Histoire de conclure cette année de chroniques BD dans l’opulence, vous avez droit en ce mois de décembre à l’habituelle revue des sorties du moment mais également à un petit bilan récapitulatif de mes 10 albums favoris de 2011.
On commence avec un objet un peu étrange. Avec sa belle épaisseur, son petit format tout en hauteur et sa brochure bleue, Les gratte-ciel du Midwest de Joshua W. Cotter ne passe pas inaperçu. Le contenu est tout aussi singulier. Il s’agit du récit, probablement très autobiographique, de la vie d’un garçon de dix ans dans un patelin américain ultra religieux. Là où ça se complique, c’est que dans la narration viennent se mélanger la vie et l’imagination du héros. Ajouter à ça de nombreux encarts parodiques et grinçants de publicités ou d’un curieux courrier des lecteurs. Pourtant grâce à des motifs récurrents et une émotion toujours présente, le livre se tient remarquablement de bout en bout. Le dessin en noir et blanc avec ses personnages rondouillards à tête de chat, n’est pas forcément des plus sexy mais colle parfaitement au récit et réserve de très belles surprises narratives.
L’auteur touche de près et avec une belle sensibilité douloureuse, les affres de ce pré-ado, mal dans sa peau et rudement malmené par ses camarades. On finit même par se demander comment on a pu survivre à cette étape de la vie ? Un livre caustique et parfois déroutant, mais qui aborde avec acuité un certain état dépressif de la transition entre l’enfance et l’adolescence. Les rapports avec la famille et spécialement le petit frère sont également d’une rare justesse.
Chez çà et là, novembre 2011, 282 pages, 22 €
Voici une BD que j’attendais de pied ferme. Les noceurs, le premier livre du belge Brecht Evens n’était, à mon humble avis, rien de moins que le meilleur album de 2010. C’est dire si j’ai fébrilement ouvert son second livre : Les amateurs.
Première surprise, le récit est ici beaucoup plus linéaire. Pieterjan, un artiste en panne d’inspiration, est invité dans le petit village de Beerpoele pour une sorte de résidence artistique. Kristof, le jovial et sympathique organisateur, lui propose de monter sur place une exposition avec une bande d’«artistes» locaux plus ou moins frappadingues.
Il sera bien évidemment question d’art et de la confrontation assez savoureuse entre notre artiste mis un peu brusquement sur un piédestal et cette jolie bande de bras cassés, ordinaires et touchants. On retrouve par contre une superbe invitée plus surprenante : la nature. Les éléments et la campagne jouent un rôle primordial dans le récit que je vous laisse découvrir. Bien sûr, Brecht Evens n’oublie pas de dresser avec le talent qu’on lui connait une série de portraits de petits, de gens pas tout à fait à leur place et de leur maladroite tentative d’aspirer à une certaine utopie.
Si l’histoire est plus linéaire que pour les noceurs, le traitement graphique est à nouveau totalement bouleversant. Les transparences aquarellées sont encore un pur délice de couleur et de sensations. Le foisonnement et la richesse des compositions apporte à la narration un rythme et une richesse hors du commun.
Le seul défaut que je peux y trouver, c’est que je l’ai trouvé un poil plus classique dans ses thèmes que le précédent. Reproche mineur pour une œuvre qui emplira les yeux de mille merveilles et qui confirme largement le talent unique d’un auteur.
Chez Actes-sud BD, octobre 2011, 224 pages, 25 €
Après Shenzen, Pyongyang et la Birmanie, Guy Delisle nous livre une nouvelle chronique de ses voyages. Gros morceau, ce coup-ci puisqu’il s’agit de Jérusalem. Il y suit à nouveau sa belle travaillant à MSF pour une année de mission.
Le départ est assez classique pour les connaisseurs du bonhomme. On le suit prendre ses repères dans le nouvel appart’ et dans son quartier à grand coup de ballade avec l’inévitable poussette. Le dernier volume de ses pérégrinations montraient à mon avis quelques (légers) signes d’essoufflements narratifs et graphiques et j’avoue avoir eu un peu peur sur le début de celui-ci. Heureusement, le gars a de la réserve et on sent qu’il a mis le paquet côté dessin. Pour le reste, la situation de la ville est suffisamment folle et surréaliste pour que son faux regard naïf fasse à nouveau merveille. D’une ballade mouvementée dans le quartier des Juifs ultra-orthodoxes, en expéditions au cœur des territoires occupés, en passant par une visite à la secte millénaire des Samaritains, ou d’une tribu de Bédouins, Delisle brode un portrait éclaté, à partir de petits riens, qui finissent par construire un tout d’une ampleur assez remarquable.
Content de revoir le gars dans une forme aussi éclatante.
Chez Shampooing Delcourt, novembre 2011, 334 pages, 25 €
Bonus : Mes dix BD préférées de 2011, sans autre ordre que l’alphabétique
– Aâma, Frederik Peeters
– Jeannine, Matthias Picard
– L’art de voler, Antonio Altarriba/Kim
– Le bleu est une couleur chaude, Julie Maroh
– Mambo, Claire Braud
– Mister Wonderful, Daniel Clowes
– Portugal, Pedrosa
– Tonoharu, Lars Martinson
– TMLP, Gilles Rochier
Celui-là, je ne vous en ai pas causé dans les parages mais ce n’est pas une raison pour passer à côté de cette très belle chronique de l’adolescence dans une cité hélas bien trop ordinaire.
– Un jour sans, Rémy Benjamin, Pero
J’avais adoré Mambo. Merci Mr B.