Si dans mon esprit chagrin, les débuts du printemps sont autant associés aux nez qui coulent qu’aux premiers dénuements publiques de peau, je cède cependant de bon gré aux sirènes de l’instant en vous proposant un charmant trio plein d’amour, d’esprit frondeur et de sensations troublantes.
J’avais découvert le québécois Jimmy Beaulieu lors d’une édition récente du festival malouin Quai des Bulles, qui avait eu la bonne idée d’inviter plusieurs auteurs du pays des caribous. Son travail, publié alors chez sa propre maison d’édition Mécaniques Générales, tournait autour de petits moments essentiellement autobiographiques agencés de façon inventive et un peu foutraque. Ça me plaisait déjà bien beaucoup.
Son nouvel album : Comédie sentimentale pornographique, vient de sortir chez Shampooing (collection de Delcourt dirigée par Lewis Trondheim).
Il s’agit à nouveau de récits entremêlés tournant autour d’une brochette de personnages plus ou moins liés. On y croisera entre autre : Louis (l’auteur de BD ayant réussi un coup fumeux en mettant ses idéaux de côté), Corrine (son amie débordante de sensualité), Martin (le jeune romancier incapable d’oublier son premier amour), Annie (l’ex de Corrine, amie de Martin et accessoirement amoureuse de sa boulangère) mais aussi en arrière-plan Rodrigue Massicote (un architecte intransigeant jusqu’à la folie, ayant finit par bâtir un immense hôtel au milieu de nulle part). On suivra tous ces gens dans un moment de leur vie : une crise pour certains, un amour naissant ou une parenthèse superbe et sensuelle pour d’autres.
Les lecteurs familiers de Beaulieu seront en terrain connu. Cependant, il faut reconnaître que le bougre a su faire évoluer et monter en puissance son style. D’abord, il a un peu mis son côté autobiographique sous le tapis. Il a ainsi fragmenté sa propre personnalité sur les trois personnages masculins principaux qui deviennent des images de ce qu’il a été ou ce qu’il sera peut être un jour. Ensuite malgré un joli flou entre réalité et fantasme, ses histoires ont gagnées en cohérence et l’ensemble est finalement plus ramassé, avec un début et une fin bien marquée.
L’ensemble est une merveille de liberté à tous les niveaux. La sexualité des personnages est abordée avec une franchise désarmante et sans chichis. La narration virevolte d’un passage à l’autre avec un plaisir communicatif. Le dessin multiplie les techniques sans complexe et surtout sans que cela nous fasse perdre le fil. On savoure aussi le plaisir qu’a pris l’auteur dans ses pirouettes graphiques, spécialement sur ses personnages féminins car comme dit le gus : «Dessiner un homme c’est remplir un formulaire. Dessiner une femme c’est déguster une crème brûlée.»
Chez Shampooing, janvier 2011, 285 pages, 25 €
Moins déluré mais tout aussi sensible, le bleu est une couleur chaude, première BD de Julie Maroh aborde avec finesse le thème de la découverte de son homosexualité par une jeune fille.
Histoire de faire mon intéressant, je vais commencer par les défauts que je trouve à l’ouvrage. D’abord, je ne suis pas un grand fan du dessin et je trouve notamment que le traitement des expressions manque de finesse. Ensuite, le récit s’articule autour d’un dispositif dramatique déboulant dès la première page, et qui dans toute autre œuvre m’aurait horripilé. Mais voilà, la demoiselle a aussi de précieux atouts dans sa manche. D’abord, elle dépeint avec une maîtrise et une justesse impressionnante la naissance et la montée d’un désir. Ensuite parce que rien n’est si simple que ça. Que le couple central possède vraiment une belle densité. Une complexité qui sauve d’ailleurs souvent le livre de certaines maladresses. Enfin parce que la gestion des couleurs est une vraie réussite et que vous n’êtes pas près d’oublier la chevelure bleue qui donne son titre au livre.
Un bouquin qui vous touche au cœur sur la longueur, et malgré des réticences qu’on pensait rédhibitoires, c’est assez rare pour le faire remarquer.
Chez Glénat, mars 2010, 160 pages, 14,99 €
Je termine par mon préféré du lot. Et de loin.
Mambo de Claire Braud est également une première Bande Dessinée. La demoiselle n’ayant jusque là que participé à des ouvrages de la collection BD musique consacrés à Billie Holyday, les Mills brothers et Saint-Saëns. Quand on a lu le truc, on se frotte les yeux pour y croire.
Si la musique et la danse sont bien présentes dans Mambo, il est cependant essentiellement question d’amour en ces pages. L’amour que l’on trouve, que l’on perd et que l’on retrouve (peut être), l’amour que l’on prouve, l’amour maudit, l’amour qui sauve, l’amour qui se lit dans les regards…
Et comment causer de tout ça sans être totalement nunuche me direz-vous ? Et bien tout simplement avec de la fantaisie et un esprit frondeur. On suivra donc les virevoltantes aventures de Petula Peet, véritable pieds-nickelés à elle toute seule, tentant de briser une terrible malédiction familiale condamnant tout être aimé à être transformé en une vulgaire patate. On y assistera à une naissance, un sauvetage, une agression de fonctionnaire de l’état, un entretien d’embauche, une poursuite en camion… et bien évidemment à un mambo.
Pas de cadre pour retenir un tel déferlement graphique et narratif. Les bretelles d’autoroutes et les comédies musicales y sont également splendides. L’architecture comme les mots y sont flottants. La digression et l’inattendu sont la règle. Le bonheur est total et permanent, de bout en bout, et seul la brièveté du livre vous laissera quelques regrets.
Franchement comment peut-on résister à un livre où les chauffeurs de bus peuvent déclarer : «L’on voit sous vos paupières closes, la hâte que vous avez d’aimer» ?
Chez l’Association, Janvier 2011, 60 pages, 15 euros.
Yeah ! j’ai tout d’un coup une envie printanière de B.D. !!!!!!!!!
Waoh, encore une fois, votre enthousiasme est contagieux!
Toujours classe, ce Mr B…
et bien moi, le Mambo de Claire Braud ne m’a fait du tout dansé ! Je cherche encore à comprendre, c’est dire….Ceci dit, je salue un tel déferlement donc le talent !