On vous avait prévenus : Herman Kolgen risquait fort de secouer l’ouverture du festival Maintenant. On ne s’est pas trompé. Secoué, on l’a été. Concassé, bousculé, chahuté, remué, même. Retour sur la soirée Expérience 1 et une première visite à Eotone.
Expérience 1 : la Terre a tremblé au Tambour
Soirée image et son : en clips bien sûr
Pour entamer la première soirée Expérience dédiée à l’image et au son, l’association Electroni[k] nous a pour la quatrième (et dernière) fois offert un apéritif composé de clips vidéo réalisés par les étudiants de Rennes 2 ayant participé à un atelier de pratiques artistiques encadré par Richard Louvet et Matthieu Chevallier, proposé par Electroni[k] (durant l’année universitaire 2013/2014). Les clips projetés en ouverture vont s’avérer assez savoureux, alliant système D, scenarii étonnants et bel investissement. Sirène évanescente, clown machiavélique et businessman porté sur la bouteille laissent successivement place à une bande de fêtards colorés, à une tasse à café aux nageoires de poissons voyageuse ou à des réveils de plus en plus survoltés. Les 6 mises en images de musiques fournies par des artistes locaux, nous ont ainsi fréquemment épatés par leur qualité et leur inventivité, faisant preuve d’une fantaisie visuelle très rafraîchissante, telle cette rencontre dans/et en sortant du cadre ou ce plan de la tasse à café remontant les rails tels Kerouac et ses clochards célestes (sans oublier ces toujours saisissants effets de retours en arrières).
Un festival innovant qui expérimente constamment de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public
C’est ensuite au tour d’Herman Kolgen de monter sur scène. Il souhaite dire quelques mots avant ses performances pour expliquer combien Maintenant (qui s’appelait alors Cultures Electroni[k]) a apporté à sa pratique et à quel point les expériences menées avec le festival ont été essentielles pour lui. Lors de la 10ème édition de Cultures Electroni[k], l’artiste canadien qui base son travail sur la relation intime qu’entretiennent l’image et le son, avait en effet été invité à présenter trois propositions bien souvent époustouflantes au public rennais. Peu connu du grand public, Herman Kolgen est pourtant parmi les artistes les plus respectés de la sphère artistique et se trouve plébiscité à travers le monde pour ses créations multimédias. Pour Cultures Electroni[k], Herman Kolgen avait ainsi proposé une œuvre vidéo pour accompagner Different Trains de Steve Reich (Herman Kolgen cite d’ailleurs le musicien américain comme l’une des influences de son travail) interprété par l’Orchestre De Bretagne au Diapason pour une première Nuit Américaine en 2010. En trois mouvements, comme la pièce de Steve Reich, la projection mêlait dans des tons plus ou moins bleutés, grisés, images urbaines, gouttes de pluie glissant sur les fenêtres, caténaires, quais de gare, wagons plus ou moins volants dans les airs et cendres telles des flocons en suspens évoquant les chambres à gaz (le propos, notamment, de Different Trains)… Le visage collé à la vitre du train, le paysage défilait, l’architecture métallique américaine d’avant guerre, les plaines et l’urbanisation graphique se découpaient dans le ciel, tout se déroulant et se répétant, comme un sillon rebouclé, creusé, modifié, tour après tour (voir le compte rendu ici). Ce soir, Herman Kolgen souligne que la pièce, dont c’était la première à Rennes en 2010, est désormais demandée dans le monde entier.
De la même manière, nous étions restés fascinés par Inject, performance multimédia en diffusion subaquatique, que nous avions découvert immergés dans la piscine Saint-Georges pendant qu’au dessus de nos têtes, l’immersion d’un corps humain dans une citerne pleine d’eau subissant moult transformations neuro-sensorielles se donnait à voir sur un écran géant en images aussi sublimes que troublantes (voir le compte-rendu là). Inject existait déjà, pourtant, c’est Cultures Electroni[k] qui a demandé pour la première fois à Herman Kolgen si le public pouvait la vivre lui aussi dans l’eau…, nous explique Herman Kolgen. L’expérience Electroni[k] fut une nouvelle fois le déclencheur de nombres projections aquatiques à travers le monde. Durant cette résidence en 2010 à Cultures Electroni[k], Herman Kolgen avait aussi créé une carte postale sonore de la gare de Rennes dans le cadre du projet Métropole Electroni[k] (des infos ici). Présentée au public en pleine nuit, à 2h du matin, dans le grand escalier de l’entrée nord de la gare SNCF (le bâtiment était alors fermé au public et seulement accessible aux spectateurs de Cultures Electroni[k]), cette carte postale sonore venait clore une résidence riche et passionnante de fort belle manière (écouter la carte postale sonore là). Et si nous gardons un souvenir émerveillé de ces trois propositions de l’artiste canadien, ce dernier semble conserver le même du festival et de son équipe, faisant l’éloge de leur volonté de constamment expérimenter de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public. On le devine dans son discours, son expérience du festival rennais en 2010 lui a non seulement permis de voir les propositions (davantage) affluer du monde entier, mais l’a également amené à interroger et faire évoluer sa pratique d’artiste.
Un quatuor à cordes sensibles comme autant de liens tissés
Ce mardi, Herman Kolgen entame la soirée avec Link.C, une relecture visuelle du quatuor à cordes numéro 2 de Philip Glass, interprété par le quatuor Icare. En formation classique, les quatre instrumentistes (violon, alto, violoncelle) sont plongés dans le quasi noir. Derrière eux, un immense écran blanc sur lequel est projetée la relecture visuelle urbaine qu’en fait Herman Kolgen. Dès les premières notes on en a le souffle coupé. Aux premiers coups d’archets qui tissent une sorte d’ostinato mélodique hypnotisant, aux notes basses du violoncelle qui prennent au cœur, on bascule. Un premier violon se détache sensiblement, et les mélodies s’entrelacent doucement, nous liant collés-serrés à chacun de leurs méandres. Sur l’écran, des traits lumineux semblent danser et chercher leur place, allant de part et d’autre de l’espace, apparaissant ici pour s’évanouir là.
Le second mouvement accélère alors notre cadence cardiaque. Des points, petits rectangles lumineux, tous distincts, forment un flux continu et mouvant qui se dessine peu à peu, devenant un progressivement. Les abords d’une ville aux heures de pointe, se dit-on, où chacun est isolé dans son véhicule mais participe d’un même mouvement de flux. Réfléchissant à la notion d’urbanité et à ses effets kaléidoscopiques (voire paradoxaux) alliant en même temps isolement, socialisation et connexions, Herman Kolgen a en effet souhaité réaliser une œuvre rendant sensible notre identité fragmentée dans l’espace urbain.
A la reprise du thème, sur le troisième mouvement, Herman Kolgen nous élève alors dans un paysage urbain au dessus-de gratte-ciels aux tons bleutés et verts, jouant de contre plongées, de changements de mise au point, où le flou vient donner de la profondeur aux hauteurs. Herman Kolgen donne à voir une représentation mouvante et parcellaire de nos agglomérations, tissée de liens et de connexions rendant parfois plus complexe encore la densité urbaine. Pris par le vertige des ramifications qui se tissent, des liens qui construisent progressivement des ensembles géométriques de plus en plus complexes, mais aussi par les représentations qui se fragmentent sous nos yeux, on se laisse totalement immerger.
Si l’on en croit Herman Kolgen, il a immédiatement été touché par cette courte pièce de l’essentiel compositeur américain: « Dès les premières notes, j’ai été investi par la grande sensibilité de cette musique et j’ai créé une imagerie qui tisse les traces de notre mémoire en filigrane comme autant de liaisons invisibles. Des articulations temporelles où nos liens marquent le temps » . Touchés, nous le sommes également. La relecture visuelle des méandres minimalistes de Philip Glass, telle celle de Different trains, parle encore une fois tout autant aux yeux qu’au ventre. Aussi lorsque que les archets s’élèvent une dernière fois, on retient notre souffle, espérant que par enchantement les portées des partitions deviennent autant de lignes/liens à tisser encore longuement.
Tremblement de terre au Tambour
Fort heureusement pour nous, Herman Kolgen n’a pas fini de nous remuer, puisqu’ après le lyrisme de Link.C, il revient entre autres pour présenter une de ses nouvelles créations audio-visuelle, le fascinant Seismik. Tout comme dans Inject (et finalement aussi Eotone, dont on vous reparle plus bas), l’idée est d’explorer les relations entre le territoire et l’humain, autrement dit explorer l’influence du territoire sur nos sensations aussi bien physiques qu’émotionnelles ou cérébrales, en connectant à nouveau le public avec son environnement au sens global du terme.
Mais ce n’est plus l’eau (Inject) ou le vent (Eotone) dont Herman Kolgen se sert dans Seismik : il s’agit cette fois de s’inspirer des mouvements sismiques de la terre, des glissements de la croûte terrestre, des ondes générées par les champs électromagnétiques qui nous entourent, des grondements et des frictions de la matière. Sur la table devant nous se trouvent donc divers instruments qui soit transmettent les informations sismiques extérieures, soit captent celles du Tambour où nous nous trouvons. En résultent friction des images, dislocations sonores et visuelles, sonorités abstraites et courbes sismographiques striant écrans sombres ou paysages terrestres d’une beauté à couper le souffle (reliefs accidentés couverts d’herbe rase, paysages enneigés plus ou moins accueillants…).
La performance se trouve d’autant plus bouleversée par les forces terrestres qu’en temps réel, Herman Kolgen y intègre de manière aléatoire des informations géologiques venues du monde entier. Et que celles-ci, renvoyées dans la salle (Herman Kolgen semble aimer la polysémie du mot Tambour de ce soir) font à leur tour vibrer le Tambour et sont automatiquement réinjectées dans la performance pour elles-même créer du son à leur tour. On l’avoue, on a eu beau écarquiller les yeux et écouter très attentivement Herman Kolgen à la fin de la performance (ce dernier a très aimablement répondu aux questions qu’est spontanément venue lui poser la salle, pour un moment assez magique, où le public encore stupéfait par ce qu’il vient d’entendre et de voir reste captivé autour de l’artiste), on n’a pas complètement compris de quelle manière tout était généré. Néanmoins au vu de l’investissement physique de l’artiste dans sa performance (il tourne des fils, éloigne ou rapproche des sortes d’antennes pour faire varier l’intensité des ondes magnétiques -?- et bondit accroupi, d’un clavier à une sorte de table de mixage mutante, tirant sur un fil, pivotant tel autre ou tournant en tous sens ses potentiomètres), nul doute de sa complexité.
En tentant de rendre l’invisible (les données sismiques récoltées dans le monde) visible en incarnant les mouvements de la croûte terrestre par le biais de l’image et du son, Herman Kolgen poursuit le même chemin que celui développé dans Inject (rendre sensible les transformations neuro-sensorielles d’un volontaire plongé dans une cuve remplie d’eau de manière poétique). Il y joue d’ailleurs peut-être même avec la même tension, les mouvements terrestres créant un paysage visuel et sonore trouble et disloqué, résonnant des mêmes tensions émotionnelles. Mais peut-être parfois, de manière encore plus agressive. Comme il l’explique à la fin de la performance, s’il se contentait des données sismiques d’un seul lieu, il n’y aurait que très peu de variations et la pièce serait par conséquent très calme. C’est son rôle d’artiste de choisir et d’ordonner l’aléatoire tout en le rendant possible et prépondérant dans la performance. On alterne donc entre moments d’apaisement et colères telluriques qui résonnent aussi puissamment que si l’on se trouvait nous-même pris dans le frottement de deux morceaux de la croûte terrestre aux mouvements contraires. Dans la salle, le son se met à trembler puissamment : on se retrouve une nouvelle fois totalement immergé. Quand la lumière revient, on a la sensation quasi sensible de revenir d’un voyage, parfois éprouvant, au milieu des couches terrestres, qui nous a mené du Chili en Alaska en passant par la Californie et le Tambour. Une claque encore une fois.
Eotone : les vents se sont déchaînés sur la Place Hoche
Le lendemain (mercredi), c’est sur la Place Hoche qu’on retrouve Herman Kolgen. On vous avait déjà indiqué que la place rennaise s’était couverte de quatre structures monumentales paraboliques les jours derniers. Ce mercredi, l’installation était donc inaugurée par une conférence des artistes (on l’aura manquée pour cause de travail) et un vernissage ouvert à tous sur la place Hoche. Eotone est donc une installation conçue et créée par David Letellier et Herman Kolgen à l’aide d’une coopération internationale entre Electroni[k] à Rennes, Stéréolux (Nantes), Elektra (Montréal) et Recto Verso à Québec. Ce projet mené depuis deux ans par les deux artistes avait (entre autre) comme point de départ l’idée de relier les deux continents américain et européen. David Letellier et Herman Kolgen se sont donc intéressés aux vents qui justement vont d’un continent à l’autre, relient toutes les zones du monde, et qui, de par leur nature même, se révèlent déjà matériau sonore. Travailler sur le vent ouvrait en plus de ça une multitude de possibilités puisque Eole peut se révéler aussi bien caressant, tranquille, rafraîchissant que glaçant, brûlant ou dévastateur.
On se souvient d’ailleurs qu’Herman Kolgen avait déjà travaillé à partir de ce matériau sonore pour Urban Wind en Corée du Sud : des capteurs transmettaient les données du vent par wi-fi à des compresseurs reliés à des soufflets d’accordéon. On pouvait ainsi entendre le passage du vent dans la capitale coréenne par l’intermédiaire des instruments.
Pour Eotone, Herman Kolgen et David Letellier ont donc positionné quatre capteurs qui fonctionnent aux ultrasons et collectent les données du vent (force, directions) mais cette fois-ci dans quatre lieux différents du monde (Villejean à Rennes, Nantes, Montréal, Québec donc). Ces données récoltées en temps réel sont ensuite retransmises au travers de ces quatre immenses diffuseurs mouvants tels des girouettes (5 mètres de long chacun) aux formes bien évidemment aérodynamiques, installés en carré, qui transmettent au spectateur la sensation organique du vent, que ce soit sa vélocité ou sa force.
Mais pas seulement puisque les quatre cornets diffusent aussi simultanément les données récoltées dans les quatre villes sous la forme de sons (chaque diffuseur correspond à une ville) pour créer une composition sonore harmonique unique qui se modifie en temps réel, selon les données éoliennes dans chacune des villes. L’idée étant que le vent à Montréal peut se répercuter à Rennes, et que grâce au quadralogue, les villes peuvent dialoguer entre elles de manière harmonique. Et sans finalement que les artistes ne leur imposent une partition à jouer. « La décision artistique ne relève pas de nous mais du vent » soulignait en effet Herman Kolgen en interview. On comprendra aisément que cette nouvelle installation s’inscrit totalement dans le projet d’Herman Kolgen d’explorer l’influence du territoire sur l’humain. Là encore, on est aussi frappé de voir à quel point la structure interpelle les passants, qu’ils soient attirés par leurs mouvements de girouettes qui semblent aléatoires ou par les espèces de plaintes lancinantes « au timbre de clarinette basse » , note un spectateur qui sortent simultanément ou en alternance de chacun des diffuseurs. Un autre plus loin, s’écrie dans son téléphone portable « ah, tu ne m’entends pas ? Attends, c’est parce qu’il y a des cornes de brume autour de moi ! » Plus tard, trois jeunes gens se planteront d’ailleurs devant le diffuseur de Québec, mimant une chute libre en parachute pris dans les vents canadiens. Il n’aura pas fallu longtemps aux Rennais pour s’approprier l’installation des deux artistes.
A la nuit tombée, les résonances se feront encore plus prégnantes, les mouvements des diffuseurs paraîtront encore plus féériques. On prendra alors pleinement conscience d’écouter un quatuor à vents exécuté par quatre villes éparpillées dans le monde, nous les rendant soudain plus proches. Une belle idée que ce quatuor à vents pour relier les hommes.
Photos : Expérience 1 : Mr B., Inject : Caro
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Le site d’Herman Kolgen : http://www.kolgen.net/nuevo
Le site de Maintenant : http://www.maintenant-festival.fr/
Le festival Maintenant a lieu à Rennes du 14 au 19 octobre 2014.