[Maintenant 2024] – Le cœur du festival bat (aussi) au Vieux St Etienne

Toujours soucieux de faire battre d’un même cœur les différents publics et les équipes du festival qui investissent encore plusieurs lieux rennais cette année (et même jusqu’à Thorigné Fouillard), l’équipe de Maintenant a à nouveau choisi le Théâtre du Vieux St Etienne comme point d’ancrage ouvert à toutes et tous : des curieux.ses qui veulent se renseigner sur les propositions du festival aux amatrices.eurs de warm-up électro léchés, des passionné.es ou néophytes qui souhaitent assister à des performances inouies, aux publics les plus divers qui viennent découvrir des installations interactives (à noter, c’est important, l’entrée est totalement gratuite), rendez-vous au cœur de Maintenant, Théâtre du Vieux St Étienne. Petit tour d’horizon de ce que vous pourrez y trouver.

Organicity et aBiogenesis de Markos Kay

Commençons par l’artiste qui a signé l’identité visuelle de Maintenant pour cette 24ème édition, mis à l’honneur au Théâtre du Vieux St Etienne par la diffusion de sublimes vidéos immersives, Organicity et aBiogenesis durant toute la durée du festival. Passionné à la fois par l’art, la recherche scientifique et les nouvelles technologies, Markos Kay crée des œuvres en même temps « scientifiquement informées et artistiquement expressives » et choisit souvent d’illustrer un concept, une découverte scientifique par la création artistique, démontrant (un peu comme le festival le fait à sa mesure) que les deux domaines ne s’excluent pas l’un et l’autre. A travers ses œuvres, il souhaite rendre accessibles à toutes et tous les phénomènes scientifiques (avec des concepts parfois très complexes), par une représentation visuelle permettant au public de s’immerger et de comprendre ces phénomènes de manière intuitive.

Pour cela, l’artiste chypriote basé à Londres travaille avec des outils d’IA génératifs. A partir de paramètres initialement donnés par l’artiste, l’IA génère un visuel, basé sur ses paramètres. Ce premier jet généré par l’IA en quelque sorte, est retravaillé par l’artiste, souvent longuement, pour lui donner la forme qui lui convient. Il l’explique ainsi : « J’ai le rôle du réalisateur qui guide l’ordinateur. Je le guide pour exprimer mes concepts et mes idées, mais je laisse aussi l’ordinateur s’exprimer grâce à ses algorithmes. On pourrait comparer ça au tournage d’un documentaire. On contrôle et on choisit certains aspects, comme l’heure ou le lieu où on positionne la caméra, les enregistreurs, mais ensuite, les événements filmés suivent leur propre déroulé sans intervention. » Ensuite, on reprend la matière générée, on la modèle, on la combine, on l’affine pour créer son propre « film », sa propre œuvre.

Maintenant 2024 – Abiogenesis – Crédit : Markos Kay

Particulièrement emballé par les possibilités créatives désormais permises par l’IA générative, et encore plus du fait de sa maladie (Markos Kay souffre d’une maladie neuro-immunitaire et l’utilisation de l’IA générative lui a permis de continuer son travail d’artiste, ce qui lui aurait été impossible du fait de son handicap) que l’outil numérique lui permet de dépasser, Markos Kay souligne le double mouvement qu’on observe : si l’IA générative permet de créer des vidéos immersives qui aident à appréhender les concepts scientifiques, dans le même temps les simulations numériques sont également devenues les principaux outils d’observation de la recherche des scientifiques durant ces dernières années.

Maintenant 2024 – Abiogenesis Oil Flower – Crédit : Markos Kay

Avec aBiogenesis, Markos Kay illustre donc en magnifiques images animées le passage de la matière inorganique aux cellules vivantes ainsi que la transformation des cellules simples en organismes multicellulaires, tandis que la seconde vidéo présentée au Vieux St Etienne, Organicity, s’intéresse à la manière dont les cellules et la matière organique s’organisent en formes complexes, mathématiques, grâce aux principes d’auto-organisation. Dit comme ça, ça semble ardu. Avec ses vidéos aussi prenantes que fascinantes, Markos Kay illustre le contraire.

Soirée d’ouverture : Does It Still Matter de Noémi Büchi et Digé M0m0

Lors de la soirée d’ouverture du festival au théâtre du Vieux St Etienne le mardi 8 octobre à partir de 18h30, la présentation de l’expérience audiovisuelle immersive Does It Still Matter de Noémi Büchi devrait se révéler tout aussi fascinante. De retour au festival après son passage en 2021 pour un live en extérieur spatialisé à 360° devant l’Orangerie du parc du Thabor, Noémi Büchi viendra présenter sa nouvelle performance issue de son dernier et passionnant album en date, Does it still matter, paru au printemps dernier chez -OUS.

Troisième volet autour de la matière et des textures sonores après l’ep Matière (2020) puis l’époustouflant Matter, ce long format au jeu de mot fertile, est la poursuite de la recherche de l’artiste franco-suisse autour de la « physicalité » de la musique, mélange improbable de sons captivants tout en même temps massifs et ciselés, de boucles symphoniques orchestrales, d’expérimentations électroniques, de grésillements et de rythmiques discordantes pleines de chausses trappes, une matière sonore à la fois finement et massivement texturée. Noémi Büchi a prévenu : « l’avant-garde, ce n’est pas faire une musique qui n’existe pas encore, c’est effacer les barrières qui existent entre les genres. » Alors elle mélange, elle frotte, elle incorpore, désincarcère. Pour un résultat fort souvent envoûtant et aussi audacieusement complexe qu’éminemment accessible. Noémi Büchi nous donne à ressentir la masse des textures, à appréhender les différents grains des matières sonores, à sentir physiquement les variations de pression des vibrations musicales.

Noémi Buchi – Maintenant 2024 – Crédit photo : Brigitte Fassler

Avec ses associations sonores toujours imprédictibles, Noémi Büchi remet également en question la linéarité temporelle, mêlant passé, présent et futur, s’interroge sur la dissipation instantanée à l’œuvre autour de nous, sur la permanence fortement compromise d’un monde « devenu fou » en proie aux dangers climatiques et aux crises globales. Sa décohésion musicale et sonore organisée s’en fait peut être le reflet, tout en l’opposant au pouvoir et à la force du son. La matière visuelle du live est conçue par le réalisateur et artiste italien Gabriele Ottino qui dans ses différents projets, interroge les identités, la corporalité et la perception à l’aide des outils numériques visuels, et aime lui aussi à rendre poreuses les frontières, notamment entre les arts. Aussi n’est on pas surpris que les vidéos intègrent danse et chorégraphie, imaginées en collaboration avec (et interprétée par) la comédienne suisse Joséphine de Weck. On gage d’ores et déjà que cette performance hors normes lancera le festival de bien belle manière.

Le même soir, on saluera le retour (mais en solo cette année) de Digé M0m0 derrière les platines pour propulser avec l’énergie qu’on lui connait la foule des spectatrices.eurs sur le dancefloor du Vieux St Etienne. 

Taotie de Thomas Garnier

On le répète et on l’a dit très souvent ici, on apprécie tout particulièrement la sensibilité du festival à mettre en relation le travail des artistes avec les lieux où ils sont présentés, qu’il s’agisse de l’espace public qui permet à tout un chacun.e de s’y frotter sans avoir à passer la porte d’un musée ou d’une salle de spectacles, et souvent de s’émerveiller, tout en partageant un instant suspendu avec ses voisin.es tout autant de passage (cette année  ce sera le tardigrade monumental de Peder Bjurman sur la place du Parlement par exemple); ou bien qu’il s’agisse de lieux plus ou moins inattendus (un concert électronique au milieu des tableaux au Musée des Beaux Arts, une performance audiovisuelle immergé.e dans une piscine, des sculptures monumentales dans une église ou un concert toute la nuit dans un dojo transformé en dortoir par exemple) qui renouvellent le rapport à ces œuvres.

Maintenant 2024 – Thomas Garnier – Crédit photo : Zeng Ye

La présentation de Taotie de Thomas Garnier, au cœur du Vieux St Etienne nous parait justement faire partie de ces frottements fertiles, les vieilles pierres de l’église servant d’étonnant écrin à l’installation robotique du plasticien. Imaginez en effet des imprimantes 3D qui travaillent sans relâche devant nous pour fabriquer des structures, des sortes de modules grillagés, en forme de cubes ou de parallélépipèdes. Ces éléments conçus en 3D ressemblent à des structures d’immeubles, à des charpentes, des poutres métalliques, porteurs verticaux et horizontaux entremêlés perpendiculairement, telles les armatures métalliques des gratte-ciel aux formes rectilignes. Pour autant, puisque vides de tout, hormis leurs armatures, on s’interroge : nous trouvons nous devant un projet en construction ou bien devant ses ruines ? Le ronronnement métallique des imprimantes 3D toujours au travail s’accompagne des grésillements légers et bruitistes que produit le déplacement d’un robot monté sur roues au milieu de tous les modules.

Chacun de ces douze modules, qu’il soit assemblé ou non à d’autres, est en effet disposé sur une table de distribution. Parmi eux, un robot logistique se balade. Et modèle continuellement le tableau d’ensemble. En se faufilant sous les tables de distribution, il se saisit de modules pour les déplacer dans l’espace et les ré-assembler différemment. Il projette également des rayons lumineux qui éclairent les sculptures/structures toutes en creux sous différents angles, ces lumières les traversant en partie pour créer un étonnant théâtre d’ombres sur les murs. A la manière des fantasmagories du 18ème siècle (procédé consistant à produire dans l’obscurité sur une toile des figures lumineuses fantomatiques au moyen d’appareils de projection dissimulés), mais en en revisitant complètement leur imaginaire visuel, puisqu’apparaissent plutôt les fantômes d’une ville abstraite, froide et métallique, tout en ombres mouvantes, Thomas Garnier joue sur nos perceptions. Comme dans la caverne platonicienne, les ombres de cette ville sans fondation, ne sont très certainement qu’illusions toujours renouvelées.

Taotie – Thomas Garnier – Maintenant 2024

Architecte de formation, l’artiste plasticien questionne l’espace et plus particulièrement les nouveaux espaces (ou, comme l’aurait dit Foucault, les espaces autres ?) tels ces grands entrepôts aux structures sommaires qui abritent les dark factories. Ces usines logistiques entièrement automatisées fonctionnant sans intervention humaine, n’ont en effet pas besoin de lumière puisque les robots peuvent sans peine travailler dans le noir et que l’on se soucie juste de faciliter leur déplacement sans obstacle pour assurer leur productivité métronomique. Taotie, avec son robot, toujours en mouvement, qui déplace les modules sans fin (dans tous les sens du terme) en apparait comme un inquiétant écho, ses déplacements y semblant encore davantage vidés de leur sens, confinant à l’absurde. A la manière de Cénotaphe, l’une de ses précédentes et fascinantes installations (un robot assemble et désassemble en continu des éléments sculpturaux en béton pour générer une ville toujours en construction en maquette, qui ne sera jamais occupée, tandis qu’en dessous, un second paysage se crée, composé par les déchets de la production elle-même), Thomas Garnier questionne le sens de ces espaces déshumanisés, de ces paysages qui se génèrent et évoluent par eux mêmes, dans une temporalité différente de la nôtre. Pour autant, si cette mise en scène de l’absurde se révèle aussi tragique qu’un tantinet angoissante, il en émane une poésie diffuse, un peu comme le sombre romantisme qui accompagne l’esthétique des ruines.

Diyauto Orchestra par Simon Lazarus, S8jfou et Clara Rigaud

On poursuit avec une installation interactive assez étonnante. A la suite de la performance audiovisuelle Op Echo  conçue pour accompagner la sortie de l’album de S8jfou du même nom en live qui avait été présenté en 2022 à la Nuit électronique de Maintenant où musiques et images s’influençaient continuellement (le dessin physique mettant en tension imagerie virtuelle et matérialité sur la tablette graphique de Simon Lazarus générait en effet du son qui était ensuite bouclé en live travaillé par le musicien S8jfou), les deux artistes s’associent à la développeuse Clara Rigaud (également membre du collectif Random Pixel Order qui travaille sur des projets à l’intersection des arts numériques, du bricolage et de la micro-édition) pour créer une installation interactive immersive DIYauto Orchestra, hommage au bricolage Do it yourself, comme l’indique déjà son nom.

Maintenant 2024 – DIYauto Orchestra – Simon Lazarus, Clara Rigaud, S8jfou

Imaginez des instruments très étranges, ou plutôt devrait-on parler d‘instruments objets, dont vous pouvez jouer comme bon vous semble. Conçus en biomatériaux, en bois, en métal (par choix écologique, S8Jfou a en effet décidé de bannir au maximum le plastique de sa vie), ces instruments (que les artistes associent également à des sculptures) animent une fresque audio/vidéo en temps réel selon ce que vous jouez. A vous de deviner à quels gestes les sculptures répondront et quels événements sonore ou vidéo vous pourrez produire. On n’en sait encore pas beaucoup plus mais on parie sur le succès futur de l’installation auprès des minots et moins minots.

Let’s dance au Vieux St Etienne

En plus de ces expositions et performances, vous pourrez également profiter du Vieux St Etienne en mode dancefloor tous les soirs du festivals. Le vieux St Étienne, cette année encore cœur battant du festival, verra en effet à nouveau expositions et installations le jour, avant de se transformer en dancefloor pour des soirées clubbing dès la tombée de la nuit chaque soir du festival de 19h à 22h30 -ou 23h30 le vendredi et le samedi- (avec encore une fois c’est à souligner et saluer, une entrée gratuite pour toutes et tous).

Azuur – Crédit photo : Lucie Abraham

Le mercredi 9 octobre, ce sont deux figures du collectif Nox Aeterna, qui prendront les platines pour deux dj sets bien musclés à base de techno massive et rentre-dedans, entre rave et gabber, mais toujours enchainée et mixée avec tact et finesse, qu’il s’agisse de Just MC ou Azuur. On a un petit faible pour ces deux artistes et on gage qu’elles mettront sans attendre le dancefloor sous oxygène à coups de bpm nerveux et percutants.

Le lendemain, on ne devrait pas vraiment ralentir le tempo puisque qu’avec le dj set en back to back (les deux artistes se partagent les platines) de Nuanss et Dj Lm$, la fièvre rythmique ne risque pas baisser d’un degré tout en intégrant cette fois-ci une bonne louchée de bass music. Réunissant ce soir-là les mondes militants queer et des nuits électroniques avec Vilaines Teufs et Les chiennes de l’hexagone le line up sera complété par un live de Formika. (fondateur du collectif Vilaines Teufs, alliant musique électronique et performance Drag), à la fois éclectique et progressif.

Maintenant 2024 – Sabb – Crédit photo : DR

C’est également un live que nous proposera Coeur2Fonte le vendredi 11 octobre. Egalement artiste plasticienne, Alix Desaubliaux qui mène en parallèle de sa carrière artistique un travail de recherche autour du jeu vidéo, mêle dans ses lives samples inspirés par les kaijus (monstres géants des films japonais comme Godzilla ou Gamera par exemple) et travail autour de la synthèse FM (génération numérique de sons par modulation de fréquence) pour un résultat des plus envoûtants. Toujours en live, mais plus rêche et minimal avec juste un synthé et une boîte à rythmes, le  duo belge Pizza Noise Mafia (aka TG et Carrageenan) revient par ici à l’occasion de la future sortie de son prochain album sur Dalmata Daniel. Redoutable mélange de funk glacial et de synth punk hypnotique et brulant, le chaud-froid musical de ce démoniaque duo devrait avoir un effet ravageur sur le dancefloor du Vieux St Etienne. Le même soir, Sabb, artiste activiste marseillaise queer pour plus de diversités dans les musiques électroniques (et ailleurs…) prendra les platines pour une sélection des plus inspirées entre techno progressive et EBM, sans jamais s’interdire d’y glisser sonorités orientales et « ses influences Afro-diasporiques » (on cite).

Maintenant 2024 – Why the Eye – Crédit photo : Hugo Boutry

Juste avant de filer à l’Antipode pour une Nuit Electronique des plus passionnantes, le samedi 12 octobre, vous pourrez vous mettre en jambes avec deux lives et un dj set au Vieux St Etienne. On l’avoue penaud.e, on ne l’avait pas vue venir, cette alliance entre chiptune music (musique 8-bit, créée à partir des sonorités des jeux vidéo type gameboy pour dire très vite) et gwerziou (complaintes bretonnes traditionnelles) que proposera René Danger au Vieux St Etienne. A l’écoute de plusieurs titres de l’activiste des ondes pirates co-fondateur du label Edidentités, cela fait pourtant étonnamment sens et l’on se promet un moment de danse des plus surprenants pour cette Ambiance électronique. Tout aussi étrangement barrés, les Why the Eye de retour à Rennes jouent sur d’insolites instruments bricolés (radiocaphone, papillon, drumkit rempli de graines et autres castabignettes) mais surtout produisent une « électro » étrange complètement DIY, en même temps tribale et expérimentale. Ajoutez à cela que nos curieux drilles belges se griment et portent de fantastiques masques baroques totalement fascinants sur scène. Réalisés avec des objets de récup, ces parures parfaitement jubilatoires et libératrices participent encore de cette techno expé bien cintrée, toujours rivée au rythme chamanique et psyché que le quatuor imprime à ses compos. Une transe joyeuse et décalée devrait donc sans aucun doute remuer le dancefloor. A noter, leur prochain album, Inspirex, sort ces jours-ci. Le même soir, Joanna OJ prendra les platines pour un set qu’on pressent d’ores et déjà bien déstructuré comme on les aime. L’artiste ne s’interdit en effet aucun territoire sonore et devrait elle aussi nous mettre dans les meilleures dispositions pour la Nuit Electronique qui suivra à l’Antipode (on vous en parlait là).

Bref, vous l’aurez compris, on a bien hâte que ce soit enfin Maintenant.

Retrouvez tous nos articles avant, pendant et après Maintenant ici.


Maintenant aura lieu du 8 au 13 octobre 2024 à Rennes. Plus d’1fos ici


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