Le label clermontois Kütu Folk Records avait carte blanche lors des Trans Musicales, et cette résidence à l’Aire Libre a été l’un des moments les plus marquants du festival. Les dix groupes du label se sont succédés pendant 5 jours, avec chaque soir, en point d’orgue, le merveilleux moment musical Kütu Folk Records, The Band (ici). Nous avons rencontré plusieurs d’entre eux pendant le festival, et ils se sont prêtés au jeu des questions avec beaucoup d’humilité et de sincérité. Un label définitivement à part…
Rencontre avec Julien Quinet, du Delano Orchestra.
The Delano Orchestra est le projet de l’un des membres fondateurs du label, Alexandre Rochon. Ce guitariste-compositeur regroupe la bagatelle de 5 musiciens autour de lui : un trio guitare-basse-batterie (pour résumer, car il y a des nuances), mais aussi une trompette et un violoncelle qui donne cette couleur si particulière aux compositions du sextet.
Après un premier album en 2008, A Little Girl, a Little Boy, and All the Snails They Have Drawn, le groupe nous offre le magnifique Will Anyone Else Leave Me l’année suivante, qui confirme l’originalité musicale faite de folk et de rock, le tout teinté de pop. Avec parfois des envolées électriques post-rock qui vont crescendo, notamment le petit bijou How To Care.
L’année suivante, Alexandre nous propose un projet surprenant, tout en restant cohérent avec l’univers existant sur les deux albums précédents : Now That You Are Free My Beloved Love est effectivement un enregistrement de 46 minutes effectué en une seule prise, comme pour mieux conserver l’énergie du live.
Après s’être beaucoup concentré sur la gestion du label, Alexandre Rochon revient avec un nouveau projet, The Escape, une création pour quatuor à cordes, piano et trompette. Ce tout nouveau projet propose de nouveaux arrangements de titres du groupe, dans lesquels le quatuor à cordes tient un rôle prépondérant.
Et les deux sets présentés à l’Aire Libre ont confirmé l’excellente impression laissée par l’écoute du titre NTYF quelques jours auparavant : les arrangements subtils subliment les titres, et notamment les montées sonores qui prennent un nouveau relief. L’occasion pour nous d’en savoir plus sur ce projet avec Julien Quinet, trompettiste de The Delano Orchestra.
Si tu devais te présenter et présentez ton rôle au sein du Delano Orchestra, que dirais-tu ?
Julien Quinet, je suis trompettiste au sein du Delano Orchestra. J’ai intégré le groupe de manière un peu particulière. Alex, le chanteur du Delano Orchestra, avait enregistré son premier album, et il voulait rajouter des trompettes dessus. Je suis venu enregistrer ça chez lui, dans sa chambre : on a mis ça sur l’album et ça lui a plu. Et on a enchainé ensuite sur une répétition avec les musiciens pour voir ce que ça pouvait donner en live. Depuis je participe à l’aventure, et avec grand plaisir, parce que ce sont de nouvelles expériences : c’est une musique qui me porte beaucoup, j’apprécie vraiment ce travail-là.
Peux-tu nous parler de la nouvelle formule du Delano Orchestra, The Escape ?
C’est un projet avec un quatuor à cordes : on essaie de réarranger les morceaux du Delano Orchestra, d’une manière beaucoup plus ambiante. Tous les arrangements ont été fait par Guillaume Bongiraud, le violoncelliste du groupe. On travaille avec le quatuor et la trompette, plus la section classique du Delano Orchestra, mais qui est plus en soutien sur certains moments : elle n’a pas le rôle prépondérant qu’elle a d’habitude. C’est la base solide du groupe dans la version classique, alors qu’avec The Escape, on essaie de donner une autre dimension aux morceaux. On sent cette dimension cinématographique qu’on a envie de pousser dans ses retranchements. Ca donne une expérience assez particulière.
On est encore dans la recherche, le projet évolue tous les jours. Par exemple, on a fait une version d’Outro mercredi qui n’était pas la même que celle de vendredi.
Entre temps, on a réarrangé le quatuor à cordes, il fallait mieux faire cette partie avec le violoncelle, etc… C’est en constante évolution. On va travailler la semaine prochaine avec un chorégraphe, Dominique Boivin de la compagnie Beau Geste, pour donner une autre dimension à cette musique, la mettre en danse. On avait déjà travaillé avec Dominique Boivin il y a 2 ans lors d’un lancement de saison culturelle à Clermont-Ferrand dans le cadre de la programmation de la Comédie de la Scène Nationale. Le travail nous avait vraiment estomaqué parce qu’on ne pensait pas que notre musique pouvait inspirer ça. Les danseurs ont aussi trouvé quelque chose en nous qu’il ne trouvaient pas forcément ailleurs, donc on attendait avec impatience de pouvoir retravailler ensemble.
On a vu une vidéo dans laquelle les danseurs sont au premier plan sur un plateau, et le groupe est à l’arrière.
C’est tout à fait ça. On avait fait une résidence de trois jours pour créer un spectacle pour cette présentation de saison. Et tout le monde avait vraiment été ravis de cette rencontre. On attendait juste une chose, c’était de pouvoir renouveler l’expérience. On a retrouvé les danseurs cet été à Moulins lors d’une rencontre culturelle, où l’on présentait pour la première fois le projet The Escape. Les danseurs ont été enthousiasmés par le nouveau projet.
Ca va être une nouvelle expérience, et ça va nous permettre aussi de toucher des gens qu’on n’aurait peut-être pas touché naturellement avec le projet The Delano Orchestra. On est dans une famille rock, folk, post-folk. Là on va toucher un public qui va plutôt voir de la danse, du théâtre, des expérimentations sonores, donc c’est une prise de risques. Mais c’est comme ça qu’on avance, je trouve. On attend avec impatience de voir ce que ça va donner. On a déjà fait une petite représentation en Auvergne il y a deux semaines, mais vraiment en petit comité.
C’était à Issoire ?
Oui à la Fabrique, à Issoire. Ca a vraiment pris forme à ce moment là : on va travailler sur les nuances, sur des petits détails, mais la forme est déjà là. La prochaine étape aura lieu le 14 janvier à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand. Ce spectacle sera proposé dans le cadre de la saison de la Comédie. On attend ça avec impatience parce que ça donne un souffle nouveau à notre création.
Tout en n’oubliant pas la version traditionnelle de The Delano Orchestra, puisqu’on enregistre un nouvel album en février. Les morceaux sont déjà prêt, c’est peut-être plus rock que ce qu’on a fait dans les précédents albums. On essaie de trouver un juste milieu, on s’échappe d’un côté avec The Escape, et on s’ancre dans des choses un peu plus puissante avec le groupe dans sa version classique pour l’enregistrement de l’album.
La version de NTYF sur le projet The Escape est assez surprenante, avec le quatuor à cordes pour débuter, puis une montée rock avec le groupe. Ca paraît assez improbable, et c’est une réussite.
On a été surpris aussi. Dans un premier temps, on a travaillé uniquement avec les cordes, la trompette et la guitare acoustique, quelque chose de très ambiant. On a finalement rajouté le groupe : ça pouvait ne pas marcher, et finalement ça porte les cordes, ça porte l’ensemble. C’est encore plus puissant que ce qu’on pouvait imaginer : pour nous aussi c’est une surprise, et une bonne surprise !
On a découvert mercredi ce nouveau projet The Escape, et on a trouvé que le rendu scénique fonctionnait vraiment.
Et pourtant ce n’est pas une musique très facile, il faut vraiment se mettre dedans, il y a des passages très calmes, où il n’y a quasiment rien. On essaie de créer quelque chose de très subtil, puis ça monte à certains moments. On est fidèle à ce qu’on fait déjà dans la version traditionnelle de The Delano Orchestra, mais avec une dimension encore plus ciselée, plus fine.
C’est assez flagrant sur NTYF, avec cette note de piano répétitive au tout début du morceau, et on sent la tension monter.
C’est une tension latente, on essaie vraiment de créer ce genre d’émotion très subtile, de ne pas aller dans quelque chose de très puissant tout de suite. Je ne vais pas dire que la recette est facile, mais on sait faire, on envoie les gros riffs de guitares et ça marche. Là, on essaie vraiment de créer quelque chose qui monte, qui monte, décibel par décibel. Pour arriver à captiver, pour laisser place aussi à l’imaginaire des gens qui écoutent. On n’est pas forcément là pour leur projeter quelque chose, ils ont aussi leur rôle à jouer, en s’échappant avec cette musique, en lâchant prise.
On sait qu’Alexandre est passionné par la réalisation. Justement, pourrait-on envisager une mise en images d’un projet comme The Escape ?
Oui, c’est fortement envisageable. Alexandre a déjà fait ça sur le troisième album, qu’il a mis intégralement en images. Pourquoi pas, tout est possible. Pour l’instant, on n’est pas parti là-dessus, on se concentre uniquement sur la musique. Mais c’est vrai que c’est une musique qui invite aussi à ça.
Cette résidence à l’Aire Libre influence t’elle un projet en genèse comme The Escape ?
Oui, ça influence beaucoup. Il faut que le quatuor à cordes se trouve aussi. Le travail d’un quatuor est quelque chose de très particulier où chacun a un rôle à jouer. Il y a des codes très précis, et j’étais surpris de découvrir tout ça. Ils ont besoin de jouer ensemble pour vraiment réussir à retranscrire la musique. Le fait de pouvoir travailler avec d’autres groupes pendant la résidence a permis au quatuor de s’affirmer, de trouver ses marques. En partant de choses qu’on faisait avec le Delano Orchestra pour proposer autre chose. Cette résidence est forcément bénéfique pour le projet The Escape, mais aussi pour l’ensemble du label, puisque c’était vraiment une expérience exceptionnelle. On attendait ça avec imaptience, mais on n’espérait même pas ce qu’on a pu avoir cette semaine !
Votre plaisir d’être sur scène était visible, mais le tour de force, c’est d’avoir réussi à le communiquer au public présent. Tous les artistes ne se connaissaient pas forcément et ont appris à se connaître durant ces quelques jours. Est-ce que tu penses que le fait de vivre tous ensemble dans une petite maison renforce ce côté complice qui ressort sur scène ?
Les moments sur scène sont importants, mais ce qui se crée vraiment se fait hors scène. Hier, j’ai eu l’immense chance de jouer avec Evening Hymns, si je n’avais pas passé une seule soirée avec eux, si chacun allait se coucher dans son coin, l’occasion ne se serait peut-être pas présentée. Quand on ne se connait pas, ce n’est pas forcément évident de jouer ensemble. On ne se connaissait qu’à travers les disques : en même temps les albums sont très sincères, on savait sur qui on allait tomber ! Mais le fait de vivre ensemble, de manger ensemble, de dormir dans la même maison, ça crée une dynamique qu’on ne peut pas trouver si on se retrouve à une heure précise pour travailler le morceau. Ca a vraiment fédéré le label, c’était une expérience très enrichissante.
Y aura t’il une captation vidéo ou audio de ce moment particulier à l’Aire Libre ?
L’ensemble de la résidence a été filmé et enregistré, donc il y aura des traces, on ne sait pas encore sous quelle forme, un concert live, un documentaire… On a le matériau, on va voir comment on va l’exploiter : tous les moments importants ont été captés, on va laisser reposer aussi, on a l’euphorie de toutes ces choses vécues ensemble. Pour l’instant, rien n’est défini.
Pour le festival Kütu Folk, les 19 et 20 janvier prochains à la Flèche d’Or, ce sera le projet The Escape qui sera présenté, ou bien les titres du nouvel album ?
C’est encore à définir. Le quatuor sera peut-être là sur un morceau, ou bien de manière permanente, suivant nos envies du moment. On aura déjà fait au mois de janvier la représentation avec le quatuor, on va peut-être avoir envie de retourner à la formule plus rock, tout est ouvert !
Si tu devais citer trois albums sans lesquels tu ne pourrais pas vivre ?
Kind of Blue de Miles Davis. C’est dur ça… Ca dépend des périodes de l’année, ça dépend du temps qu’il fait dehors ! Je dirais l’album d’Hospital Ships, parce que je suis encore dans la magie de ce qui s’est passé hier. Et l’oeuvre de Chet Baker, qui est très importante pour moi.
Pour finir, on voulait savoir si c’était toi qui jouait sur le magnifique Icelandic de St Augustine ?
Oui, c’est moi. C’est la joie du label, quand on a besoin d’une trompette, il y en a une dans un groupe, on ne va pas chercher ailleurs ! (rires).
Merci beaucoup !
Merci à vous !
Photos : Solène
Les photos de ces 5 jours de résidence :
Les photos du Kütu Folk Records, The Band
Les photos du mercredi et du jeudi
Les photos du vendredi et du samedi
Nos interviews des artistes du label pendant les Trans Musicales 2011 :
Nos autres interviews Kütu :
St Augustine (mars 2011)
Evening Hymns (septembre 2010)
Leopold Skin (septembre 2010)
Le label Kütu (par Damien)