« Zig et More » est le premier opus d’une série de 12 pièces intitulée « Chroniques du Grand Mouvement » écrites par Marine Auriol. Tandis que 6 pièces sont achevées (dont 5 publiées aux éditions Théâtrales : « Zig et More », « L’Angare », « Urbi », « Les passagers », « Fragments neufs »), la comédienne et la metteur en scène Gaëlle Héraut s’engagent avec la compagnie l’Aronde dans la création de ce dodécalogue. Entre poésie et politique, les Chroniques du Grand Mouvement sont une saga d’anticipation ; « Zig et More » inaugure le cycle.
C’est dans la pénombre que commence « Zig et More », dans la pénombre et le son. Une silhouette glisse doucement au milieu des craquelures métalliques du sol, champ de bataille, quand le paysage revêt un masque d’acier ou déchirure du sol quand la croûte terrestre frémit. On y devine encore le relief mais l’humus a disparu et chaque pas, pied nu, risque une blessure. C’est justement ce que fait Zig, traverser pieds nus ce terrain de lames ; il ne se blesse pas, il s’arrête sur une « gourde »! Une gourde, on sait ce que c’est, ça calme la soif le long du chemin, mais celle-ci on ne s’en dégage pas sans risquer de terminer « en petits morceaux de Zig ». Les choses ont dû effectivement changer, la signification des mots aussi.
Trois silhouettes sortent de nulle part, parmi elles : More avec un « e ». Non comme « la mort », celui-ci explique : « …parce qu’on me disait toujours : des Cadrieux il faut en tuer more ». Il est ce « plus », ce « d’avantage ». Il prend position pour surveiller son point. Le point de More est aussi l’endroit où est la gourde de Zig. Depuis le « Grand Mouvement » deux camps s’affrontent, Zig et More ne sont évidemment pas du même. On assiste à la rencontre de ces deux là, aux noms improbables, à l’identité sacrifiée par le conflit. More ne tire pas, tôt où tard la gourde fera son travail, quand la fatigue de Zig lui fera perdre l’équilibre. Il y a aussi un record à battre : 15 jours de face à face entre un CAPP (Commando Armé Pour le Pouvoir, ah ! la présence des acronymes à proximité du kaki…) et un Cadrieux avant que l’engin ne réduise la proie en bâton supplémentaire sur le carnet du chasseur.
Pour Zig et More le face à face devient côte à côte et le record miraculeux. Ils se racontent, ils se dévoilent, ils se lient. Mais l’épaisseur en clair-obscur de l’espace aurait dû attirer l’attention ; l’obscurité cache une autre histoire, celle qui permet à Zig de passer les années d’une façon surprenante, et on est convaincu qu’il a vieilli, que le temps a passé.
Comme Zig sur sa gourde il y a un jeu d’équilibre dans ce spectacle.
Le texte de Marine Auriol est un alliage étonnant de poésie et de politique. Les deux protagonistes sont le résultat du « Grand Mouvement ». Secousse de la terre qui a entrainé la séparation des Hommes. Lointaine, floue, cette secousse n’en est pas moins le ciment de leur vie, repère fixant un avant et un après pour l’un, vie même pour l’autre. Rien ne s’y réfère, pourtant on ne peut s’empêcher de penser aux conflits interminables, aux catastrophes qui jalonnent le 20ème siècle, qui ont enveloppé comme un voile de cendre plusieurs générations, qui recouvrent encore. « Zig et More » c’est quand on laisse l’Humain avec l’Humain, comme résultante des forces extérieures il finit par cultiver l’entendement, il se prend à rêver d’une fleur qui aurait résisté par delà… mais dans l’ombre les ficelles demeurent, ceux qui les manipulent aussi.
La mise en scène de Gaëlle Héraut est une tension harmonieuse, un fil tendu, l’irrationnel mêlé de l’ordinaire, la justesse également. Il n’est pas question non plus de céder au sensationnel. Rien de spectaculaire en somme, de sorte que tout le devient. Les deux comédiens marquent d’une réelle humanité le parcours de Zig et de More. A noter aussi la belle place faite à la musique, elle s’inscrit dans la profondeur du temps et de l’espace ; elle ne souligne pas, elle accompagne, suggère, rythme, laisse la place ; au fond, participe à ce bel objet, jeu des équilibres qu’est « Zig et More ».