BD en septembre : l’humanité des aventuriers

L’explorateur, le découvreur, le cowboy, l’indien, le pirate… autant de figures classiques de la littérature avec ou sans images, maintes fois utilisées, mais aussi maintes fois malmenées ou tournées en dérision. Pour notre sélection de septembre, nous avons choisi trois ouvrages où l’on retrouve avec grand plaisir toutes ces mâles et familières silhouettes, mais dont les auteurs ont pris grand soin de leur rendre leur complexité, leur place dans l’histoire, la grande ou la petite.

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Nous en avons déjà fait des caisses sur la merveilleuse maison d’édition indépendante The Hoochie Coochie mais vous allez en reprendre une louchée puisque deux des trois livres évoqués ce mois proviennent de cette belle maison.

Jamestown

Dans Jamestown le franco-américain Christophe Hittinger raconte l’histoire de l’installation de Jamestown, la première colonie anglaise sur les terres américaines. Nous sommes en 1 606 et sur un des trois navires quittant Londres pour rejoindre la virginie, il y a le déjà expérimenté capitaine John Smith. Oui, celui qui épousera l’indienne Pocahontas. On vous laisse d’ailleurs découvrir l’étonnante réalité historique de cette romance.
Comme pour Les déserteurs, Hittinger mêle précision historique maniaque avec un dessin rond et cartoony où dans des décors puissants et détaillés se ballade une kyrielle de personnages rondouillards et géométriques. La narration est simplissime : une série de doubles-pages avec un simple cadre de texte narrant les péripéties du groupe. Malgré la modestie du dispositif, la fluidité de l’ensemble est remarquable. On est fasciné par la capacité de l’auteur à rendre avec finesse les enjeux de ses premiers contacts entre indiens et anglais, à nous plonger dans la passionnante confrontation de l’humanité de ces hommes et du poids écrasant de l’histoire se mettant en route. Un livre singulier dans sa forme mais qui reste captivant de la première à la dernière page.

Si vous aimez le style de cet auteur, on vous enjoint chaudement à jeter un œil également sur le travail du cartooniste anglais Tom Gauld. Pour patienter en attendant la traduction de son Goliath, vous pouvez toujours vous régaler avec les épatants strips de son Tumblr (en anglais seulement hélas).

Chez The Hoochie Coochie, octobre 2007, format 15 x 21 cm, 232 pages, 20 €

ChèrePatagonie

La collection Aire Libre de chez Dupuis nous avait déjà offert le magnifique Portugal de Pedrosa. Elle devrait encore faire des étincelles avec la terrifiante mais prometteuse association de Bastien Vivès et de Rupert et Mulot sortant ce mois-ci. Nous allons pourtant vous parler d’un imposant volume de près de 300 pages rassemblées sous une très impressionnante couverture brumeuse : Chère Patagonie de l’argentin Jorge González.

En une série de courts chapitres dont l’action s’étale chronologiquement entre 1 888 et 2009, l’auteur nous conte rien de moins que l’histoire de son pays. Au fil d’histoires aux formes très variées, on croisera : des aventuriers, des indiens mapuches, des paysans, des propriétaires, un boxeur, des exilés européens… Entre la pampa et Buenos Aires et sous la forme d’un récit multiforme et insaisissable, mêlant fiction, destin individuel, histoire politique et sociale et autobiographie, le livre se permet tout, autant narrativement que graphiquement. Le livre est donc formidable de richesse et d’audace et se lirait d’une traite si le poids de la bête ne vous obligeait à quelques pauses. Les lecteurs pas très au fait de l’histoire argentine peuvent se rassurer, l’éditeur a soigneusement inclus en fin de volume des informations très bien faites sur les différents épisodes évoqués au cours de l’album.
Une BD qui vous happe dès la première page et dans laquelle vous vous surprendrez à rester plus longtemps sur d’incroyables doubles pages muettes que sur les passages avec du texte.
On aura juste un petit regret de puriste : le papier glacé ne rend pas pas forcément justice aux compositions très organiques et pleines de matières de l’auteur. Après, on peut légitimement frémir à l’idée du poids que ferait le livre avec un papier plus épais.

Chez Aire Libre, septembre 2012, format 23,5 x 31 cm, 280 pages, 26 €

Renégat

Pour conclure en beauté ces aventures de rentrée, nous retournons donc du côté de chez Hoochie Coochie avec Renégat d’Alex Baladi. Cet auteur prolifique, aux curiosités multiples et ayant publié chez un nombre d’éditeurs impressionnant, tâche de redonner un peu de vie au personnage bien malmené ces derniers temps du flibustier.
Un trait. Une vaguelette, qui prend de l’importance au fur et à mesure que l’on tourne les pages jusqu’à former l’océan. Quelques paroles et la mer disparaît pour laisser place à l’obscurité du cachot. Un pirate emprisonné se voit demander par un écrivain de raconter sa vie de brigand des mers. L’occasion est trop belle pour lui de sortir de sa geôle et d’améliorer son piètre ordinaire. Il va donc raconter. Mais que dire et ne pas dire ? Que témoigner ?
L’auteur suisse réussit l’exploit de construire un récit plein de la fureur des abordages et du danger des péripéties maritimes tout en rendant un vibrant hommage à une flibuste constituée de prolétaires des mers, fuyant une marine marchande où la violence et l’asservissement étaient la règle. Une épopée donc, mais aussi le récit d’une utopie libertaire, enrichie d’une belle réflexion sur la vérité d’un témoignage et de quelques remises au point salutaires sur notre vision de l’Islam.
Assurément, le plus beau livre de la rentrée pour nous. D’abord grâce à sa magnifique couverture noire toilée sertie d’un tranchant Jolly Roger mais surtout par la finesse d’un récit ample et bouleversant servi par un graphisme en noir et blanc ondulant, oscillant entre onirisme et dure réalité avec une aisance folle.

On le dit et on le répète donc, c’est LE livre immanquable de cette rentrée.

Chez The Hoochie Coochie, août 2012, format 20,5 x 28,6 cm, 176 pages, 25 €

1 commentaires sur “BD en septembre : l’humanité des aventuriers

  1. Julien

    bon je crois que je vais demander au papa noel Renégat

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