Oui, tout le monde en parle déjà. Du dimanche 9 octobre au dimanche 16 octobre, cinq lapinous géants vont squatter le mail François Mitterrand. Après San Francisco, Los Angeles et Londres, c’est à Rennes que débarquent Intrude et ses cinq créatures géantes lumineuses imaginées par l’artiste australienne Amanda Parer. A première vue, l’installation est aussi idyllique que féérique. A première vue…
Ayant commencé d’abord par la peinture, pour s’orienter progressivement également vers la sculpture et les installations monumentales, l’artiste australienne pluridisciplinaire s’intéresse depuis longtemps à la figure de l’animal sauvage, et notamment à son ambivalence.
A la manière d’un Rascal qui fait converser loup et lapin dans un AMI-AMI inquiétant, formidable conte-moderne pour enfants (dans le titre se cache un autre mot qui laisse planer le doute sur la réelle nature de l’amitié du loup pour le lapin…), les lapins so cute d’Amanda Parer ne sont peut-être pas si innocents. Forcément, on pense également à Lewis Caroll et la pour le moins inquiétante étrangeté de son Lapin Blanc qui fait pénétrer Alice dans le Wonderland (au départ le titre était Alice’s Adventures Underground, ce qui était également plus inquiétant), le pays où tout tourne à l’envers, si ce n’est de travers. Bref, mêlant ensemble la figure de l’adorable animal de nos enfances à celle d’une invasion (on rappelle le titre de l’œuvre, Intrude), le propos d’Amanda Parer n’est peut-être pas si limpide qu’il n’y paraît.
Photo : Ness Vanderburgh
Pour expliquer sa création, l’artiste explique d’ailleurs : « J’aime utiliser le lapin dans mon travail, parce qu’il expose un double symbole : d’un côté c’est un animal mignon et chaleureux qui rappelle leur enfance aux spectateurs, de l’autre côté, c’est une espèce introduite qui a causé d’immenses destructions dans le fragile écosystème australien » (interview pour Kaltblut magazine).
En effet, si l’on se souvient bien de nos cours de sciences, l’introduction d’une douzaine de couples de lapins au 19ème siècle par un Britannique nostalgique de la chasse en Australie a causé une gigantesque catastrophe écologique. Comme chacun sait, les lapins ont tendance à beaucoup se reproduire, et vite. Comme ils n’ont pas de prédateurs naturels en Australie, et qu’ils s’adaptent parfaitement au climat local, ils se multiplient… et on les compte rapidement par millions! Le souci, c’est qu’ils se déplacent et grignotent tout sur leur passage, ce qui accélère la désertification. De plus, comme ils mangent la même chose que les wallabies, ces derniers sont menacés par le manque de nourriture. On arrive donc rapidement à une crise agricole, économique, et déjà écologique, terrible.
Pour tenter de stopper la colonisation du territoire par les petites bêtes poilues, les Australiens décident de construire une première barrière de 1 800 km de long. Peine perdue, selon l’histoire, les lapins sont arrivés de l’autre côté avant que la barrière ne soit finie. On s’intéresse donc au renard, inconnu des terres australes, en se disant qu’en l’introduisant sur l’île, il mangera les lapins. Re-couac : les renards bouffent plutôt les marsupiaux du coin, dont les wombats, déjà pas en formidable forme. Et qui l’eut cru, les renards prolifèrent à leur tour ! On vous passe les détails (dont l’introduction de la myxomatose tout aussi inefficace), mais sachez que les lapins restent un problème très actuel en Australie.
Photo : Ness Vanderburgh
Les lapins d’Intrude ont donc des poses différentes : certains sont débout, d’autres assis ou couchés, comme s’ils venaient de sauter là et faisaient déjà leur, l’espace, immense, de l’installation. « J’utilise des animaux sauvages dans mon travail comme une métaphore de la mauvaise gestion de l’environnement par l’homme, dans l’excès » confirme Amanda Parer (id.). Ainsi la taille des lapins, gigantesque, n’est pas choisie au hasard, mais souligne leur dominance sur l’environnement. Et résonne aussi comme The Elephant in the Room (version anglaise de la paille et de la poutre selon st Luc) « like our environmental impact, big but easily ignored » souligne Amanda Parer (« comme notre impact sur l’environnement, énorme mais facilement ignoré »). Amanda Parer a donc choisi d’utiliser la figure du lapin si mignon pour amener le spectateur à s’interroger plus sérieusement sur les messages environnementaux contenus dans son œuvre. Et qu’elle ait choisi la figure d’un animal anthropomorphique pour y parvenir n’est pas sans ironie. (Rien à voir avec les radis, donc.)
Photos Intrude à Rennes – Caro
Maintenant présente Intrude d’Amanda Parer du dimanche 9 au dimanche 16 octobre de 10h00 à 00h00 sur le Mail François Mitterand (Rennes).
Inauguration dimanche 9 octobre à 11h30 avec le gonflage du dernier lapin.
Maintenant 2016 a lieu du 7 au 16 octobre 2016. Plus d’1fos.