorti cet été et une seule «vraie» nouveauté. Nous y retrouvons un robot goguenard et une paire de Pinochii aussi irrévérencieux l’un que l’autre.

Aâma-tome2

On vous avait déjà chanté sur tous les tons les louanges du premier tome d’Aâma de Frederik Peeters. Il était (et reste) très bien placé dans notre petit top personnel des sorties de 2011. Nous avions suivi la conception de la suite avec attention sur le passionnant BLOG de l’auteur. Nous sommes donc ravis de pouvoir enfin lire le second volet de cette singulière odyssée : la multitude invisible.
Nous retournons sur la planète Ona(ji) où l’anti-moderniste Verloc continue de dérouler sa mémoire en lisant son journal en compagnie de Churchill le singe-robot, pour reconstituer les événements l’ayant amené à la spectaculaire et mystérieuse ouverture du premier tome.
On suit donc à nouveau et  avec une fluidité remarquable, deux récits en parallèle. D’abord l’exploration des effets sidérants d’Aâma, l’invention relâchée sur la planète par de téméraires savants. Récit d’aventure de science-fiction pur, où nos explorateurs du futur vont de surprise en surprise sur un rythme frénétique, et s’enfoncent petit à petit dans des territoires de plus en plus étranges et fous. La dernière page risque d’ailleurs fort de vous laisser bouche bée. Mais il y a aussi l’histoire de Verloc, de sa rencontre avec Silice. De leur désir d’avoir un enfant en se passant des envahissantes technologies disponibles. De la naissance de Lilja et de la découverte progressive de son anormalité et de la quête désespérée et déchirante d’un traitement adéquat.
Quand on a lu Les pilules bleues du même auteur où il narre sa propre expérience de la naissance d’un enfant d’une mère séropositive, on comprend que cette partie ait un écho aussi touchant et personnel. Le vrai miracle du livre, c’est de faire cohabiter ces deux parties avec une telle cohérence. Cet équilibre entre les délires graphiques à la Moebius, l’exubérance fantasmatique d’une nature délirante à la Stefan Wul et une finesse de trait apportée à chaque personnage, fait de cette BD un très bel exemple d’une SF ambitieuse et délirante mais profondément humaine.
Autre bonheur, les dessins plus détaillés et moins ronds qu’à l’habitude, sont de pures merveilles d’expressivité, de précisions et de justesse des attitudes. Cela nous fait même passer comme une fleur la mise en couleur un peu trop classique à notre goût.
Un second tome qui confirme donc largement que cette série est à suivre de très très près.

Chez Gallimard, octobre 2012, format 23 x 31 cm, 88 pages, 17,25 €

PaoloPinocchio

Changement radical de ton avec le délicieusement répugnant Paolo Pinocchio de l’argentin Lucas Varela. Après plusieurs collaborations (notamment avec Carlos Trillo) et une foule d’affiches ou d’illustrations où son plaisir à pervertir sa somptueuse ligne claire était évident et communicatif, voici enfin le premier album du gars. On y retrouve une série de courts récits où immanquablement les abominables actions du pantin Paolo le mènent droit en enfer. S’en suivent alors d’hilarantes péripéties où notre expérimenté menteur va mijoter de rocambolesques évasions durant lesquelles il ridiculisera avec férocité ses démoniaques geôliers.
L’invention graphique est permanente et jubilatoire. Les pages sont saturées de détails ignoblement savoureux. Ces splendeurs maléfiques sont en plus réhaussées par des couleurs puissantes et subtiles. Les histoires brassent Bosch et Casanova avec un humour noir d’une méchanceté redoutable. L’histoire se répète à loisir mais, comme dans les Tex Avery, peu importe que l’on connaisse le début et la fin, ce sont les tortueux chaos du chemin qui importent. En plus, l’album est saturé de délicieux bonus. On se délectera de superbes dessins pleine page, mélangeant les styles avec un impudent talent. Mais on a aussi apprécié sans modération les strips ahurissants où notre héros repousse avec délectation toutes les limites de l’ignominie.
Si vous aimez l’humour au vitriol et les dessins à la précision inquiétante, cet album est clairement pour vous.

Chez Tanibis, juin 2012, format 20 x 26 cm, 84 pages, 16 €

Pinocchio-Winshluss

Ce qui nous mène tout logiquement à nous pencher sur la récente réédition d’un chef d’œuvre : le Pinocchio de Winshluss.
D’abord publiée entre 2003 et 2005, sous forme d’épisodes dans la formidable revue Ferraille, la fidèle mais bien déviante adaptation du classique de Collodi par Winshluss (Vincent Paronnaud, pour l’état civil) nous avait immédiatement séduite. Il avait pourtant fallu s’armer de patience puisque le lascar était parti participer à l’aventure des adaptations cinématographiques de Persépolis et Poulet aux prunes en compagnie de Marjane Satrapi. Nous avons donc été aux anges quand en décembre 2008 était arrivé dans les librairies un superbe et volumineux recueil reprenant et complétant l’œuvre. Le livre sera couronné dans la foulée du prix du meilleur album à Angoulême. Conséquence fâcheuse, le bouquin sera très rapidement épuisé et le restera pendant un bout de temps. Mais voici qu’arrive une nouvelle édition brochée de la merveille qui vous donne une nouvelle chance d’y plonger.
Winshluss reprend en grande partie des éléments du conte original. On retrouve bien Gepetto, le cirque transformant les enfants en animaux, la trompeuse île enchantée, le monstre marin… mais Jiminy est un cafard à la loose collée à la peau, Gepetto ne rêve que de faire fortune dans l’industrie militaire et Pinocchio est devenu un robot de fer plus proche d’un Astro ahuri, que du pantin de bois menteur. Le pantin ne deviendra donc pas humain, et si sa longue quête a bien une fin heureuse, les yeux de la créature resteront grand ouverts même au creux du lit douillet d’une famille trouvée.
Pas vraiment de fable donc, mais un récit foisonnant et cruel où s’imbriquent avec virtuosité les malheurs ou les horreurs d’une foule de personnages tous aussi peu recommandables les uns que les autres. L’auteur mélange les influences les plus diverses avec jubilation. On croisera une Blanche-Neige au cœur défaillant, martyrisée par sept salopards de nains libidineux, un inspecteur du nom de Bob Javer, au faciès de statue de l’île de Pâques, totalement au bout du rouleau, Le Baron et Wonder un terrible duo de clochards aussi abominables l’un que l’autre…
Tout ça donne un récit au rythme ébouriffant, alternant passages muets à la narration brillante avec d’hilarants épisodes ultra bavards des mésaventures de Jiminy le cafard. L’auteur multiplie en plus les morceaux de bravoure graphique avec de saisissantes pleines pages ou des séances mémorables comme une incroyable scène sous-marine ou encore celle où une foule d’enfants est transformée en loup par le discours vociférant d’un clown blanc fascisant.
Malgré la noirceur totale et la misanthropie féroce de l’ouvrage, la BD se lit avec un plaisir ininterrompu. D’abord parce que c’est très très drôle, ensuite parce que le style est brillant et enfin parce que malgré la crapulerie, la perversité, la veulerie ou la violence de la majorité des personnages, Winshluss parvient, exploit suprême pour un pastiche aussi radical, à leur conserver la part d’humanité, même douloureuse, qui nous les rend malgré tout plutôt proches.
Quand on vous dit chef-d’œuvre…

Chez Les Requins Marteaux, septembre 2012, format 19 x 26 cm, 192 pages, 22 €

2 commentaires sur “BD en octobre : Planète folle et pantins délurés

  1. Row

    Tout simplement merci, et bravo pour cette érudition éclairée par un goût certain!

  2. julien

    un avis partagé, je ne sais pas ou va nous amener Frederik Peeters mais je le suis avec joie

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