Le label clermontois Kütu Folk Records avait carte blanche lors des Trans Musicales, et cette résidence à l’Aire Libre a été l’un des moments les plus marquants du festival. Les dix groupes du label se sont succédés pendant 5 jours, avec chaque soir, en point d’orgue, le merveilleux moment musical Kütu Folk Records, The Band (ici). Nous avons rencontré plusieurs d’entre eux pendant le festival, et ils se sont prêtés au jeu des questions avec beaucoup d’humilité et de sincérité. Un label définitivement à part…
Rencontre avec Clément Fabre de Dempster Highway.
Clément Fabre aka Dempster Highway vient de sortir il y a quelques semaines à peine son premier EP, We Sail, chez Kütu Folk. Le guitariste d’Araban s’est singulièrement apaisé avec son nouveau projet. Et quel projet ! 6 compositions avec une base folk indéniable, mais pas que : le garçon a le chic pour poser une empreinte blues avec sa voix.
Il y a des mélodies délicates, subtilement jouées à la guitare sèche ou au piano, et réhaussées par de très jolis choeurs. Certains morceaux sont beaucoup plus tendus, avec des envolées électriques sur le final, quand le chant devient rageur (c’est assez bluffant sur Long Time Gone).
Sa récente arrivée dans la famille Kütu n’est pas le fruit du hasard, puisqu’il a notamment collaboré avec Damien de Leopold Skin (parti depuis vers de nouveaux horizons). La pochette mélancolique très réussie est un bel écrin pour ces compositions intimistes.
Et le jeune artiste ne s’est pas démonté lorsqu’il a ouvert la soirée du jeudi soir à l’Aire Libre : il nous a offert un set réussi, savant mélange entre douceur et énergie au service d’une musique folk au sens large. Et que dire de son titre Dear, repris chaque soir par l’ensemble des artistes du label, accompagnés par la seule guitare de Clément. On ne s’en est toujours pas remis…
Avec Garciaphone et Dempster Highway, le label clermontois fait (à nouveau) entrer deux petites perles musicales dans sa grande famille.
Pour commencer si tu devais te présenter en quelques mots ?
Clément, Dempster Highway, ce n’est pas facile en quelques mots… J’adore faire de la musique, c’est ce qui me passionne et je mets beaucoup de coeur à faire ça.
Tu étais chanteur dans un groupe, Araban…
Je n’étais pas chanteur, parce que c’était vraiment un groupe instrumental. Il n’y avait pas de chants, il y avait des espèces de hurlements qu’on faisait de temps en temps, parce qu’il faut bien laisser parler un peu les voix ! C’était une musique basée sur le surf instrumental pur et dur, allant du début du surf de la fin des années 50 jusqu’à des groupes de surf des années 80-90, comme les néerlandais The Treble Spankers.
C’était un projet assez éclectique sur une base commune, le surf. On a essayé de rajouter nos influences en essayant de donner une autre atmosphère autour du surf, d’apporter un peu de nouveauté.
Peux-tu nous parler des musiciens qui jouent avec toi dans Dempster Highway?
Il y a Zak Laughed, bien connu du label Kütu Folk, qui a son projet a lui. Il fait la deuxième guitare avec moi, c’est un guitariste génial ! Je l’ai rencontré grâce à Damien (Leopold Skin) et on s’est tout de suite bien entendu.
Il y a aussi Grégoire Lafarge à la basse, « Greggy Beat » pour les membres du label. C’est un bon copain, on se connait depuis 6 ans et on est dans la même école d’archi tous les deux. On était tout le temps ensemble même si on avait des projets musicaux différents : j’avais Araban et lui jouait dans les Glums. J’adore son jeu et puis on est super complices.
Et je viens d’être rejoint par Christophe Pie, l’éternel batteur de tous les groupes de Kütu, parce que c’est l’autoroute, c’est la classe, c’est un grand monsieur de la batterie. Il est venu nous filer un coup de main sur l’enregistrement de l’EP, parce qu’il y avait une chanson qu’on n’arrivait pas à rentrer.
Christophe Adam, qui enregistrait l’EP, a fait appel à Christophe Pie. Il est arrivé, on a fait le morceau, et en une matinée c’était plié. Et c’était beau. Comme on jouait ensemble pour les Trans, on a profité de sa présence pour répéter ensemble. Je trouve le line-up génial, et c’est exactement le même que St Augustine !
Justement, comment s’est faite la rencontre avec le label Kütu, tu as déjà joué avec Damien avant ?
J’ai découvert Damien à travers les concerts puisque j’allais le voir, et on s’est souvent retrouvé en fin de soirée à faire de la musique chez un copain commun. Il m’a aussi demandé de jouer 2 ou 3 fois avec lui. Puis il m’a fait rencontrer d’autres gens du label dont François (François-Régis de St Augustine), Alex (Alexandre de The Delano Orchestra). J’étais fan de Pastry Case, je suis donc allé voir Bertrand !
Quand le projet Dempster Highway a vu le jour, ils m’ont donné l’opportunité de faire la première partie de The Delano Orchestra sur une carte blanche qu’avait Kütu Folk à la Coopé. J’ai donc fait mon premier concert grâce à eux : c’était un concert incroyable. Damien jouait avec moi, on a fini dans le public a cappella, c’était un super beau moment.
Ton premier EP, We Sail, a été enregistré dans la fameuse Blue House de Christophe Adam, une figure mythique du label Kütu Folk. Est-ce que tu peux nous parler de l’enregistrement ?
C’est Damien qui m’a parlé de lui, parce que moi je ne le connaissais, allez je le fais, ni d’Eve ni d’Adam ! (rires) J’avais écouté les disques de Leopold Skin, et je trouvais qu’il y avait une patte, un son derrière l’enregistrement. On sent qu’il y a un bonhomme derrière des manettes, ce n’est pas un ordinateur qui fait le disque.
Je l’ai rencontré après ce premier concert à la Coopé, et le projet lui a plu. Christophe Adam, c’est un mec qui marche vraiment aux coups de coeur, donc quand ça lui plait, il a le contact super facile et il est vraiment passionné par le projet. C’est quelqu’un qui aime travailler avec les musiciens. Je suis allé voir son studio qui est un endroit exceptionnel : c’est une espèce de cave en pierre avec un bric-à-brac analogique pas possible ! Il a des pianos, pleins d’intruments, c’est fantastique ! Et c’est tout petit : il n’y a pas de cabine, on enregistre sur sa chaise à côté de sa console, il y a une vraie intimité avec le gars qui enregistre.
J’avais vécu des séances d’enregistrement avec Araban et c’était en mode « on a payé 150 euros pour la journée, donc il faut être efficace » : tu te loupes, le morceau est raté. Tu n’as pas de marge de manoeuvre, mais quand tu autoproduis, tu n’as pas de moyens. Tu enregistres sur 3 jours, tu récupères le résultat, et tu te dis que tu aurais bien aimé faire autrement.
Ce qui a été génial avec Christophe, c’est qu’il m’a donné une liberté, une marge de manoeuvre énorme. J ‘avais un tout petit budget pour produire le disque, et certaines prises ne fonctionnaient pas. Mais Christophe m’a dit qu’il voulait prendre le temps de refaire les choses : avec le fameux morceau qui ne marchait pas, on a tourné en rond pendant 2 mois avant d’appeler Christophe Pie à la batterie.
Quand on est musicien indépendant, ce n’est pas possible de se payer un studio pendant 2 mois d’affilée. Christophe a fait cet effort et je lui en suis reconnaissant. Du coup il y a une amitié qui est née autour du projet, de ma musique. A la toute fin de l’enregistrement, j’ai composé une chanson, Dear. On l’a enregistrée en une prise et on l’a mise sur le disque : au final c’est peut être celle qui marche le mieux.
Est ce qu’on peut juste savoir, en toute indiscrétion, quel était ce morceau qui avait du mal à fonctionner ?
C’est We Sail, le titre éponyme de l’album. Au début, j’avais fait une espèce d’orchestration un peu chargée, avec violoncelle (Edwige Mazel, qui joue avec les gens du label, était venue enregistrer des prises). J’avais aussi fait une partie de tuba dessus, mais le morceau était très très chargé, on n’arrivait pas à dégager le son, à dégager la chanson. Au final, on a fait un truc tout simple avec un son de guitare ultra saturé un peu crade, mais assez chouette !
Ce qui posait toujours problème c’est que mon picking était ultra irrégulier, en gros, on est musiciens, mais pas les meilleurs du monde (rires). On a essayé plusieurs bidouilles avec Christophe Adam, mais sans succès. Et on a donc fait appel à Christophe Pie. Dans Dempster Highway, l’autoroute, c’est lui.
Ton album est folk, mais on trouve qu’il y a des petites teintes blues dedans. Il y a des morceaux tout en douceur comme Dear mais il y aussi des grosses envolées comme Long Time Go. Tu composes comment, tout seul à la guitare ?
Oui je compose tout seul à la guitare. Sur l’EP que j’avais autoproduit avant, je fonctionnais vraiment tout seul : j’étais pris entre mon travail d’étudiant et puis la musique. Quand j’avais fini de travailler ou quand j’étais en manque d’inspiration pour l’architecture, je m’arrêtais, je prenais ma guitare pendant 2 heures et après je m’y remettais. Ca faisait des espèces de cycles qui finissaient très tard dans la nuit ! (rires) J’avais un petit enregistreur numérique, je me faisais ma piste guitare, ma piste voix, et puis après je mettais le tout sur l’ordinateur, et je rajoutais une deuxième guitare. Je fonctionnait comme ça, par couches successives, parce que j’étais tout seul et parce que ça me paraissait logique de fonctionner comme ça.
Sur We Sail le nouvel EP, on a fonctionné un peu différemment puisque je travaillais avec d’autres musiciens. On a fait des répéts, travaillé les morceaux, enlevé des trucs, rajouté des trucs… On a fait un travail collectif de musiciens même si c’est moi qui dirige le truc. Greg trouve un riff de basse, je lui dit « ça c’est génial, tu le gardes ». Zak est fantastique : par exemple, sur le concert des Trans, il y a une énorme différence entre ce que l’on joue sur scène et l’écoute de l’album. Sur Lost Nation, il arrive en répet’ et il me fait un riff zouk. Je lui dis « on ne va pas faire du zouk Zak! », mais en fait le morceau fonctionne vraiment bien, donc on a gardé la version zouk ! L’enregistrement de l’EP s’est passé dans cet esprit là.
Sur We Sail, qu’on a du refaire à peu près 150 fois, je pense qu’il y a 150 versions différentes ! Pour la première fois, j’ai vécu le travail de studio, avec l’évolution des morceaux pendant l’enregistrement.
On sent qu’il y a pas mal d’influences dans ta musique, si tu devais citer 3 albums sans lesquels tu ne pourrais vivre ?
Blonde on blonde de Bob Dylan, parce que c’est mythique. Un album exceptionnel, Yankee Hotel Foxtrot de Wilco. C’est une période de ma vie où je vivais aux États-Unis : on m’a fait découvrir ce groupe, que j’ai vu a peu près une dizaine de fois, et qui m’a vraiment influencé musicalement. Et le nouveau LP de Bonnie Prince Billy, qui est juste magnifique : c’est tout en douceur, c’est surprenant, il prend vraiment aux tripes ce gars et il le fait super bien.
On a une dernière petite question, est ce que tu n’as pas peur de jouer Dear après l’avoir joué avec ces choeurs génialissimes ?
Je n’ai pas forcément peur, parce que je sais que ce sera différent. Je suis très content d’avoir pu la jouer avec ce choeur de 28 musiciens car je n’aurai peut être pas l’occasion de le faire avant longtemps. Dear, c’est une déclaration hantée d’amour, donc ça ne me gêne pas de la jouer seul. Là, ça m’a touché parce qu’il y a la puissance des voix qui ressort, la chanson est magnifiée. Mais quand je suis tout seul, c’est le texte qui prime, et je trouve ça peut être plus personnel.
Merci beaucoup Clément !
Merci à vous !
Photos et retranscription : Solène
Les photos de ces 5 jours de résidence :
Les photos du Kütu Folk Records, The Band
Les photos du mercredi et du jeudi
Les photos du vendredi et du samedi
Nos interviews des artistes du label pendant les Trans Musicales 2011 :
Nos autres interviews Kütu :
St Augustine (mars 2011)
Evening Hymns (septembre 2010)
Leopold Skin (septembre 2010)
Le label Kütu (par Damien)