Amatrices et amateurs de découvertes un brin siphonnées mais toujours grandement passionnantes, rendez-vous à Maintenant, le festival autour des arts, des musiques et des technologies proposé par les doux dingues de l’association Electroni[k] pour un week end prolongé des plus excitants du mercredi 4 octobre (le soir) jusqu’au dimanche 8 octobre inclus, pour une version du festival à nouveau resserrée sur 4 jours mais toute autant foisonnante.
Après un temps d’exposition féérique et épatant cet été au Vieux St Étienne, Maintenant continue de naviguer avec bonheur et curiosité autour des arts, de la musique et des technologies déclinées en spectacles, performances, expositions ou installations variés et bien souvent atypiques, et devrait comme à son habitude nous proposer un moment de respiration, un pas de côté pour lever la tête de nos quotidiens souvent bien prenants. Avec, on l’applaudit à nouveau, le souci de permettre l’accès au plus grand nombre : une majorité de propositions sera une nouvelle fois gratuite pour favoriser l’accès à tous les publics.
On aime le constant souci de l’association Electroni[k] de présenter certaines œuvres dans l’espace public, permettant à tout un chacun.e de s’y frotter sans avoir à passer la porte d’un musée ou d’une salle de spectacles, et souvent de s’émerveiller, tout en partageant un instant suspendu avec ses voisin.es tout autant de passage. On se souvient, au hasard, de lapins géants sur le Mail, du féérique nuage d’ampoules sur la place Hoche ou de cornes de brume immenses nous faisant entendre le vent du Québec en simultané, sans oublier le champignon gonflable géant devant le Palais St Georges qui avaient ravi, interrogé, subjugué ou étonné Rennais et Rennaises les éditions passées.
La Place Hoche sous les stroboscopes de Parallel Strata
Cette année, on a donc un gros faible pour l’installation nocturne qui sera présente durant toute la durée du festival sur la Place Hoche Parallel Strata. Imaginez trois trépieds d’une hauteur de plus de 4 mètres auxquels sont accrochés trois bras rotatifs lumineux de 3 mètres de long, contrôlés par des moteurs autour et sous lesquels vous pouvez marcher, déambuler à votre guise. Créée par Nicky Assmann qui travaille autour du caractère intangible de la lumière, de la couleur et du mouvement et Joris Strijbos intéressé par les interactions entre image en mouvement et son et synesthésie, cette gigantesque installation devrait nous en coller plein les mirettes.
Utilisant la stroboscopie (les sources de lumières intermittentes qui figent les objets en mouvement dans de micro-arrêts sur image) et les jeux d’ombres qui se créent sur le sol avec le passage des spectateur.trices/acteur.trices en dessous des leds rotatives, les deux artistes (qui avaient déjà collaboré autour de l’effet moiré et des limites de la perception humaine) veulent à nouveau nous immerger dans un étonnant ballet lumineux qui évolue continuellement dans le temps et dans l’espace en fonction des mouvements des spectateur.trices. Cette chorégraphie lumineuse joue en continu de son influence directe sur les sens de chacun.e. Ainsi les modifications perpétuelles apportées par les passages des acteur.trices que nous sommes influent à leur tour sur la perception de chacun.e d’entre nous. Des strates parallèles, en quelque sorte, devenues perceptibles en un même temps. Visible tous les soirs jusqu’à 23h30, Parallel Strata transformera la Place Hoche en dancefloor rave abstrait pour passant.es ébloui.es durant la durée du festival (à noter que l’allumage inaugural aura lieu le mercredi 4 octobre à 20h).
Le Vieux St Étienne : des vieilles pierres comme écrin à la création d’aujourd’hui
Le même soir que l’allumage de cette lumineuse sculpture cinétique, le cœur du festival -cette année encore au Vieux St Étienne– s’ouvrira aux premier.ères curieux.ses avec la découverte des installations/œuvres qui y seront présentées durant tout Maintenant.
Instabilités : l’inattendue poétique des fluides mis en vibration
On y retrouvera Instabilités, le travail mené par Benjamin le Baron et Tristan Ménez qu’on avait découvert sous sa version performance pour l’édition 2021 du festival, mais qu’on appréhendera cette semaine dans une version « installation ». Explorant l’effet Marangoni (expérience scientifique où deux milieux se rencontrent sans pouvoir se mélanger -par exemple l’air et l’eau-) et utilisant un liquide mêlant eau, encre et alcool plongé dans de l’huile, Instabilités joue à nouveau sur les inattendus mouvements des fluides. Dans une coupelle de verre (à la fois visible au centre de l’installation mais également agrandie sur grand écran) les gouttes du liquide s’éparpillent au contact de l’huile en une multitude de gouttelettes qui telles des balles de ping pong ou des boules de flipper forment des tableaux abstraits mouvants.
On se souvient que pour la performance, la coupe de verre posée sur une table vibrante, en utilisait les ombres vibratoires pour composer des tableaux sonores accompagnant le visuel, les bruits des vibrations étant captés par des micros piezo pour en faire aussitôt la matière sonore des compositions de Benjamin Le Baron. Pour la version installation proposée au Vieux St Étienne, les artistes ont fait évoluer leur technique en partant du même principe : les mouvements du liquide filmés par la caméra vidéo sont transmis à un logiciel de musique et déclenchent les sons en temps réel, la musique étant créée en direct en fonction de ce qu’il se passe à l’écran. On gage une nouvelle fois l’émerveillement de toutes et tous devant l’inattendue poétique des fluides mis en vibration.
La Perception de l’astronome : la perception de l’invisible, telle est la question
Au même endroit, jouant tout autant sur les liens entre sciences et arts, les épatants modules de La Perception de l’astronome proposés par l’artiste Lucien Bitaux devraient tout autant fasciner les esprits. Le point lumineux que nous percevons dans le ciel, l’étoile par exemple, tout aussi loin des yeux qu’il est, suscite un imaginaire immensément vaste. Comment donc représenter l’invisible du champ scientifique ?
Avec comme mantra la question de comment représenter ces dimensions imperceptibles (en fait de mantra, c’est plutôt une discipline entre sciences et arts, la scoposcopie qu’initie le jeune chercheur : chercher à voir et représenter les dimensions imperceptibles, ce qui est invisible à l’œil nu, étudier artistiquement les appareils de perception scientifique), l’artiste propose douze sculptures optiques (prismes, lentilles et autres instruments transparents transformant la lumière) montées sur pieds motorisés ou suspendues, constamment en mouvement et éclairées par plusieurs vidéoprojecteurs émergeant de l’ombre.
L’intrigante nature de la lumière, à la fois ondulatoire et corpusculaire, particulièrement insaisissable est rendue visible. En la réfléchissant, la diffractant, la réfractant sur les murs et dans les rétines des specateur.trices, les sculptures optiques que l’artiste a lui même fabriquées en écho aux démarches scientifiques expérimentales donnent à voir l’invisible en même temps qu’elles interrogent sur les perceptions et l’objectivité présupposée de celles-ci. Comme l’explique Lucien Bitaux, les sculptures « optiques représentent nos biais cognitifs et interprétatifs : placés devant une source de lumière, un astre, ils altèrent la vision pour en provoquer une autre » . La nature de la lumière, toute autant visible qu’elle soit rendue, n’est perceptible qu’en passant par le médium de ces biais interprétatifs et cognitifs qui forcément transforment et tordent le réel.
Un Train fantôme sous U.V.
Les amatrices et amateurs de petit train naviguant sur des circuits inattendus devraient sans peine embarquer pour le Train Fantôme flashy proposé par Macula Nigra dont on a pour notre part découvert le travail stimulant pendant le festival d’architecture rennais Georges (à partir d’images imprimées, le garçon propose des collages inouïs créant des paysages d’architectures utopiques) associé au peintre sculpteur musicien scénographe Simon Poligné (l’artwork halluciné du Salvage Blues de La Terre Tremble !!! c’était lui, à l’image de son goût pour brouiller les frontières entre rêve et réalité).
Souhaitant revisiter le principe du théâtre optique et du diorama et l’assaisonner à la sauce actuelle, mais en version low tech, les deux artistes ont créé un train fantôme miniature circulant sur un circuit déjanté. Pour rappel, Louis Daguerre (également inventeur du daguerréotype) avait inventé un théâtre d’images un peu particulier. Il peignait de grands tableaux sur un support en toile translucide qui se modifiaient soit en continu avec les variations de la lumière naturelle (comme son diorama dans l’église de Bry sur Marne) soit en fonction de l’intensité, de la direction de la lumière manipulée par des opérateurs dans la salle de spectacle obscure qu’il avait conçue. En fonction des actions des opérateurs, la scène peinte semblait se modifier pour le plus grand plaisir du public d’alors.
Afin de recréer ces effets en miniature, Louis Daguerre avait également conçu de petites boites, des polyoramas, qui reposaient sur le même principe : en utilisant deux plaques de verre peintes à la main placées dans un boitier, l’une des plaques représentant une scène de jour tandis que l’autre montrait une scène de nuit par exemple, on actionnait deux volets mobiles situés sur le dessus et à l’arrière du boîtier et ceux-ci faisaient basculer progressivement la lumière d’une vue à l’autre. L’effet progressif obtenu était une transition subtile entre le paysage de jour à une scène nocturne.
En revisitant ce procédé, Macula Nigra et Simon Poligné ont imaginé un train circulant dans un décor des plus étonnants (des formes abstraites, des images désuètes, un décor rétro futuriste siphonné) non pas éclairé par une lanterne magique classique mais par une lumière noire qui ne laisse passer que les rayons ultra-violets et rend uniquement visibles le blanc et les couleurs phosphorescentes. Maquette en trois dimensions, pleine de surprises visuelles, ce Train Fantôme devrait immédiatement plonger petit.es et grand.es dans son univers de fête foraine fantastique fluo !
A la recherche des sons perdus avec les Indiana Jones de l’école des Ardoisières
On se souvient avec enchantement des bourdonnements de l’Essaim de Felix Blume présenté à l’Hôtel Pasteur pour l’édition 2021 du festival. On est donc ravi de retrouver cette année Les sons perdus, le travail qu’il a mené avec l’école des Ardoisières de Ste Marie (35) autour de la découverte du paysage sonore de la commune dans le cadre d’une résidence artistique et d’un projet d’action culturelle destiné à appréhender l’espace de manière sensible en alliant pratique artistique et médiation culturelle. Amenés à prêter attention et à découvrir les sons des lieux de leur village, que ces sons soient naturels, historiques, ou même voire perdus, les enfants les ont écoutés, isolés, enregistrés. Après avoir mis à jour leurs singularités, ils ont décidé de les ré-intéger dans une narration de leur fabrication et de dérouler leur histoire à l’intérieur d’une cartographie sonore (on a un faible pour la tondeuse Michèle et les roues des calèches disparues, tout comme pour le crépitement du four à pain… ou à pizza !). Vous pourrez a priori en découvrir la version « carte interactive » qui fonctionne avec une Touchboard et des matériaux conducteurs d’électricité au Vieux St Étienne… Mais gare à l’ogre !
Le Vieux St Étienne : dancefloor sous les voûtes
Dj set de Célélé pour la soirée d’ouverture
A l’image de ce qui déroulera durant ces quatre jours de festival, le vieux St Étienne qui présentera expositions le jour et soirée clubbing à la tombée de la nuit, verra Célélé s’emparer des platines pour cette soirée inaugurale sous les hautes voûtes de pierre de la vieille église. La lyonnaise désormais rennaise d’adoption, issue du collectif Limbololo Soundsystem devrait comme l’an dernier pour la Nuit Electronique délivrer un dj set à la fois énergique et suave entre kuduro, afro trap, baile funk, tropical bass et global club.
Ambiances électroniques
Les jours suivants, on retrouvera de 19h à 22h30, tout d’abord le jeudi 5 octobre le duel/dialogue en 2B2 de la fondatrice du collectif Solarium Galère Sucrée et sa comparse plasticienne et musicienne Digé M0m0 pour un set à quatre mains naviguant au cœur des sonorités breakées et de l’UK dance. Le lendemain, la DJ et productrice franco-camerounaise Tatyana Jane devrait enchanter petons danseurs et esgourdes baladeuses avec son éclectisme transcendant les frontières musicales entre hip-hop, trap, bass music, house de Detroit et électro. Avant de laisser place à un.e artiste surprise le même soir issu.e de l’essentiel collectif Nyege Nyege qu’on adore par ici (on se souvient de la fessée que Slikback nous avait collée lors de l’édition 2019). Pour la dernière Ambiance Électronique qui se poursuivra un peu plus tard dans la soirée (jusqu’à 23h30) le samedi 7 octobre, trois projets seront sous les projecteurs : Tina Tuner, d’une part à qui l’on doit la chaine Youtube post clubbing depression, également co-organisatrice des soirées clubbing alternatives Scorpion Métal, à l’éclectisme bienvenu ; Ojoo, d’autre part, anciennement Ojoo Gyal, Marocaine basée à Bruxelles qui n’a pas froid aux oreilles et se balade avec un appétit bienvenu dans les sonorités les plus variées, quitte à aller vers les sons les plus bruitistes, la musique concrète tout en partant du grime et d’un dancehall old school ; le duo Allto Fuero, également venu de Bruxelles (terre parmi les plus vivantes des expérimentations musicales européennes s’il en est), proposera quant à lui un live qu’on promet inattendu : poésie espagnole, rythmiques claudicantes, flûte à bec et samples malades s’y mêleront dans un étonnant cloaque baroque qui devrait ravir les amateur.trices de dancefloors débridés.
Le bruit des contours : la symphonie des réseaux wi-fi … Ou il est toujours question de partages
Au départ du Vieux St Étienne, le samedi 7 et le dimanche 8 octobre à 15h puis 16h30, vous pourrez également partir pour une marche surprenante dans les rues de Rennes, mené par un joueur de flûte moderne, ou plutôt de signaux wi fi ! Hugo Baranger nous invitera en effet à les suivre lui et son sac-à-dos-instrument pour une déambulation sensible et sonore, Le bruit des contours. Ce sac à dos, Sniffy#2, est un orgue portatif sensible qui perçoit une part de la réalité qui nous entoure mais nous échappe. Cet étrange instrument interprète ainsi les signaux wi-fi et les transforme en une polyphonie. Partant du constat que nous sommes entourés d’appareils qui conversent via les réseaux wi-fi, l’artiste poitevin vivant à Zagreb utilise à dessein son instrument pour les détecter en temps réel et associer chaque appareil à une voix unique qu’il ajoute à la polyphonie. Chaque déplacement génère une sorte de partition de l’activité wifi et crée ainsi une pièce sonore. En fonction du numéro d’identité de chaque appareil connecté en wifi, certains objets vont générer des notes, d’autres moduler des fréquences, créer un tempo, si on a tout bien compris. Nous rendant perceptibles les conversations a priori inaudibles de ces appareils au cours d’une marche collective et évolutive, le cofondateur du collectif d’artistes Nani$ôka (interrogeant l’espace politique et artistique de la fête ainsi que les liens entre spiritualité et espace numérique) « propose une réponse poétique au déclin de la spiritualité de notre époque par l’intermédiaire de nouveaux rituels et d’expériences communes. »
La magie des lumières de Yoko Seyama
On finit ce premier tour d’horizon de la programmation de cette nouvelle édition de Maintenant en se penchant sur un autre projet faisant la part belle à la lumière et les couleurs qui la composent avec Saiyah #2.9 de Yoko Seyama. On avait été particulièrement ému par la découverte de l’exposition de Paul Duncombe, Manicouagan, l’an dernier dans l’écrin sombre du CCNRB qui l’avait particulièrement mis en valeur. On gage que la présentation de l’œuvre de l’artiste multimédia et scénographe japonaise basée à Berlin y trouvera pareil écrin.
Sur le papier, la sculpture lumineuse cinétique nous fait d’ores et déjà écarquiller grand les yeux. Utilisant la lumière blanche comme source à sa scénographie, Yoko Seyama la fait se refléter par des miroirs inclinés puis passer par quatre plaques de verre dichroïdes qui tournent sur elles-mêmes et modifient à leur tour la lumière blanche projetée et réfléchie. Les rayons lumineux diffractés, se divisent en rayons lumineux colorés, qui se partagent, s’entrecroisent et dansent constamment entre miroirs, murs et sol, plongeant les spectateur.trices invité.es à se déplacer dans l’espace d’exposition, au cœur d’un kaléidoscope lumineux féérique et sensationnel. Fort à parier que la magie de l’installation de Yoko Seyama devrait tout autant faire pailleter les pupilles des minots que les nôtres. Magique !
Avant de découvrir la suite des propositions du festival dans un second temps, vous comprendrez déjà pourquoi on a tant hâte que Maintenant soit déjà maintenant… On vous y retrouve ?
Le festival Maintenant aura lieu du 5 au 8 octobre 2023 à Rennes.