Electroni[k] : Belle nuit américaine au Diapason.

Des passe-droits pour les détenteurs, pour les autres « on voit tout ça à 20 heures ! » claironne le gardien du parallélépipède à face de verre ; moi qui avait pris mes dispositions afin-de-ne-pas-gêner-le-déroulement-du-spectacle-l’accès-de-la-salle-sera-refusé-aux-retardataires, de façon inattendue le temps se dressait en perspective : de quoi en griller une, tuer son temps en somme.

L’accueil est assuré par El Gyeah, au fond, près du bar, ça donne une atmosphère à comment dire : la réception ; ça papote, ça s’esclaffe, ce qui fait qu’au final on a peine à suivre le DJ set.

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Quand Eric Descond, flutiste de l’Orchestre de Bretagne apparaît aux abords de l’entrée sur une estrade d’appoint, il ne manque pas de demander (avec la courtoisie immanente à la nature de son instrument…), le silence pour « Vermont Counterpoint » qu’il s’apprête à interpréter, laissant poindre sa crainte « d’y rester » si le brouhaha perdure. « Vermont Counterpoint » de Steve Reich est une pièce composée pour 11 flûtes, elle peut être interprétée par un soliste accompagné d’une bande : c’est la version qui est proposée ce soir.

Eric Descond en parle en utilisant l’analogie d’une photo projetée toutes les secondes avec d’infimes changements, les différences ne sont perceptibles qu’au bout d’un certains temps : c’est tout l’art de Steve Reich, la répétition changeante. Malgré des conditions peu adéquates, la performance laisse rapidement place à une jubilation rythmique et ludique, le jeu des différences semble ne plus être si loin…

Au programme ensuite deux pièces pour ensemble, l’une pour quatuor et bande : « Different Trains », et une seconde pour orchestre « City Life » ; toutes deux utilisent des matériaux sonores pré-enregistrés.

Dans « Different Trains » il s’agit de témoignages, on y entend la gouvernante de Steve Reich qui l’accompagnait lorsque enfant, il traversait les États-unis en train pour rejoindre l’un ou l’autre de ses parents séparés, un employé de wagon lit et le récit de rescapés de la Shoah, alors enfants. Le lien : le train qui tisse des chemins sur le territoire, pour le meilleur, pour le pire ou dans l’indifférence.

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Le système de diffusion acousmatique qui est un véritable outil de spatialisation du son plonge l’auditeur exactement au centre de la musique ; le principe de composition qui consiste à reprendre les mélodies du discours ouvre des perspectives surprenantes ; on ne savait pas qu’il y avait tant de musique dans le langage ! Modérons cet enthousiasme : le texte est évidemment en américain, pas sûr que le français fut un support d’une aussi grande richesse.

Encore une fois, ce qui pourrait se résumer à une prouesse technique prend une réelle dimension émotionnelle. Les projections de l’artiste Herman Kolgen parachèvent le dispositif ; le visage collé à la vitre du train, le paysage défile, l’architecture métallique américaine d’avant guerre, les plaines et l’urbanisation graphique se découpent dans le ciel, tout déroule et se répète, comme un sillon rebouclé, creusé, modifié, tour après tour. Le spectacle total que Reich appelait de ses vœux est tout près, tout près des yeux, des oreilles et du ventre.

Le quintet : quatuor plus bande magnétique, laisse la place à l’orchestre de Bretagne dirigé pour l’occasion par Jean-Mickaël Lavoie pour la deuxième pièce. Dans celle-ci, ce sont les bruits de la ville de New York qui ont été pré-enregitrés, en revanche dans cet opus, ils sont échantillonés et joués en direct. Si dans le quatuor une véritable force s’est dégagée de l’exécution, dans l’interprétation de « City Life » la rigueur sèche de l’orchestre appuyée par une acoustique qui l’est tout autant ne donne pas toute l’ampleur que l’on pouvait espérer. On se retrouve finalement devant une interprétation analytique, certes convenant au thème mais qui nous laisse un peu de l’autre coté de la rue.

Avant de se diriger vers la fin de la soirée, un intermezzo avec les élèves du Conservatoire de Rennes, dit à rayonnement régional (!?) avec une courte pièce (plus ancienne) de Steve Reich : « Clapping Music ». A l’origine composée pour 2 interprètes, elle est ici exécutée par une vingtaine d’instrumentistes de la claque ; car le principe de ce morceau c’est un pattern rythmique fixe sur lequel est superposé son identique décalé à chaque reprise, le tout en tapant des mains ! L’ensemble donne du volume à une pièce habituellement intimiste, c’est exaltant et l’auditoire est conquis.

Petite pause, le temps de remplacer les instrumentistes par une table couverte de machines, et c’est le début du set de Tim Hecker. L’intitulé dans le programme est « Clôture » et force est de constater que c’est le pré requis : la musique de Tim Hecker s’écoute les yeux fermés ; d’abord parce qu’il n’y a rien à voir si ce n’est un fantomatique visage dans une obscurité prononcée et ensuite parce qu’en étant exclusivement tendu vers la vibration acoustique ce n’est pas un monde clos que nous pénétrons mais un véritable espace de liberté.

La musique de Steve Reich est combine un semblant d’immobilité avec un mouvement permanent, elle interroge l’essence du son, sa substance mémorielle, sa saveur temporelle. A travers des nappes aux battements répétitifs, Tim Hecker puise dans l’œuvre de Reich et explore les timbres de nouveaux horizons. L’influence de Steve Reich sur la scène électro-pop n’est évidemment pas à démontrer, mais lorsqu’elle est transcendée à ce niveau, il faut à nouveau saluer le maître et féliciter l’élève.

Au final, cette troisième soirée au programme chargé tient toutes ses promesses, on s’en retourne l’esprit léger, heureux d’avoir participé d’aussi près à l’expérience Steve Reich.
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mea culpa : pas beaucoup de photos de cette soirée, j’en suis navré, mais contrairement à quelques collègues à la conscience professionnelle aiguisée qui ont « shouté » à qui mieux mieux, je n’ai pu me résoudre à ajouter le tchoktchok de l’appareil à l’œuvre de Steve Reich : je ne connaissais pas la partition…

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