Après ces deux premiers jours au Parc Expo, on se disait que cette 32ème cuvée des Trans risquait fort d’être un bon cru. De belles découvertes (Donso, Madensuyu, Shogun Kunitoki, Matmon Jazz…), des confirmations par rapport à ce qu’on attendait après les disques (Connan Mockasin ou The Pack A.D.), et quelques déceptions (le show de M.I.A. totalement impersonnel) très vite oubliées grâce à tous ces bons sets à se mettre dans les oreilles. On se dit que ce soir, c’est là que se jouera ou non la confirmation. Alors ces Trans Musicales 2010, édition à garder en fûts ?
On s’était promis d’arriver tôt car on ne voulait pas manquer DJ Psyché. Au premier abord, on n’avait pas bien compris. C’est Christophe (Brault) qui lors de l’enregistrement de l’émission (Music Machine), nous a fait nous pencher sur la photographie du programme. Les atours de Psyché (longue perruque de cheveux raides, boa hawaïen et fleur psychédélique en plastique) nous avaient trompés et on n’avait pas reconnu l’ancien vendeur de Rennes Musique. Làs, on arrive juste à la fin du set hall 3.
Heureusement pour nous, le DJ jouera plus tard juste avant l’arrivée de Roky Erickson. Sélection impeccable, forcément psychédélique, titres obscurs mais qui font mouche, DJ Psyché assure et chauffe l’ambiance pour l’arrivée de Roky Erickson.
Juste avant dans le hall 3, on écoute quelques morceaux d’un groupe américain Crocodiles, venu de San Diego. Pour autant, leur musique ne s’apparente pas vraiment à une pop surf de garçons de plage. Blues-rock psyché, chanteur gominé en blouson de cuir noir qui gesticule devant son micro. On n’est pas vraiment convaincu : on a un peu l’impression d’avoir entendu leur musique des dizaines de fois. Le chanteur a certes une jolie présence et un grain de voix qui peut toucher mais on préfère pour notre part retrouver Théo Gravil dans le hall 9.
Le jeune homme a déjà enflammé Astropolis et un vrai public d’amateurs d’électro. Ce soir, il a la délicate tâche d’ouvrir la soirée du hall 9 (le hall le plus immense qui devient chaque samedi des Trans un immense dancefloor). Il nous racontera plus tard en interview que les portes métalliques du hall 9 se sont levées exactement au moment où il commençait son mix. Mais malgré la pression et son jeune âge, le dj rennais assure un set d’excellente qualité. Techno racée, minimale et dark dans l’esprit, pas tape à l’œil pour deux sous, qui prend le temps de se développer. Le hall se remplit doucement mais cette entrée en matière est un excellent warm up. Une fois encore la valeur n’a pas attendu le nombre des années. On suivra avec attention l’évolution de ce tout jeune artiste.
On attendait l’arrivée de Matthew Dear avec impatience. L’artiste américain nous avait déjà retourné et fait perdre toutes nos forces sur le dancefloor il y a quelques années à l’Espace pour un dj set impressionnant de maîtrise. On adorait les sorties de son excellent label (Ghostly International, vous savez les pochettes avec le petit fantôme), ses disques et ses expérimentations sous son nom ou sous les pseudos d’Audion ou False… L’Américain n’hésite pas à expérimenter dans tous les genres, passant d’une techno très minimale et transpirant la classe à une pop électro pleine de noirceur et d’accents à la Bowie/Eno flirtant avec les percussions des Talking Heads, quand elle ne déroule pas cette mélancolie chère à New Order.
Quand le set commence dans le hall 9, on est d’abord étourdi par la classe du bonhomme. Accompagné par son live band, le musicien en costume, chante de sa belle voix grave et sombre. On est happé très vite, d’autant qu’un passage à la trompette (et oui !) nous laisse les oreilles exsangues.
Oh la la, se dit on, ce concert va tous nous clouer. Malheureusement, le deuxième morceau nous laisse comme une vague sur le sable et on n’y retrouve pas cette classe noire et vénéneuse du premier titre.
Que faire ? On aurait souhaité laissé plus de chances à l’Américain, un peu persuadé que le set aurait fini par nous convaincre si on lui avait laissé le temps de se développer. Mais dans le hall 3, il y a une vieille légende qu’on ne veut surtout pas manquer.
Roky Erickson, le leader de feu 13th floor Elevator, a connu une carrière et une vie pleine de houle entre succès et accès de schizophrénie (voir l’excellent focus sur Roky Erickson). On n’ose pas trop espérer de cette date craignant de revivre ces concerts limite pathétiques de vieilles gloires désormais à côté de la plaque à notre plus grand désarroi. On tremble donc un peu quand on voit l’homme s’avancer avec sa barbe et sa guitare d’un pas pas complètement assuré au milieu de la scène.
On sera vite rassuré. Lorsque la voix éraillée de ce grand monsieur commence à résonner dans la salle, on y entend aussitôt les excès et les souffrances passés, mais aussi une classe digne et une vraie émotion. Le backing band (Overkill River) assure carrément et sertit de psychédélisme racé la voix et la guitare de Roky Erickson. Derrière eux, un écran avec des images de plus en plus psychédéliques, passant d’une robe papillon (impossible de décrire ça autrement) à des images dignes des tests de Rorschach en déviant sur une paume de main fluo dans la forêt. La dégaine des musiciens (ah, ce chapeau à larges bords du bassiste) et l’ambiance entre garage et psychédélisme font mouche.
On passe un très bon moment, d’autant qu’on est touché par ces petits coups d’œil récurrents que Roky Erickson dirige vers son guitariste. On a l’impression qu’il lui donne toute sa confiance et qu’il s’assure à chaque fois qu’il est bien dans le temps. C’est d’autant plus émouvant que cette légende psychédélique assure encore fort bien. Quelques passages foutraques, la tête tournée trop loin du micro parfois lorsqu’il chante mais au final une bien belle impression. On ressort ravi et bluffé par cet homme désespérément classe.
Comme on doit s’éclipser pour une interview à l’espace média, on craint de rater complètement The Gaslamp Killer qu’on attendait pourtant fortement (voir le focus sur Gaslamp Killer et Gonjasufi). Le tueur de lampe à gaz (?) a entre autres produit le dernier LP de Gonjasufi et semble complètement allumé sur scène. On en verra les dix minutes finales. Complètement déjantées. Mr B. nous promet alors de tout nous raconter en quelques lignes.
The Gaslamp Killer par Mr B.
Les vidéos des lives enflammés du chevelu et californien Gaslamp killer étaient pleines de promesses. Le monsieur a amplement su se tenir à leur hauteur. Derrière ses machines, le bonhomme est une vraie tornade hirsute. Durant toute la prestation, il s’agite comme un possédé, mime à grands gestes les lignes de synthés diaboliques qu’il nous balance à la face, danse, chante et rappe avec fougue, introduit ou commente ses sélections. Bref, un vrai zébulon sous acide.
Du côté des sélections, c’est aussi le bonheur. Ça démarre hip hop old school et drum & bass, vire aux bidouilleries informatico-vintage du glitch avant de filer droit vers le dubstep pour conclure sur une apothéose plus electro. Si on ajoute que le gars ponctue le tout d’interludes à base de Jimi Hendrix ou de Radiohead, vous aurez une bonne idée du joyeux foutoir proposé par le bonhomme. Une bonne grosse fessée donc, qui enflamme le hall 9 et ne sera même pas gâché par un stupide jet de bouteille d’eau inondant le matériel à la moitié du set.
Après cette tornade chevelue, on ne sait plus trop où donner de la tête. Trois concerts attendus se déroulent en même temps. Il y a d’abord Pnau, le groupe australien, dont Jean-Louis Brossard chante les louanges dans le hall 9. Les hip hopeurs de Blitz the Ambassador qui ont scotché tout le monde au jeu de l’ouïe jouent pour leur part Hall 4. Et les Nantais de The Inspector Cluzo & Mates qui promettent un show délirant hall 3.
On commence par faire confiance au programmateur des Trans et on se rend hall 9 pour écouter le groupe qu’il a programmé « à la meilleure heure du festival » : Pnau. On pénètre dans un hall 9 bien plein (mais moins, on vous rassure que la veille pour M.I.A. où on pouvait à peine remuer un orteil ou une oreille) dans des lumières pop pastel et acidulées. Sur scène, le chanteur bouclé est vêtu d’une sorte de tunique noire découpée, tout comme celle du guitariste.
On écoute quelques titres du tandem australien. On se dit que cette électro-pop pourrait effectivement remplir des stades. Une bonne partie du public a d’ailleurs l’air d’apprécier. On est plus dubitatif. Tout ça manque un peu d’expérimentations viciées à notre goût. Néanmoins on peut reconnaître que les musiciens donnent de leur personne sur scène et le hall 9 ne désemplit pas.
On file donc très vite retrouver Blitz the Ambassador pendant que Yann, notre troisième chroniqueur de la soirée se précipite dans le hall3 pour entendre les inénarrables Inspector Cluzo. Bien lui en a pris.
The Inspector Cluzo & Mates par Yann
Après avoir écouté quelques titres prometteurs, nous nous engouffrons dans le Hall 3, en espérant assister à une prestation réussie de The Inspector Cluzo. Leur set va se révéler plus riche que prévu, dépassant largement nos espérances.
Première singularité, Laurent Lacrouts à la guitare (alias Malcom) et Mathieu Jourdain à la batterie (alias Phil) occupent le devant de la scène. Les musiciens les accompagnant au second plan (trompette, saxophone, percussions et claviers) ne sont pas relégués au rang de faire-valoir : l’ensemble du groupe nous assène un blues-rock pêchu, qui lorgne vers le funk. L’énergie furieuse n’altère en rien la maîtrise musicale, et les morceaux s’enchaînent pour le plus grand plaisir d’un public conquis.
On pense avoir tout vu, mais que nenni. Malcom, maniant le 15ème degré de manière jouissive, demande à ses musiciens de sortir, pour rester seul avec Phil. Et là, dans une formation guitare-batterie, il demande au public de « casser ce hall ». Leur blues-rock se transforme alors en hard-rock démentiel, le batteur haranguant la foule avec ses doigts en cornes du diable. Le jeu furieux de guitare donne à Malcom des faux airs de Jack Black.
Le duo, rejoint par le reste du combo, fait monter une dizaine de spectateurs sur scène dans une folie toute maîtrisée, pour finir en apothéose sur le titre The Inspecteur Cluzo. Assurément l’une des prestations scéniques les plus réussies de ce festival.
De notre côté, on reste scotché par la prestation classieuse de Blitz the Ambassador. La température du hall a vite grimpé de plusieurs degrés au son de ce hip hop qui puise ses racines dans le free jazz ou qui se teinte parfois d’afro-beat de bon aloi. Sur scène, qui plus est, l’impression visuelle est chaleureuse : tous les musiciens sont en costume. On trouve un guitariste, un bassiste, une batterie et quatre cuivres qui basculent au même moment pour faire sortir leurs sons dantesques (de loin on dirait un saxo, deux trompettes et un trombone ?) et devant, qui arpente la scène, un MC harangueur de foule, au timbre chaud et au flow alternant entre vitesse et langueur.
Il n’est pas si fréquent de voir un groupe de hip hop s’appuyant sur des instruments joués sur scène. On est souvent plus habitués à entendre les MCs poser leur flow sur des boucles. Cette version « instrumentale » proposée par Blitz the Ambassador donne une chaleur beaucoup plus soul à ce hip hop métissé et la prestation scénique du groupe remporte les suffrages. Quand on sait qu’au même moment, The Inspecteur Cluzo renverse le hall 3 avec une prestation débridée… C’est la difficulté des Trans Musicales. On aurait envie de tout voir et on est constamment confronté à des choix cornéliens.
C’est encore ce qui va se produire par la suite On devra lâcher le très bon set résolument dancefloor d’A-Trak et le hall 9 pour foncer écouter notre plus grosse attente de la soirée, Gonjasufi. Pourtant, on n’avait pas envie de quitter la piste. Nos attentes (un gars qui a bossé avec Q-Bert ne peut foncièrement être mauvais, voir le focus sur A-Trak pour en savoir plus) sont vite comblées. Technique de mix imparable, science du dancefloor, avec des montées qui explosent, des nappes de basse qui collent au sol avant le sample mélodique qui fait bondir le public le doigt en l’air, set sans prise de tête qui inclut dans sa sélection le Barbra Streisand pour l’exultation d’un public bondissant.
On quitte la foule avec regret mais on attend beaucoup de la prestation de Gonjasufi. A côté, ce sont les Suisses de Mama Rosin qui déroulent leur musique cajun helvète. Ils maîtrisent, cela va sans dire, mais on regrette le manque d’innovations dans les compositions. Aussi après une dizaine de jeux de mots foireux autour de cajun, on file hall 4. On ne sera pas les seuls. Les Suisses jouent devant un public de moins en moins nombreux. Peut- être est ce parce qu’on n’a pas les codes de ce genre qu’on n’adhère pas vraiment. C’est dommage car sur le papier, on se disait qu’un bon trip cajun acclamé par le public était parfaitement le genre d’expérience délirante qui pouvait se passer au Trans Musicales.
Tant pis. On a rendez-vous avec Summa Echs aka Gonjasufi. On se demande un peu ce que va donner ce mélange hétéroclite d’influences sur scène (dubstep, garage, hip hop, pop hallucinée, chants tribaux, expérimentations en tout genre, j’en passe et des meilleures). Comment l’homme va-t-il retranscrire le mélange abstrait qu’on trouve dans ses morceaux sur scène ? On est cueilli par des musiciens carrés qui ne lâchent rien. On aperçoit Gaslamp Killer qui fait du hand-banging sur un côté de la scène. Il accompagne Gonjasufi mais on est bien incapable de voir comment, la foule étant bien compacte en ce début de set. Les ambiances enfumées et vaporeuses font la place à un set plus lourd et plus puissant. Les guitares se font parfois stoogiennes, les basses vrombissement et deviennent rocailleuses. La voix de Gonjasufi est à la fois éraillée et impérieuse, tout en s’autorisant parfois une langueur plus enfumée. Les titres ne sont pas si faciles d’accès, surtout à cette heure-ci, pense-t-on et certains peinent à entrer dans le concert. Pour notre part, on se révèle aussi conquis par ce live complexe que par les productions discographiques du bonhomme. Ce qui n’est pas peu dire.
Le passage par le set des Teenage Bad Girl sonne un peu pour nous comme une mauvaise descente derrière ça. On se disait pourtant que le duo français avait de quoi mettre le feu aux poudres avec une électro 2.0 à la house filtrée et pêchue proche de la Ed Banger Team. On ne reste pas longtemps : le hall 9 est pourtant bien rempli et danse allègrement. On reste pour notre part totalement imperméable à ce qu’on entend. On trouve même certains enchaînements un peu manqués. Commence-t-on à être trop fatigué pour apprécier ? On finit donc la soirée avec la cumbia-électro de Bomba Estéreo qui réchauffe les oreilles. Les Colombiens font danser une bonne partie du hall. Pour notre part, on commence à ressentir la fatigue de plus en plus et on s’éclipse sur la pointe des pieds.
La 32ème édition des Trans Musicales s’achèvera dans quelques heures sur un bilan plus que positif pour les organisateurs. Béatrice Macé confiera que la fréquentation est aussi bonne qu’en 2008 (au Parc Expo, environ 30 000 personnes sur les 3 jours par exemple avec deux soirs complets). De notre côté, on aura une nouvelle fois la satisfaction de parcourir le programme, qui nous semblait totalement abscons et inconnu il y a encore quelques jours, avec euphorie : on met désormais un son et une image derrière tous ces artistes. Et on aura surtout le plaisir d’avoir fait une nouvelle fois de belles découvertes qui nous accompagneront désormais sûrement longtemps. Alors cette 32 ème édition ? Bon cru assurément !
Photos : Caro, Bomber et Solène
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Wow, 14 concerts chroniqués ça c’est du compte-rendu.
Ptite remarque : il me semble que le (très bon) Backing Band de Roky Erickson était Okkervil River ?
Merci Mr B !!
tu as raison, je corrige de suite, ça m’a semblé bizarre en l’écrivant mais je ne voyais pas pourquoi ! heureusement que tu es là !
je corrige de suite 😉
Un compte-rendu à plusieurs mains ! bravo. On a l’impression en vous lisant d’avoir soi-même déambulé au milieu de ces halls, de ce peuple. Ne reste plus qu’à trouver les CD et les écouter religieusement en vous relisant !
Merci pour ce review très exhaustif, on entend les bruits sourds de cette orgie de sons jusqu’à La Réunion