[Maintenant 2024] – Un tardigrade géant devant le Parlement de Bretagne

Si vous vous êtes parfois arrêté.es en regardant l’espace autour de vous en songeant aux millions (milliards ?) de créatures microscopiques qui vous entouraient, l’épatante proposition du festival Maintenant, Slow Walker, sur la place du Parlement de Bretagne risque bien de vous vriller les neurones.

Depuis plus de 20 ans, les joyeux drilles de l’association Electroni[k] à l’origine du festival mêlant arts, musiques et nouvelles technologies, nous font vivre un paquet d’expériences inédites (voir inouies) dans Rennes et cette nouvelle édition de Maintenant du 8 octobre au 13 octobre prochain promet de ne pas faillir à la règle. Si d’aucun.es se souviennent des lapins géants d’Intrude sur le Mail François Mitterrand dont les oreilles d’un blanc immaculé se voyaient de loin, les tardigrades du Suédois Peder Bjurman sauront se faire plus « discrets » -du moins en apparence- sur la place du Parlement de Bretagne… Et ce malgré une corpulence assez gigantesque ! On vous explique.

Si comme nous vous avez plutôt écouté vos cours de bio d’une oreille, disons distraite, nul doute que le terme de tardigrade ne vous a pas plus parlé qu’à nous. Derrière ce patronyme aux allures poétiques (étymologiquement et littéralement, marcheurs lents) se cachent des animaux microscopiques tout bonnement épatants. On les appellerait également des oursons d’eau (soyons honnêtes, on ne les trouve pas hyper mignons comme nos plantigrades favoris, la faute à une bouche entre Alien et les Détraqueurs… cela dit leur côté nuage-gonflé-pataud leur confère un capital sympathie assez immédiat) même si renseignements pris, ils ne vivent pas tous dans l’eau et se partagent en réalité entre espèce terrestre et espèce aquatique.

Ces petites bêtes (oui, minuscules même car elles mesurent entre 0,1 et 1,5 mm de long) vivent absolument partout (dans les forêts, sur l’Himalaya, jusqu’à 4000 mètres dans les profondeurs sous-marines, dans le sable, dans les zones équatoriales comme dans les zones polaires et même sur la mousse de votre toiture !) bien qu’elles nous restent invisibles à l’œil nu. Les scientifiques, ces grand.es gamin.es ont même essayé de voir si elles survivaient dans le quasi vide spatial ou sous de très fortes pressions. Et bien oui ! Tout comme à des rayonnements (X ou ultraviolets) plus de 1000 fois supérieurs à ce que nous, tristes humain.es, pouvons encaisser sans broncher. Bref, vous l’aurez compris, ces marcheurs lents donnent raison à La Fontaine (rien ne sert de courir…) puisque leur résistance sacrément exceptionnelle force le respect, tout comme les moyens qu’ils emploient pour y parvenir.

Au choix, ils peuvent s’assécher en faisant varier la proportion d’eau dans leur corps de 80 à 3%, rester en cryptobiose (une sorte d’état d’hibernation chimique si on peut dire : leur métabolisme se met en veille et ils peuvent rester a priori de nombreuses années dans cet état avant de reprendre vie quand les conditions externes s’améliorent) avant de reprendre leur activité des années plus tard quand ils sont réhydratés. Même chose s’ils se trouvent dans un environnement très toxique, à une salinité très élevée ou à des températures extrêmes (du proche du zéro absolu à – 272°C à plusieurs minutes à 150° C). Vous comprendrez donc aisément que ces super héro.ines de l’adaptation, aient fasciné aussi bien les scientifiques du monde entier que les artistes, jusqu’à Trey Parker de South Park et Peder Bjurman dont on vous parle aujourd’hui.

Artiste, écrivain (de théâtre, de pièce radiophonique, de livret d’opéra entre autres), metteur en scène, qui a notamment collaboré avec Robert Lepage sur La face cachée de la lune, Peder Bjurman consacre ses travaux les plus récents à des installations et expositions vidéos participatives à grande échelle. Notamment avec ce Slow Walker (les plus anglophones d’entre vous auront reconnu le tardigrade) que Maintenant nous propose de découvrir dans un espace public/commun, à la fois emblématique et partagé, la Place du Parlement.

Oui mais s’ils sont microscopiques, me direz-vous, comment les voir à l’œil nu ? Et bien c’est là qu’intervient Peder Bjurman. Pour rendre visible l’invisible, l’artiste nous propose d’utiliser la réalité augmentée. Grâce à un smartphone ou une tablette sur lesquels vous aurez téléchargé l’application gratuite Promenad, et que vous placerez devant vos yeux en regardant la place, un énorme tardigrade en 3D apparaîtra dans le ciel au-dessus du Parlement, promenant son pas lent et son allure naturellement sculpturale sous nos yeux écarquillés (le projet utilise une technologie de réalité augmentée basée sur la localisation avec l’API géospatiale de Google qui lui permet de placer notre tardigrade 3D sur des coordonnées géographiques spécifiques).

Imaginez une créature en taille augmentée de 100 mètres sur 50, planant au ralenti, broutant devant le Parlement et interagissant avec le public au fur et à mesure qu’il se rapproche ! On vous conseille également de vous munir d’écouteurs puisque l’installation s’accompagne d’une bande sonore mêlant la musique contemplative et onirique créée par la mystérieuse figure de l’ambient Abul Mogard et les mots prêtés au tardigrade dits par la voix de Laure Lefort (et non pas générée par l’Intelligence Artificielle comme habituellement – merci la vigilante équipe de Maintenant pour la précision), questionnant tout ensemble le cycle de la vie et le sens de l’existence (traduction par Lucie Smith et Anastasia Philippe, enregistrement, traitement et montage avec la collaboration de Canal B par Iris Delayre).

De par leur nature intrinsèquement résiliente et leurs super pouvoirs d’adaptation, qui résonnent fortement en ces temps d’incertitude climatique, d’autant plus que s’accompagnant de leur paradoxale lenteur, les tardigrades apparaissent dans l’œuvre de Peder Bjurman comme des symboles.

En nous permettant d’appréhender l’invisible, en  « l’augmentant » (par la technologie de la réalité augmentée mais aussi en faisant passer nos tardigrades de la réalité microscopique à des dimensions monumentales), en mettant sous nos yeux des créatures qui peuvent « s’absenter » par la cryptobiose, dans un état indéfini entre la vie et la mort, Peder Bjurman interroge à la fois notre rapport au(x) vivant(s), à notre action nécessaire pour tenter de le préserver, au visible et à l’invisible. Et cela simplement par la poésie émanant de cette étrange créature monumentale qui glissera quelques jours suspendus dans le ciel rennais, sous des yeux qu’on pressent d’ores et déjà, émerveillés et/ou curieux… On a déjà hâte.


Maintenant aura lieu du 8 au 13 octobre 2024 à Rennes.

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