Non seulement l’équipement culturel rennais vous ouvre ses portes le dimanche, mais il laisse ses clés à une association ou une structure du paysage culturel rennais pour animer les lieux le premier dimanche de chaque mois. L’Antipode MJC était l’invité de ce troisième Premier Dimanche aux Champs Libres et au vu du sourire affiché sur tous les visages à la sortie, de l’importante affluence (9 500 personnes d’après les Champs Libres !) ou des réactions enthousiastes entendues autour de nous, autant dire que l’après-midi a été un franc succès.
Pour ce troisième Dimanche aux Champs Libres, donc, carte blanche était laissée à l’Antipode MJC. On l’a dit, on n’était pas étonné de voir l’Antipode MJC prendre à son tour la clef des Champs. La structure rennaise articule en effet depuis plusieurs années son projet autour de deux axes forts : d’un côté, le développement de l’animation de proximité en faveur des populations du quartier où elle est implantée (actuellement Cleunay, plus tard La Courrouze) ; de l’autre, l’accès aux musiques actuelles pour tous ainsi que la rencontre avec les artistes.
Et cela quitte à mettre en place des actions culturelles et artistiques dans et hors les murs, pour vraiment permettre de nouvelles rencontres entre les publics et les artistes (Start’in Block, Urbaines, Les curiosités du Docteur Fullmoon…, Carte Blanche à un artiste, L’instant Thé, Court Circuit et on en passe, tant les déclinaisons autour de cet axe sont nombreuses…). Bref, si vous ajoutez à cela la dimension d’animation de proximité défendue par la structure (avec des ateliers, notamment pour les jeunes, des conférences, des cafés-citoyens, etc…), on ne s’étonne plus de voir l’Antipode MJC prendre les commandes des Champs Libres pour un après-midi.
Pour notre part, arrivé à 14h, reparti à 19h, on a eu l’impression que l’après-midi était passé à une vitesse supersonique ! Concerts, lecture, conférence, projection, ateliers, propositions artistiques diverses et variées : on n’a pas eu le temps de s’ennuyer ne serait-ce qu’une demi-seconde… Et on n’a (à notre grand regret) même pas eu le temps de tout voir tant l’éventail des propositions de l’Antipode MJC était large (et souvent passionnant). Petit récit de notre parcours d’un jour.
On commence par filer s’installer dans la Salle de Conférence Hubert Curien, dans un fauteuil moelleux, parfait pour commencer l’après-midi en écoutant notre animateur-conférencier préféré, le bondissant Christophe Brault qui doit en 69 minutes pile poil nous retracer une histoire des musiques amplifiées. Si nous sommes affalés dans notre fauteuil, Christophe est dans un tout autre état. Polo rouge vif le col relevé, micro serre-tête pour avoir les mains libres, une télécommande dans chaque main (une pour lancer les morceaux, l’autre pour changer les images sur le grand écran derrière lui), Christophe arpente la scène de long en large, d’un pas vif et sautillant et balaie avec classe et précisions un demi-siècle de musiques amplifiées. De 1934 avec la première guitare électrique (sorte de poêle à frire sonique) à Daft Punk et l’électro frenchy qui place enfin la France sur la carte des musiques amplifiées, Christophe bondit de l’Angleterre à l’Amérique, dans un éternel aller-retour, du rock’n roll à la pop, du garage au métal, de l’électro à la synth pop en passant par la soul, le hip hop, le prog ou l’indus. On en aurait presque le vertige.
Pourtant, si haletant qu’il soit, le récit de Christophe reste toujours limpide et à de nombreuses reprises est même totalement passionnant. D’une part parce que le le choix d‘illustrer chacun de ses propos par images et sons, clarifie s’il en est besoin le discours du conférencier (pour avoir une petite idée, pour les curieux, voici la playlist de la conférence : Bo Diddley, The Drifters, The Beatles, The Beach Boys, The Sonics, The Velvet Underground, Black Sabbath, Kraftwerk, The Ramones, New Order, Grandmaster Flash, Einstürzende Neubauten, Napalm Death, Daft Punk). D’autre part, parce que Christophe (on s’en rend compte sur cette grande scène) a tout pour nous d’une rock star qui s’ignore : il chante dans son micro pendant les morceaux (et oui, Christophe, on t’a entendu !), fait l’avion, danse, mime de jouer de la guitare à hauteur de genoux les jambes écartées comme à l’âge d’or punk, scratche même (dans le temps !) des platines imaginaires avec Grandmaster Flash qui résonne dans les enceintes. Totalement passionné par son sujet, il en devient passionnant. Et nous fait fréquemment sourire si ce n’est carrément rire (Oasis en prend pour son grade, les commentateurs qui appellent Michael Jackson « le roi de la pop » également ! Quant à la profondeur du morceau de 7 secondes de Napalm Death, elle aura été particulièrement développée, et surtout on aura entendu Napalm Death au moins une fois dans notre vite… aux Champs Libres !) Bref, il finit sa conférence dans les applaudissements très fournis de la soixantaine de personnes présentes qui auront préféré écourter la galette des rois pour venir l’écouter. D’autant qu’il a réussi son pari et gagné le respect de tous en délivrant cette histoire des musiques amplifiées… en 71 minutes ! Chapeau bas, Monsieur Brault ! [si vous avez toujours voulu voir le vrai visage des Daft punk, rendez-vous dans le diaporama en bas de l’article !]
On quitte notre fauteuil et on a à peine le temps de monter les quelques marches qui nous mènent à l’entrée de la salle de conférences, que déjà les notes de Güz II résonnent dans nos oreilles. L’Antipode MJC a en effet transposé l’une de ses propositions artistiques, Court Circuit (parcours musical dans Cleunay sur trois jours qui permet à un artiste de partir à la rencontre des habitants du quartier dans leurs maisons, leurs lieux de vie, l’équipe de l’Antipode MJC ayant transformé les domiciles des particuliers, les structures de vies tels les crèches, les maisons de retraire ou les restaurants d’entreprise ou sociaux en espace de diffusion artistique) aux Champs Libres. Le parcours musical se fait donc à l’intérieur même de l’équipement des Champs Libres sur différents horaires (avec des morceaux différents interprétés d’un set à l’autre) dans des espaces différents (musée de Bretagne, Café des Champs Libres, Entrée de la salle de conférence, hall).
On salue le choix du trio de vengeurs masqués pour ce court-circuit intra-muros, puisque les trois musiciens aiment autant investir les scènes « classiques » que les rues avec leur rock orchestral. Ils manifestent ainsi une véritable aisance et une réelle facilité à communiquer avec la foule sans dire un mot (voir l’interview ici) : ainsi pose de guitar hero avec un banjo dans les mains, break surprenant, mimiques théâtrales et archet en garde pour attaquer les cordes du violon déclenchent les rires et captivent l’attention. L’instrumentation non amplifiée produit également son petit effet, puisqu’en plus d’un banjo, d’un violon, d’un clavier, d’un saxo ou autre cabasa, les Güz II utilisent également une mini-guitare, un tabouret en plastique rempli de cloches et de mini cymbales ou une contre-bassine (une poubelle surmontée d’un manche à balai sur lequel est tendu une corde) : les plus jeunes les regardent bouche bée, les yeux écarquillés. En plus de ça, les Güz II aiment à mélanger les genres et les influences riches et variées : pop, jazz, musiques traditionnelles, rock et des montées en puissance efficaces en diable, le tout accompagné d’arrangements malins, de petites trouvailles subtiles, et par le chœur des trois compères à gorge déployée. Les Güz utilisent au maximum les possibilités de la formule et livrent un set bluffant à la fois de fluidité et de variété. Le public apprécie chaleureusement.
Sitôt les dernière notes entendues, on court pour notre part dans le hall pour apercevoir les dernières minutes de la Stevenson Family qui propose un très court intermède de danse hip hop devant un public enthousiaste (et plus varié que lors de battles hip hop) avec plusieurs personnes qui, passant sur l’esplanade extérieure, viennent se coller aux vitres pour les regarder. On hésite alors à découvrir l’exposition des Mécaniques Poétiques de Yann N’Guema, musicien du groupe Ez3kiel (qu’on ne présente plus) également graphiste (c’est à lui qu’on doit notamment les affiches des TransMusicales entre 2007 et 2011), hautement onirique et tout bonnement fantastique. L’artiste a en effet détourné une douzaine d’objets anciens (machine à coudre, instruments scientifiques du XIXe siècle, vieille bicyclette, statue sculptée… ) pour les transformer en instruments sonores et visuels interactifs : orgues à flacons, cage à oiseaux chantantes ou autre polyphon dont chaque spectateur est invité à jouer, plongé dans un décor qui joue sur l’alliance entre modernité et un certain désuet. D’autant que l’Antipode MJC a eu l’excellente idée de confier la médiation de l’exposition aux enfants (de 6 à 15 ans) de l’accueil de loisirs de l’Antipode MJC, qui de novembre à janvier, ont travaillé autour des Mécaniques Poétiques et sont dans les starting block pour nous présenter le fruit de leur travail. On avait hâte de le découvrir ! Làs, la file d’attente à l’entrée de l’expo est trop importante et on a peur de rater trop de choses durant l’attente. On remet notre visite à plus tard, totalement désolé de n’avoir pu honorer le travail des petits loups de l’Antipode.
On se rattrape donc en grimpant avec les enfants et les animateurs du second atelier de fabrication d’instruments de musique à partir d’objets de récupération destiné aux enfants de 6 à 8 ans. La dizaine d’enfants, encadrés par l’animatrice Laure (aidée de Claire, Julien et Clémence-?-) s’installe autour d’une grande table et apprend, des étoiles plein les yeux, qu’ils vont construire un berimbao (instrument à cordes venu du Brésil). Et surtout qu’ils pourront ensuite l’emmener chez eux !
Une fois expliqués la méthode de fabrication, les outils utilisés et les consignes de sécurité essentielles, marteaux, cutters et pinces coupantes s’activent sous la direction attentive et bienveillante des animateurs. On aide pour notre part une petite puce à planter une pointe dans une boîte de conserve… Quand l’animatrice nous fait remarquer que nous avons mal placé la pointe. On essaie de réparer notre bévue immédiatement en s’excusant platement et on n’est pleinement rassuré qu’une fois l’atelier fini. Une fois redescendus, Pivoine, Romain, Léandre et leurs copains sont plutôt enthousiastes et carrément fiers de nous montrer ce que ça donne une fois fini. On est totalement rassuré : malgré notre erreur, l’instrument de la petite miss fonctionne. Ouf !
On abandonne alors l’idée de profiter de la projection du documentaire de Marc-Antoine Roudil donnant à voir le processus de création au plus près en suivant la jeune musicienne Le Prince Miiaou de la page blanche jusqu’au concert. Maud-Elisa Mandeau écrit et compose seule la quasi totalité de ses albums et pousse aussi le vice à créer elle même ses pochettes et ses clips dans un pur esprit DIY. La voir au travail, entre doutes, efforts et petits réconforts, ne devait pas manquer d’être intéressant et on aurait vraiment aimé avoir eu le temps de se plonger dans le film. Mais il y a encore trop de choses à voir pour accepter de passer 1h20 dans une salle obscure. Ce sera pour une autre fois…
On profite des quelques minutes suivantes pour déambuler dans le hall : les baby-foots de la MJC fonctionnent à plein régime, partagés par les plus et les moins jeunes. A côté, une scène assez surréaliste : plusieurs tables couvertes de tricots autour desquelles une ribambelle d’accrocs des aiguilles tricote à toute allure et de toutes les couleurs. La faute à Charlotte Iung, qui propose régulièrement des ateliers tricots à l’Antipode MJC, et qui invite à relooker les Champs Libres… Par la seule grâce d’aiguilles à tricoter ! Adepte éclairée du yarn bombing ou autre guerilla knitting (cela consiste à recouvrir l’espace public, par exemple, le mobilier urbain, de laine tricotée) la tricoteuse hors-pair a converti une sacré tripotée d’adeptes aux joies du tricot!
Un peu plus loin, ce sont les Skin Jackers qui donnent, non pas de l’aiguille à tricoter, mais du Posca pour colorer les épidermes ! Les « assassins de la peau lisse » de l’équipe des Skin Jackin’ (littéralement kidnapping de la peau,) qu’on avait découverts, déjà à l’Antipode MJC, pour l’édition d’Urbaines 2011 ne graffent sur les murs de la ville mais sur les peaux du public des Champs libres qui se parent de lettrages et de plages colorées. Sublime. Plus haut, ce ne sont pas les épidermes mais le Musée de Bretagne que les tagueurs prennent pour cible ! L’installation de graffiti numérique Picturae 2.0 mise au point par Taprik, très intuitive et aux résultats impressionnants, remporte en effet un beau succès. Pour s’en servir : une bombe aérosol fictive pour garder le geste du graffeur, mais en lieu et place de mur, c’est l’écran que vous graffez. Les enfants adorent ! Mais les grands se laissent aussi tenter…
C’est une vraie réussite : l’Antipode MJC a réussi à apporter une bonne dose de l’esprit associatif qui transpire de ses murs lors de cette journée.
En plus des propositions artistiques menées par des artistes confirmés, les activités et l’ambiance de la MJC sont bel et bien là. On a déjà remarqué que de jeunes habitués de l’accueil de loisirs étaient présents à l’atelier de fabrication d’instruments de musique, ou que des tricoteuses habiles de Cleunay avaient également fait le déplacement, on retrouve de la même manière la convivialité de l’Antipode lorsqu’on nous offre un thé à la menthe fumant sorti d’une bouilloire (customisée par les yarnbombers) avec le sourire ou que l’on s’installe au milieu des tricoteuses. Même chose lorsqu’un flashmob Zumba prend place au milieu du hall et que les danseuses vêtues tout en couleur de l’atelier Zumba de l’Antipode (?) commencent leur chorégraphie devant un public aussi amusé que réceptif.
Juste avant cela, on grimpe pour notre part au Musée de Bretagne pour aller écouter Meriadec Gouriou. On applaudit des deux mains le choix de placer ce concert (il en donnera 4) dans une aile du Musée de Bretagne. Autour de lui, de grands panneaux sculptés (portes d’armoires ? têtes de lit ?) bretonnes ou sculptures religieuses, sont un écrin parfait pour les mélodies aussi habitées que virtuoses du musicien.
On doit avouer qu’on n’est pourtant pas fan de l’accordéon. Mais le musicien a réussi à nous captiver de bout en bout de son set. Simplement avec son accordéon diatonique et sa voix. Le visage de l’artiste vit sa musique et sa voix donne encore plus d’émotion aux notes jouées. On est bien du côté de l’expérimentation plutôt que de la musette ou autre fest noz avec binious. S’inventant son propre langage, comme on le découvre au fil des morceaux, Meriadec Gouriou utilise l’accordéon d’une manière peu académique. À la fin de chaque morceau, c’est comme si l’artiste, tout en sueur, exsangue, avait fait un marathon. On est de bout en bout hypnotisé par l’homme, entre fougue et fragilité, et on reste envoûté jusqu’à la fin du concert.
Une fois encore, on applaudit le choix de l’espace de diffusion lorsqu’on redescend à toute allure pour avoir une chance de profiter de la projection longue durée de Vitrine en Cours. La salle où « Bretagne des mille et une images » se tient habituellement a été transformée en salle de cinéma. Et c’est une réussite ! L’ espace invite immédiatement à la rêverie.
Il résonne du cliquetis des films passant dans une dizaine de vieux projecteurs au fond de la salle et de l’ambiance sonore créée par Yoann Buffeteau. Les projections argentiques diffusées par les diapo-jockeys (ils partent de la pellicule, de diapos ou de films 16mm) s’entremêlent sur l’écran incurvé face à nous pour former de nouveaux paysages visuels. On s’assoit sur un coussin, sur le sol réfléchissant qui renvoie les reflets des jeux de lumières et les mouvements de l’écran. C’est comme si l’on était totalement immergé nous-mêmes dans les images des murs et du plafond, au milieu du cliquetis des bobines se déroulant et du souffle des projecteurs. C’est totalement magique. Les samples visuels se mêlent sur l’écran : là des coulées de lave immobiles sur lesquels refluent des vagues marines, perforées de stries lumineuses statiques et cinglantes. Et autour de nous des petits bouts pas plus haut que trois pommes qui se laissent captiver par ce spectacle fascinant. On quitte la salle à regret. On aurait pu se laisser bercer par les images et les sons de Vitrine en Cours bien longtemps encore.
Mais voilà, on attend également beaucoup de la relecture d’Aimé Césaire par le guitariste à la jazzmaster le plus connu de l’ouest Olivier Mellano (et dont le dernier projet How we tried… nous a bien vrillé la tête !) et son comparse rappeur Arm qu’on ne présente plus non plus par ici (interview là). Alors on assistera au flashmob zumba derrière les vitres du pôle Musiques de la Bibliothèque, afin d’être sûr de ne pas manquer une virgule de la lecture-concert et on a eu raison, vu le monde qui se presse désormais autour de la « scène ». On rigole en se disant que l’esprit et le mélange des genres de l’Antipode MJC s’est bel et bien diffusé à tous les étages quand on observe les lecteurs de la bibliothèque avec un tatouage coloré sur la peau où une tricoteuse, écoutant les aiguilles en action, le concert de Mellano. On adore ce mélange des genres.
Le guitariste se glisse du public derrière un bon nombre de pédales d’effets tandis qu’Arm, Retour au pays Natal d’Aimé Césaire à la main, s’installe derrière un micro. Olivier Mellano tape sur le corps de sa jazzmaster qu’on imagine recouvert de micro-capteurs (?). Ces percussions forment le premier sample. Les notes s’égrènent. Le médiator descend, en la frottant, une corde de sa guitare, tel le grincement métallique d’une coque de bateau. A côté de lui, Arm, le pouce dans sa poche avant, le livre tenu de l’autre main devant les yeux, déclame. Sa diction, toujours parlée, jamais chantée, emprunte plus au hip hop qu’au théâtre. On pense à Michel Cloup, Del Cielo, forcément, pour cette position de non-chant atypique et une certaine propension à faire couver la lave sous la cendre. Car le texte arrache et fait pleurer les cœurs, remués tout autant par les notes et la bande-son créée par Olivier Mellano (qui sait autant la retenue que le cri rugissant des cordes), que par la lave charriée par les mots de Césaire. On n’en perd pas une bribe, une note, l’âme écorchée. « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
Et puis on prend une magistrale leçon de guitare. On n’arrive même pas à comprendre tout ce que Mellano fait sous nos yeux. Des allers-retours du sélecteur de micro de sa guitare, au vibrato utilisé comme instrument rythmique, de notes qui semblent sortir de nulle part aux pédales dont on n’arrive pas à comprendre tous les effets : on reste les yeux écarquillés. Mais ce n’est pas tant la virtuosité qui nous impressionne que ce talent pour créer une bande son qui accompagne le texte tout en lui donnant de nouveaux éclairages. L’utilisation de boucles pré-enregistrées (ces voix lointaines notamment) vient elle aussi donner encore davantage de profondeur à l’œuvre créée. Un petit bonhomme de deux ans à peine, ne s’y trompe pas, et lors d’une accalmie qu’il prend pour la fin de la lecture, se plante à leurs côtés : il applaudit en leur disant : « bravo » l’air convaincu.
Les notes reprennent, et coulent désormais, mélancoliques sans aucun effet. On est totalement immergé dans la performance des deux artistes (on voudrait écrire trois, tant la voix de Césaire nous semble flotter entre les rayons de la bibliothèque). Pourtant comme eux, on a du mal à garder notre sérieux quand l’annonce des Champs Libres à propos du concert à suivre, retentit au-dessus de nos têtes. Néanmoins, très vite, le texte dégage de nouveau sa force, souligné par la diction habitée d’Arm et les notes tout en délicatesse de Mellano : « lie-moi sans remords, lie-moi de tes vastes bras à l’argile lumineuse, lie ma noire vibration au nombril même du monde, lie, lie-moi fraternité âpre » . Les derniers mots résonnent dans la bibliothèque et le silence. Une nouvelle fois des applaudissements. Et pour notre part, une véritable claque.
On craint d’avoir du mal à retrouver nos esprits avant longtemps, pourtant le final enlevé du Collectif Volkanik accompagné par l’autre collectif, vocal celui-là, Bjala Roza va nous scotcher par sa bonne humeur et son énergie. On nous avait promis un show qui ferait monter la température de plusieurs degrés. On ne nous avait pas menti. Sur l’escalier du Musée de Bretagne, une bonne quinzaine de choristes s’installent au milieu du hall des Champs Libres où tous les spectateurs se sont rejoints. C’est impressionnant : des grappes de public se pressent de part et d’autres, qui sur des passerelles, qui le long de rambardes, qui autour de l’escalier dans le grand hall. La foule est compacte et prête à se laisser entraîner par les rythmiques endiablées et les chœurs énergiques des deux collectifs. Aux pieds des choristes, l’ensemble des musiciens (cuivres, percussions, …) est costumée avec des tenues d’un kitsch rappelant bel et bien l’Inspecteur Derrick.
Dès que les premières notes résonnent, tout un chacun se laisse progressivement happer par ce folklore tzigane de Macédoine, de Roumanie et de Serbie, défendu avec une énergie débridée. Certains tapent des mains, d’autres dansent. Certains moments se font plus calmes et les chœurs s’élevant laissent poindre cette mélancolie inhérente à ces folklores de l’est. Puis, une nouvelle montée en puissance, tout cuivres dehors vient de nouveau entraîner le public. Les morceaux traditionnels balkaniques tel « Uchti Baba » sont arrangés de manière à faire danser tout le monde. La foule est conquise par ce final généreux. Et nous avec. On quitte les Champs Libres avec le sourire, des mélodies folkloriques plein la tête. Et on n’est pas les seuls : dehors, sur l’esplanade, on entend des « uchti uchti baba, uchti, uchti… » chanté par d’autres spectateurs.
Au final, cet après-midi aux Champs Libres aura été une réussite. Notamment pour sa capacité à mêler des propositions d’artistes confirmés, exigeantes tout en restant accessibles et l’esprit convivial et associatif de l’Antipode MJC. Un beau challenge relevé. Merci l’Antipode, merci les Champs Libres : vous avez réussi à nous faire oublier la rentrée du lendemain.
Photos : Caro
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