Les envies du mois nous portent finalement vers des formats plus classiques qu’à l’accoutumée. On aura donc affaire à des albums cartonnés d’un nombre de pages raisonnable. Pourtant derrière cette facture d’apparence plus conventionnelle peuvent se cacher quelques délicieuses surprises.
On démarre avec du Péplum. Dans Pour l’Empire de Merwan Chabane et Bastien Vivès, l’action débute dans un empire à son apogée. Sa force militaire inégalable en a fait le maître absolu des terres connues. L’empereur, jamais rassasié, décide donc d’envoyer sa légion d’élite explorer et conquérir la partie encore inconnue des territoires. Le premier tome commence par nous présenter Glorim Mortis et sa troupe d’élite. Après vingt pages de virils et sanglants exploits, le récit effectue un premier pas de côté en confrontant notre troupe de barbouzes à un ennemi retors : l’ennui. La suite sera du même acabit. Que ce soit face à d’étranges amazones ou dans des terrains plus oniriques, les attentes du lecteur seront mises à rudes épreuves.
Plus que de réelles péripéties militaires, on aura donc surtout droit à un voyage. Un voyage chaotique et déconcertant qui nous brinquebale sans prévenir dans des chemins inattendus et qui n’hésite pas à prendre des virages radicaux et périlleux. C’est assez grisant. Surtout que la partie graphique est un vrai bonheur. Assurée à quatre mains par les deux auteurs qui se répartissaient les scènes selon leur appétence, elle est de plus réhaussée par la splendide mise en couleur de Sandra Desmazières. L’emploi judicieux de textures rouilles est une vraie merveille.
Un très beau triptyque aux dessins envoutants qui n’hésite pas à malmener ses personnages comme ses lecteurs.
Chez Poisson Pilote, mai 2011, 64 pages, 11,55 €
On continue avec un petit détour par le conte. Le duo Hubert et Kerascoët (trio en fait puisque derrière le second pseudo se cache un duo de dessinateurs) nous avait déjà tapé dans l’œil avec les pétillantes aventures de Miss Pas-touche et surtout l’effroyable et fascinant Jolies Ténèbres.
Désirs exaucés, le premier tome de la série : Beauté commence de façon fort respectueuse des canons du genre. On y suit Morue, une jeune fille fort peu gâtée par son patrimoine génétique qui subit les railleries goguenardes de la quasi intégralité de son village. Ses pas vont finir par croiser un disgracieux crapaud que par bonté (et par identification) elle va évidemment embrasser. Bien sûr le batracien est en fait une fée et celle-ci accorde un vœu à la laideronne qui ne va pas hésiter bien longtemps. Elle demande donc la beauté. Sauf que, premier détail discordant, la fée tortille un peu en lui annonçant qu’elle ne peut pas la transformer mais seulement la faire paraître sublimement belle à tous les autres.
A partir de là, l’album va explorer avec une cruauté certaine les terribles conséquences de la beauté surnaturelle de la demoiselle. Le récit devient alors beaucoup moins balisé, jouant des stéréotypes avec humour mais sans aller vraiment vers la parodie. Encore une fois, les dessins sont de haut vol avec une étonnante base noir/blanc/orange superbement servie par de simples mais délicats aplats de couleur. Les formes dynamiques et stylisées des Keraskoët s’approchent avec bonheur des estampes japonaises, ce qui donne beaucoup de classe à l’ensemble.
Chez Dupuis, mai 2011, 48 pages, 13,95 €
Voilà au moins un rituel de respecté, on conclut par le favori du lot. Un jour sans de Rémy Benjamin et Pero est vraiment un drôle de livre. En le feuilletant rapidement, on peut croire y trouver un récit d’aventures historiques où un seigneur médiéval part en trainant des pieds aux croisades. Sauf que le personnage est une vraie fripouille égoïste et cynique et que la réelle raison de la mauvaise humeur du bonhomme, c’est que son épouse lui a refusé ses faveurs avant son départ. De plus, on s’aperçoit rapidement que le gars se trimballe une poisse d’enfer qui ne semble pas cesser d’empirer.
Difficile d’en dire plus sans dévoiler le vrai bonheur et les abimes dans lesquels vous plonge ce bouquin. Sachez juste que l’aspect historique n’est qu’une des nombreuses duperies du livre et que si le récit se joue de sa crapule de personnage principal, le lecteur ne sera pas épargné non plus.
Un livre qui réussit l’exploit de vous donner envie de le relire immédiatement. Le plus remarquable étant que cette seconde lecture est encore meilleure que la première.
Chez Ankama, avril 2011, 80 pages, 12,90 €