Du violoncelle trafiqué dans une église, un vibraphone sous une montagne, du métal au Parlement de Bretagne, des décibels dans une bibliothèque ou des expérimentations sonores dans une salle d’expositions du Musée de Bretagne : voici quelques Expériences que nous proposait Maintenant durant cette dernière semaine de festival. On vous raconte.
Expérience, le concept
Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant, venait se nicher un septuor de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes» nous a ainsi emmenés dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau.
Particulièrement friand des étonnants dialogues qui se nouent entre un lieu et la performance musicale qui s’y donne à entendre, on a plutôt été gâté par cette nouvelle série d’Expériences. Lesquelles se sont déroulées l’une dans une bibliothèque, telle autre dans un salon boisé aux riches décorations du Parlement du Bretagne, deux autres encore sous la magnifique installation de Yasuaki Onishi, Reverse of Volume (si vous n’êtes pas encore allés la voir, courrez-y !) ou dans l’écrin des salles d’expositions du Musée des Beaux arts. A chaque fois, on a eu l’impression de vivre un moment suspendu, hors du temps, né de la (parfois étonnante) rencontre entre le lieu et la performance.
Expériences 1 et 3 : les délicates harmonies de Masayoshi Fujita
Pour Maintenant, Masayoshi Fujita (artiste issu de plateforme européenne SHAPE, initiative cofinancée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne) se produisait à deux occasions, l’une le 13 octobre, accompagné de musiciens du Conservatoire de Rennes au Musée des Beaux-Arts, l’autre la veille en solo aux Champs Libres : une belle manière d’explorer les différentes facettes de son travail (solo/groupe). On le découvre donc d’abord en solo sous la somptueuse installation de Yasuaki Onishi, Reverse of Volume, autrement dit une montagne inversée féérique faite d’une bâche et de fils de glue, qui semble respirer.
Au centre de la cavité formée par l’immersion du vide, le jeune musicien s’installe derrière son vibraphone et commence à nous en expliquer le fonctionnement : les lames d’aluminium frappées avec des baguettes en bois dont la tête est recouverte de fils de textiles résonnent grâce à des résonatrices (les sortes de tuyau en aluminium en dessous de chaque lame). En plus de cela, l’instrument est également doté de sortes de petits cercles de métal qui s’ouvrent et se ferment grâce à l’électricité, créant des effets de vibrations plus ou moins rapides selon la vitesse du moteur. Une bande de feutre, placée sous les lames, permet également d’étouffer la résonance des lames lorsque le musicien utilise sa pédale.
Le garçon commence son set avec Tears of Unicorn dont il nous explique l’histoire, comme chacun des titres qui vont suivre. Enfin, non, pas l’histoire exactement, précise le garçon, plutôt l’ambiance, l’atmosphère qui y président, un peu explique-t-il, comme « les images d’un livre dont on ne comprendrait pas la langue » . Il y est question de vent, de pantins animés au pays des jouets, des éléments personnifiés, d’animaux fantastiques (cygnes, licornes) ou de l’esprit du lac ou de la nuit, autrement dit tout un monde féérique et onirique. Auquel les délicates harmonies qui s’élèvent de l’instrument donnent des atours encore plus merveilleux.
Sous le fragile relief de Yasuaki Onishi, la musique du jeune Japonais gagne en amplitude. Les douces vibrations de son instrument y trouvent une caisse de résonances inédite, qui en sublime l’harmonie. Jouant sur les variations de tempo, mais également d’intensité, le musicien propose un set au relief varié mais jamais accidenté, ponctuant même sa prestation de petites trouvailles bienvenues.
L’instrument, nous explique Masayoshi Fujita, n’existe que depuis une centaine d’années, ce qui laisse d’immenses champs d’explorations possibles à venir. Masayoshi Fujita a ainsi cherché de nouvelles façons de jouer de son vibraphone. En plus des quatre baguettes percutant les lames de métal et le jeu de pédale pour étouffer les sons, le Japonais se sert également de deux archets notamment (l’un pour violon, l’autre pour violoncelle), frottés sur les lames pour contrôler le son (notamment Requiem qui plonge le public dans une écoute quasi religieuse), ou prépare son vibraphone en y posant des objets inédits un peu comme un piano préparé – cordelettes garnies de perles, feuilles d’aluminium « de cuisine » , précise-t-il ce qui fait rire tout le monde-.
Au Musée des Beaux Arts sous les impressionnantes peintures religieuses (et notamment sous un Christ descendu de sa croix), Masayoshi Fujita est accompagné par quatre jeunes musiciens du Conservatoire de Rennes au violoncelle, au violon, à la clarinette et à la flûte traversière. Si l’on avait pu entendre certains de ces morceaux d’Apologues (Erased Tapes – 2015) arrangés avec plusieurs instruments autour du vibraphone, le contraste avec le live de la veille est tout aussi riche. L’instrument tout en vibrations délicates et oniriques trouve des contrepoints particulièrement bienvenus avec les quatre instruments acoustiques. Le parfait équilibre des timbres, qui parfois jouent à l’unisson, parfois se détachent, s’amuïssent et bruissent doucement est du plus bel effet.
Le set est sensiblement le même que la veille, hormis un Puppet’s Strange Dream Circus Band inaugural, nous semble-t-il, mais les versions différemment arrangées soutiennent pareillement l’intérêt. Relevé ici par un magnifique mouvement de flûte (sur Moonlight), là par un écho profond de la clarinette ou un tapis de cordes (Tears of Unicorn), les morceaux sont tout aussi envoûtants. D’ailleurs l’écoute semble encore plus attentive que la veille aux Champs Libres. Les répétitions avec les jeunes musiciens n’ont duré que 3h l’après-midi même, de l’aveu de l’artiste, et le public s’en trouve bluffé. Sur Moonlight, justement, le musicien laissera le final aux quatre jeunes gens, se contentant de battre la mesure des mains.
Le public est ravi et la « nouvelle » version de Requiem (avec les deux archets) est écoutée dans un silence totalement suspendu. La magie semble avoir gagné toute la salle. Les notes sautillantes de River, qui s’ancrent sur les respirations profondes du violoncelle, accompagnées du son froissé de l’aluminium finissent d’enchanter les spectateurs. Aussi, pour finir, particulièrement ravi de l’accueil reçu par sa performance, Masayoshi Fujita revient pour un rappel en solo et sans électricité. Il débranche son instrument, le recouvre en partie d’une serviette/torchon, fait s’écarter les coussins au centre de la salle et vient jouer un Swan and Morning Dews, debout au milieu du public pour un moment une nouvelle fois plein de douceur. La salle retient quasi son souffle pour ne rien perdre des vibrations des lames légèrement frappées ou caressées par l’archet qui emplissent tout doucement la salle. A un moment, même, l’archet vient délicatement résonner sur une partie non métallique de l’instrument, évoquant le bruissement des ailes des cygnes et leurs légers cris dans un silence total. Au final, deux jolis moments au fort pouvoir d’enchantement.
Expérience 1 : Masayoshi Fujita – Photos Mr. B.
Expérience 2 : Julia Kent et Tom Adams, la douceur d’un effondrement
Ce mercredi 12 octobre, c’est cette fois-ci dans l’Église Notre-Dame-En-Saint-Melaine qu’a lieu la nouvelle Expérience, avec deux artistes qui se partagent la soirée.
Tom Adams
C’est d’abord le piano droit installé devant l’autel qui va résonner dans la nef principale (un poil moins froide que l’an dernier). On peste un peu sur la disposition (mais pas sûr que l’équipe du festival ait eu la permission de placer les musiciens à la hauteur de l’autel) qui ne permet qu’aux deux (trois ?) premiers rangs d’apercevoir le musicien. On n’en distingue pour notre part que la tignasse abondante (et encore, selon le sens du vent) et (fort heureusement) les notes délicates.
De formation classique, mais amateur de pop éthérée et aérienne, le jeune Britannique Tom Adams se concentre essentiellement sur une alliance piano-voix minimaliste dans son instrumentation, mais particulièrement lyrique dans son intention. Ce soir, le garçon garde la même épure et propose un set uniquement centré sur son jeu au piano et sa voix haut placée. Dès les premières notes de piano, justement, le silence se fait soudainement dans l’église. Le lieu apportant à la fois solennité et magie à la prestation.
On reconnaît plusieurs titres du dernier ep en date, Voyages by starlight sorti cette année sur Kowloon Record, notamment l’éthéré Fade sur le refrain duquel la voix du musicien monte encore plus haut ou sur le délicat Seven Birds. Ultra mélodiques, les compositions du garçon sont interprétées avec ce qu’il faut de retenue et d’emphase.
Arpèges répétés au piano et voix aérienne (souvent comparée à celle de Jeff Buckley ou Sigur Ros), la musique de Tom Adams se veut aussi intimiste qu’émouvante. C’est joli et ça a dû plaire à beaucoup. Nous, on trouve ça mignonnet, certes, mais guère plus. On attendait que le garçon trouble un peu les ondes lisses de ses développements avec quelques aspérités. Pour autant, le jeune homme reste fort sympathique, essaie de parler en français et la joue sans esbroufe, ce qui rend le moment agréable.
Julia Kent
Il est vrai, on l’avoue : on est surtout venu pour Julia Kent. Aussi ne frissonne-t-on pas que de froid lorsque la violoncelliste canadienne (from Vancouver, mais installée à New York) se glisse pieds nus derrière son instrument couleur charbon, son ordinateur et ses pédales de boucles (et d’effets ?). Ce qui force l’admiration, vu la température supposée de la dalle froide.
On ne prend pas trop le temps de le considérer tant, dès le premier coup d’archet sur les cordes, on a le cœur immédiatement pris. Tout aussitôt, la musicienne commence à boucler les lentes plaintes de son instrument, les strates se superposant, de plus en plus profondes et prenantes. En quelques secondes à peine, on a basculé dans l’univers de la Canadienne et on se trouve happé avec l’envie de s’y noyer déjà.
Julia Kent mêle différentes strates de violoncelle, boucle son instrument grâce à ses pédales, mélange ses sonorités aux programmations électroniques et field recordings. Le violoncelle se démultiplie, les textures se superposent, les morceaux atteignant des sommets d’expressivité. Le violoncelle fait corps avec les machines, acoustique et technologie fusionnent dans un même mouvement pour un résultat qui centrifuge ensemble cœurs et âmes.
A coups d’archets dévastateurs de douceur, écorchant tout autant nos épidermes par ses aspérités que par ses douces caresses, la musique de Julia Kent résonne haut sous les grandes arches de pierre. La vieille église apportant une fois encore magie et solennité. Pourtant, se dit-on, ce serait la même chose devant une baraque à frites, tant la musicienne sait transmettre les vibrations de l’âme à celles de ses cordes profondes.
Les morceaux, pour une grand part issus d’Asperities le quatrième et plus récent album solo de la musicienne, se révèlent tous tout aussi passionnants qu’émouvants, et ce tout au long du set. On en suit les constructions tout en superpositions, ajouts, retraits, avec le cœur au bord des lèvres. Les cordes et les textures électroniques s’y frottent, jouets d’une tectonique des plaques à l’irrésistible puissance dévastatrice. Mais s’y mélangent également, se fondant les unes aux autres, la musicienne semblant parfois vouloir effacer les frontières entre textures organiques et électroniques. Avec Julia Kent, l’expérimentation reste toujours au service de l’émotion.
A la fin de sa prestation, la musicienne nous offre un ultime morceau, bravant une dernière fois le froid de la vieille église pour encore quelques minutes suspendues. Le set a passé comme dans un rêve. On en est sûr : la violoncelliste est définitivement de celle dont la musique nous déchire l’âme et le cœur toujours aussi sûrement.
Expérience 2 : Tom Adams & Julia Kent – Photos Mr. B.
Expérience 4 à 178°
Dans les projets encore relativement confidentiels de la scène rennaise, le formidable trio 178° mériterait encore davantage d’exposition. On a eu la chance de le croiser lors de concerts organisés par Tendresse et Passion ou par les tout aussi joyeux brindezingues de l’Alambik, on est donc plus que ravi de le retrouver dans cette programmation Expérience de Maintenant. Ce vendredi 14 octobre, c’est dans l’ambiance feutrée de la Bibliothèque des Champs Libres et sur la moquette de son deuxième étage que le trio prend place devant un public venu en nombre. Surprise, notre groupe mystérieux préféré a décidé de suivre au mot près la proposition du festival et se prend au jeu de l’expérience.
Si on a en effet déjà pu voir le trio à plusieurs reprises, les joyeux drilles ont ce soir décidé de modifier en grande partie leur set. Exit les machines ou presque (en grande partie) et place aux guitares (électrique et classique), basse (piano même sur un titre) et batterie. Avant que le concert ne débute, le facétieux (et talentueux) François Goujon triture ses machines, plongeant l’air de rien, nos oreilles dans des circonvolutions alambiquées qui les rendent immédiatement réceptives à ce qui va suivre. Notamment aux strates vocales à la Animal Collective brouillées du formidable (When The Fagociraptor) Thinks About Her dont les vrombissantes nappes rugissent sur les vitres du second étage (soit dit en passant, c’est la première fois qu’on entend un concert si électrique dans l’espace feutré de la bibliothèque et c’est particulièrement chouette).
C’est d’ailleurs ce qu’on adore avec 178°, cette propension à passer sans retenue d’une folk-pop décharnée, éthérée et cliquetante à une électro vrombissante toute 4/4 dehors, d’une pop lysergique et synthétique à des expérimentations vocales embrouillées, et le tout avec une fluidité désarmante.
On pourrait, à tort, prendre ce goût pour l’éclectisme comme une propension à la dispersion. Mais c’est tout le contraire avec cette belle bande, qui navigue avec le même talent vers des rivages totalement différents. Comme le prouvent les nouveaux arrangements qu’on découvre ce soir. En effet, si François Goujon reste accroupi sur ses machines au sol pour les deux premiers titres, il ne tarde pas à échanger les potards contre les baguettes pour frapper les toms de la batterie (également parfois à paumes nues), voire une guitare classique étonnamment accordée sur le final, tout en restant quasiment tout le temps hilare. Face à lui, ses deux comparses, à la basse et à la guitare électrique assurent le chant, voire le piano et proposent les morceaux dans des versions totalement inédites mais tout aussi réussies.
On savait le talent XXL du trio pour composer des mélodies particulièrement bien troussées, quitte à les passer au papier de verre (gros grain) et à les brouiller (avec le même talent). Ce soir, c’est bien souvent leur tendre fragilité qui ressort, portée par les deux voix, qui harmonisent parfois ou se livrent, seules (en français même sur un titre) avec une réelle vertu mélodique
Avec 178°, on le répète, on apprécie particulièrement la place laissée aux voix. Qu’elles soient passées à la moulinette d’effets multiples, vocodérisées à outrance ou juste livrées dans leurs fragilités comme souvent ce soir aux Champs Libres, elles apportent une touche mélancolique particulièrement émouvante, qui alliée à l’esprit frondeur des accompagnements, achèvent de rendre le tout extrêmement convaincant.
Ceux qui aiment la musique plurielle, celle qui brille de mille éclats plutôt que d’un seul feu. Ceux qui préfèrent les musiques de traverse, celles qui ne s’interdisent aucun territoire (de la pop à l’aciiid, des vrombissements au minimalisme). Tous, comme nous, se laissent déporter sur ces virages à 178° degrés qui ne laissent jamais les mélodies sur le bas-côté. On ne sait trop ce que tout le monde présent aux Champs Libres aura pensé de la prestation. On y aura pour notre part entendu un groupe particulièrement émouvant, doué et touchant, à l’univers étonnamment abouti et bien souvent passionnant. Oserait-on dire qu’on attend impatiemment que le trio mette tout ça sur bande ?
Expérience 4 : 178°
Expérience 5 : Light Metal Music par Jacksoи : la transformation de la lumière en son
Finalement programmée au Parlement de Bretagne, la performance proposée par Jacksoи (également artiste issu de plateforme européenne SHAPE) le vendredi 14 octobre, Light Metal Music, prend place dans la Grand’Chambre du bâtiment historique rennais. Une fois encore, le moment est assez surréaliste, puisqu’à la nuit tombée, une petite foule se masse devant le Parlement, passe les détecteurs de métaux et suit le dédale intérieur des grands escaliers de pierre. Arrivés devant la salle, il nous faut patienter quelques instants. On nous prévient d’ailleurs : il fait très sombre à l’intérieur et il s’agit de s’installer sans encombres. Dans la quasi obscurité, on choisit donc une banquette de velours rouge, au-dessus d’un parterre de chaises et de fauteuils.
Sur le devant de la salle, un étrange bric à brac lumineux fait de feuilles de métal, de prismes et autres filins métalliques attire les regards. Nos yeux progressivement habitués à l’obscurité distinguent ensuite quatre immenses feuilles de métal tendues verticalement aux quatre coins de la pièce, entourant les spectateurs et les réfléchissant légèrement déformés. Un immense écran sert également de réceptacle aux spectres lumineux que Jacksoи produira en diffractant les rayons de lumières avec ses prismes et autres feuilles de métal.
Immense, dans sa tenue de mécano pro-solaire (les fans de Lokas comprendront), autrement dit entre bleu de garagiste et tenue spatiale, Jacksoи s’installe au centre de ses étranges instruments. Au plafond, on distingue désormais les ors et les fresques, les bois richement décorés. Le contraste avec les machines futuristes du musicien est particulièrement puissant. Créant ses propres instruments électro-acoustiques, Jacksoи utilise des surfaces métalliques, des machines aux formes étonnantes, des contrôleurs pour le moins mystérieux et des sortes de mini harpes à trois cordes sur lesquelles tirent ses grands doigts. Dont les formes s’apparentent finalement tout autant à des sculptures qu’à des instruments.
On ne perçoit pas complètement comment les actions et les sons s’articulent, quelles correspondances s’établissent entre les gestes du musicien et les sons qui emplissent la salle. On devine pourtant que, comme l’indiquait une affichette à l’entrée de la salle, la lumière est transformée en vibration sonore. Le métal vibre, les grandes plaques au quatre coins de la salle entrent en résonances, et un micro derrière chacune d’elles, en transmet les vibrations. On comprend que le musicien travaille sur la traduction sonore du spectre de la lumière. A partir d’un faisceau lumineux diffracté par des prismes ou des métaux réfléchissants, les couleurs lumineuses se voient transformées en sons, comme une sorte de re-synthèse en temps réel. Les fréquences sonores s’amplifient alors dans les grandes plaques de métal réfléchissantes, entrées en vibrations.
Jacksoи se se saisit tour à tour de plaques de métal plus ou moins martelées, tordues, ondulées et les fait vibrer, les levant au-dessus de sa tête, les faisant passer dans les reflets spectraux. Un drone profond et vibrant emplit la salle, constamment modulé, entrecoupé parfois de sonorités plus claires et aiguës (voire aériennes). Il glisse un étrange contrôleur sur des filins tout aussi mystérieux, abaisse et lève les cordes de ses instruments, se tourne face aux grandes plaques de métal entrées en résonances. Si le tout vibre, et de tout côté de la pièce, ça manque un peu de vrombissements et de puissance sonore (on a sûrement trop écouté Pan Sonic) à notre goût (mais tant mieux pour les kids qui se bouchent déjà les oreilles avec les mains en face de nous). Néanmoins, les sons créés, tout comme l’instrumentarium utilisé sont loin d’être inintéressants et on se laisse porter par le chant du métal et de la lumière. On reste néanmoins un peu sur notre faim au final, car la performance est de courte durée (on n’est même pas sûr qu’elle ait duré 30 minutes tout au plus). On sera néanmoins ravi d’avoir découvert cette proposition intrigante, qui plus est dans un tel décor.
Expérience 6 : l’électronica classieuse de Le Comte
Pour cause d’affluence record et de jauge très limitée, on manquera la prestation de Le Comte aux Champs Libres (sous Reverse of Volume, également), tout en se promettant d’aller dès que possible écouter en live son électronica résolument classieuse. Là encore l’expérience devait être époustouflante, et particulièrement émouvante sous l’installation de Yasuaki Onishi. Si vous faites partie des chanceux qui ont pu y assister, n’hésitez pas à nous raconter.
Expérience 7, les textures sonores immersives de Klara Lewis
Pour cette dernière Expérience, on retrouve le Musée des Beaux Arts et son Christ descendu de la croix. Comme Jacksoи, au départ programmé au Théâtre du Vieux St Étienne, la performance de Klara Lewis (elle aussi artiste issue de plateforme européenne SHAPE) a dû être déplacée pour cause de Cité occupée (arf), et en lieu et place des voûtes en pierre de la vieille église, c’est finalement une salle d’expositions couvertes d’immenses peintures religieuses qui entoure la petite table où sont disposés l’ordinateur et les machines de la jeune artiste suédoise.
On regrette un instant l’obscurité fantomatique du Vieux St Étienne qui aurait encore favorisé l’immersion dans le riche univers de la jeune femme. Car pour le coup, la concomitance entre le lieu et la performance semble de prime abord hautement improbable. Mais comme l’affiche du festival réalisée par Katie Scott prenant en référence les anciennes planches naturalistes venait habilement télescoper l’image d’un festival tourné vers les nouvelles technologies (entre autres), le dialogue noué entre les peintures classiques, les hauts cadres, la haute verrière et la performance bruitiste de la jeune femme est particulièrement étonnant et rafraichissant.
Assise derrière son laptop, ses quelques machines, sa table de mixage, la toute jeune productrice (si on a bien compté, on arrive à 23 ans) est intensément concentrée sur les sons qu’elle délivre, suit dans son petit carnet les différents réglages des potards tandis que les sons créés emplissent progressivement la salle. Pour produire ses morceaux, la jeune femme enregistre les sons et les images autour d’elle, avant de les manipuler, les triturer, les éditer fortement. Elle les transforme, les travaille, les malaxe pour les mêler en d’innombrables couches, strates… La majeure partie des sons qu’elle utilise vient donc de field recordings (avec quelques samples et autres sons synthétiques), mais tout est tellement enchevêtré à l’extrême qu’on ne reconnaît pas la part organique dans ce tissage abstrait. Pourtant, ces textures gardent quelque chose d’intrinsèquement tangible, contiennent en elles une part de la puissance de l’organique.
Dans un magma de strates granuleuses, la jeune femme agite imperceptiblement la tête, semblant y entendre un groove profond, insidieux et secret. Les grésillements deviennent alors masse sonore charriant des blocs de lave sonore incandescents, dont le mouvement s’imprime durablement à nos oreilles. Une sorte de muezzin, pris dans les volutes d’un vent glacial, émerge alors d’une larme de silence, avant que des échos profonds ne l’enveloppent. La construction du titre, tout en brisures ouatées et nappes intenses, joue sur la répétition, les silences, et emporte progressivement l’oreille. Qu’il s’agisse de l’attention portée à la qualité des textures sonores qu’elle triture ou de l’intelligence de ses compositions, qui s’organisent progressivement par ajouts, retraits, répétitions, échos et complexifications, l’univers de Klara Lewis se révèle d’une densité folle. Sans compter les variations de volume, d’intensité, que la jeune femme maîtrise avec le même insolent talent. Tout comme cette qualité de jouer avec le silence.
Boucles granuleuses, textures pleines d’épaisseur, nappes aériennes : on est progressivement totalement happé par l’amplitude du spectre sonore. L’arrivée d’une sorte de tissage abstrait de voix qui s’enchevêtrent dans des langues en même temps inconnues et aux accents humains intensément familiers nous prend alors aux tripes, tant l’immersion de l’humain et de sa fragilité, perdue dans l’immensité de grésillements ou de nappes aériennes prend ici un profond écho. Plus loin, le set prend une dimension rythmique plus marquée, avec la même réussite. Des sortes de résonances, de bleeps à la Sleeparchive hypnotisent progressivement l’oreille, tandis que le spectre sonore, particulièrement plein, emplit graduellement la salle.
D’autant que le lieu vient lui aussi jouer sa part dans la performance : les dalles de verre au plafond entrent parfois en résonance avec les riches agrégats sonores, les toiles des peintures renvoient différemment les sons dans la pièce, tandis que les hauts cadres entrent en vibration avec les murs de la galerie. Le travail sur la spatialisation sonore, déjà impressionnant (on se retourne plusieurs fois, croyant entendre le son venant de derrière : il n’en est rien), trouve alors un nouvel écho dans la salle même. Finissant de donner à la performance la magie de l’instant.
Une montée progressive faite d’une agglomération de voix sert de climax final avant l’irruption particulièrement bien amenée, d’un silence étonnamment dense, clôturant de façon éblouissante un septet de propositions particulièrement réjouissantes.
Et dire qu’il faut Maintenant attendre l’année prochaine…
Expérience 7 : Klara Lewis – Photos Mr. B.
Maintenant 2016 avait lieu du 7 au 16 octobre 2016. Plus d’1fos.