L’artiste canadien, Herman Kolgen a proposé une nouvelle soirée atypique au festival Cultures Electroni[k]. Si vous aviez déjà entendu des castagnettes d’aubergines dimanche, écouté des machines sonores invisibles dans le noir allongé sur un futon lundi, il vous fallait enfiler votre maillot de bain ce mercredi soir pour découvrir la nouvelle proposition du festival. Une centaine de chanceux ont donc pu passer les portes de la piscine Saint Georges pour une soirée gratuite qui affichait déjà complet une semaine à l’avance ! La proposition ? Assister à Inject, une performance multimédia d’Herman Kolgen en diffusion subaquatique immergé dans la piscine art-déco rennaise.
Peu connu du grand public, Herman Kolgen est pourtant parmi les artistes les plus respectés de la sphère artistique. Présent à la biennale de Venise, notamment, durant la collaboration Skoltz_Kolgen, l’artiste québécois est plébiscité à travers le monde pour ses créations multimédias. La performance Inject a donc été présentée dans de nombreux lieux à travers le monde depuis sa création. Mais c’est la première fois que celle-ci se déroule face à des spectateurs immergés.
On est déjà nombreux devant le bâtiment une demi heure avant, chacun se demandant si l’heure indiquée sur le programme correspond à l’ouverture des portes ou au début de la performance. Qu’importe, on est déjà reçu par l’équipe d’Electroni[k] pour indiquer notre nom, la jauge de ce spectacle étant relativement petite pour des raisons d’espace et de sécurité évidentes. On rentre alors dans la piscine déserte. Un immense écran blanc est tendu face à nous, incliné au-dessus de l’eau.
Tout le monde se disperse des deux côtés du bassin pour prendre possession des cabines. Et chacun de ressortir en demandant : » mais on passe par où, après ? » étant donné le caractère inhabituel de la situation. Rapidement, il devient évident qu’on fait comme à l’accoutumé, passage par les douches, etc. .
On plonge alors dans le bassin. Déjà, des sons sont audibles lorsqu’on s’immerge entièrement, ce qui donne déjà un caractère surnaturel au moment. Le bassin se remplit progressivement mais plutôt rapidement. On nous distribue des frites pour aider à la flottaison. Malheureusement, le temps écoulé entre la projection et l’entrée dans l’eau est relativement long. Même si on bouge, les plus frileux commencent déjà à sentir la fraîcheur de l’eau. A la surface, on plaisante autour de nous : « dans trois quart d’heures, on risque d’être totalement gelé » , « et dire qu’on la trouve froide, maintenant ». Ils ne croient pas si bien dire…
Et puis, les images apparaissent sur l’écran. D’abord des images urbaines, en retenue, avec entre autres, ce camion citerne en apesanteur. Et puis arrive ensuite l’essentiel : l’immersion d’Yso dans l’eau… Inject, on le rappelle, présente des images d’un corps humain injecté dans une citerne pleine d’eau. Durant 45 minutes, ce corps immergé subit plusieurs transformations neuro-sensorielles. De l’épiderme aux terminaisons nerveuses, le corps d’Yso ressent la pression du liquide jusqu’à ce que son cerveau perde progressivement toute notion du réel. Et nous avec. Des tableaux temporels se succèdent.
Tout est en perpétuel mouvement. Le réel se disloque progressivement. Un poulpe apparaît, une sorte d’arbre-neurone sort de la bouche d’Yso. Une grenade déchiquetée avec les dents mêle son rouge sanguin au bleu glacé de cette eau qu’on imagine fraîche. Car c’est finalement cela qui se passe, on est de plus en plus atteint par le froid de l’eau sur notre peau, tellement atteint par notre propre expérience réelle qu’on ne peut imaginer cette eau sur l’écran autrement que celle qui nous entoure.
Et on a froid. Petit à petit, tout au long de ces quarante cinq minutes, beaucoup de spectateurs quittent le bassin pour l’eau chaude des douches ou le réconfort d’une serviette-éponge. La plupart s’installe d’ailleurs au bord du bassin pour continuer à regarder la vidéo dont le format HD et la pureté des images éblouissent. De notre côté, on reste stoïquement à l’intérieur du bassin, trouvant mille ingéniosités intellectuelles pour nous persuader que non, il ne fait pas froid. D’ailleurs, très sincèrement, ne croyez aucun chroniqueur (ils étaient nombreux bien habillés avec leurs caméras et appareils photos à nous regarder autour du bassin) qui racontera cette soirée sans avoir été DANS l’eau. Certes, de l’extérieur, la magie du lieu, du son et des images étaient tout aussi visibles. Mais l’expérience du spectateur avait aussi à voir avec la résistance physique au froid…
On devient aussitôt plus réceptif à l’expérience vécue par Yro. Pendant 6 jours consécutifs de tournage, l’acteur-performer a été immergé dans cette immense citerne de verre remplie d’eau huit heures durant. A l’aide de différents appareils d’enregistrements vidéo et photo, Herman Kolgen a réussi à assembler plusieurs séquences en une oeuvre à la fois flexible et en mouvement constant. On l’a dit, le réel se disloque progressivement. Tout comme le temps. Les bulles d’air sortent puis entrent à nouveau à l’intérieur de ce corps, effaçant toute continuité temporelle. A la fois récurrentes et différentes, ces images coupées, retravaillées, enchaînées jouent sur les « frictions temporelles », la dislocation du temps et du réel.
Nonobstant le froid qui s’installe dans nos épidermes, cette proposition visuelle est éblouissante et d’une esthétique à couper le souffle. Accompagnant cette diffusion vidéo, une création audio multi-canaux venant renforcer le mouvement et le rythme des images est diffusée à la surface et sous l’eau.
Et c’est notre première surprise. N’ayant jamais pu profiter d’un tel dispositif, on n’imaginait pas la nuance des sons perçus sous l’eau. On est encore plus immergé dans le monde qu’ Herman Kolgen nous donne à vivre grâce à ses sons qui nous plongent réellement dans une autre ambiance.
On entend la remarque : « on entend encore plus de choses si on s’immerge davantage » . On aurait bien envie d’essayer, mais c’est déjà difficile de garder les oreilles dans l’eau tout en continuant à regarder l’écran (2 minutes, facile, mais 45 minutes, ça devient vraiment délicat…) Certains cependant avaient l’air de s’accommoder parfaitement des frites pour profiter de cette double diffusion (sonore et visuelle) au mieux.
Lorsque le film s’achève sur une image qu’on pense représenter la glace qui se fige autour du corps immergé, on ne peur s’empêcher de sourire à la pertinence de ce visuel. On est pourtant désolé que cela s’arrête, encore ébloui par ce qui vient de nous être projeté, mais prêt à recommander à chacun de n’accepter qu’une projection sous une couverture avec un chocolat chaud. A la fin, on est bien moins nombreux dans l’eau mais une dernière découverte nous attend : applaudir dans l’eau, c’est vraiment curieux et on pouffe avec un voisin inconnu quand on s’aperçoit qu’on est aussi éclaboussé l’un que l’autre, très épatés par cette révélation. On crawle néanmoins rapidement jusqu’à la douche (chaude !) et nos cabines pour se réchauffer. Quelques irréductibles bretons restent cependant encore dans l’eau pour profiter du bassin quelques minutes.
Nous, on pense à ceux qui ont choisi le drive-in de Cultures Electroni[k] ce soir au lieu de la piscine Saint-Georges. On se demande si dans une voiture immobile, on n’aurait pas eu plus chaud. Néanmoins on reste assez persuadé que comme ces heures passées dans les aéroports lors des départs en vacances nous semblent interminables sur le moment mais dont le souvenir s’estompe rapidement au profit des plus beaux moments, on oubliera rapidement le froid pour ne garder que le souvenir d’une expérience esthétique intense et pas si courante.
On s’avoue d’ailleurs très content de vivre désormais, avec les images d’Inject dans un coin de notre tête.
Photos : Caro
Vidéo Alter1fo de la performance Inject – Cultures Electronik ici
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Le site de Cultures Electroni[k] : http://www.electroni-k.org/