Dire qu’on aurait pu passer notre dimanche soir devant un blockbuster insipide ou un des reportages bidonnés de Zone Interdite. Merci à l’Alambik de nous avoir épargné les affres abyssaux de la programmation télé dominicale avec la superbe soirée au Terminus du dimanche 21 février. On a pu y entendre Prune Bécheau, Arno Bruil et Rien Virgule et c’était beau.
Il semblerait que nous ayons dans ces colonnes une affection toute particulière pour les organisateurs évitant consciencieusement la sainte trinité jeudi-vendredi-samedi. Ceci fait que nos collègues de travail s’inquiètent régulièrement de nos mines du petit matin. Cela fait également que nous assistons tout aussi régulièrement a de très chouettes moments encore rehaussés par le plaisir de fronder sur ces déviations éloignées des autoroutes. Cette soirée du dimanche 21 février organisée par le chic Alambik avait donc un délicieux air de bras d’honneur à notre future journée de lundi et elle n’en fut que plus savoureuse.
L’intraitable Annette, patronne des lieux, veillant au grain, Prune Bécheau démarre son set pile à l’heure prévue. Seule avec son violon face à un Terminus déjà bien bondé, la jeune femme se lance dans une réjouissante exploration des possibilités sonores de son instrument. Elle ballade son archet en dehors des zones balisés pour produire d’hypnotiques crins crins joyeusement bancals. Elle triture les cordes jusqu’au bord de la rupture pour obtenir craquements et autres boucles grinçantes. Si les enregistrements disponibles sur son bandcamp nous semblaient un peu manquer de relief, c’est une tout autre affaire d’être confronté en direct à la chose. Les dissonances de la demoiselle nous prennent bien à rebrousse poil mais le résultat est aussi vivifiant que sensoriel. Cette entrée en matière délicatement vrillante nous offre la parfaite mise en condition pour ce qui va suivre.
Le Rennais Arno Bruil enchainait ensuite. Il était présent ce soir là sous la forme de son avatar : Crab Rangoon Institute Of Mantral Health. La pénombre se fait alors qu’il s’installe derrière sa table hérissée de boutons. Le monsieur échafaude alors des boucles abrasives et tempétueuses sur lesquelles il fait planer un chant assez fascinant. Sa voix distordue psalmodie des mantras fantomatiques d’une beauté fragile et légèrement inquiétante. On sent au fil du set une certaine tension due à quelques revers techniques mais au final la prestation ne perdra rien de son pouvoir d’évocation. Les craquements statiques, semble-t-il non prévus, apportent même une petite touche glitch qui n’est pas pour nous déplaire.
C’est ensuite au tour des très attendus Rien Virgule de venir jouer. Le Terminus se pare alors d’un décorum bichromatique rouge et bleu qui va apporter une superbe ambiance de Giallo parfaitement raccord avec la musique du quatuor dordognais. Jean-Marc Reilla et Manuel Duval (de France Sauvage, Pousse Mousse et Nouvelles Impressions d’Afrique) flanquent l’avant-scène derrière leurs impressionnants synthétiseurs customisés de ressorts et lames métalliques et autres boîtes de Pandore débordant de câbles électriques. Mathias Pontévia et Anne Careil sont eux tapis dans la pénombre écarlate du fond de salle. Lui est assis derrière une étonnante batterie dotée d’un énorme tom d’orchestre et de gargantuesques cymbales, elle, est installée derrière des claviers.
Comme sur leur épatant album Trente Jours à grande échelle, ils ouvrent sur l’atmosphérique Igloo Dentelle. On adorait déjà la variété et l’ampleur du disque mais en live c’est encore une tout autre histoire. Premier choc, le jeu de batterie de Mathias Pontévia s’avère aussi spectaculaire que fascinant. Extrêmement puissantes, ces rythmiques savent aussi se faire retorses et subtilement dissonantes. Il abandonne même parfois ces mailloches pour frapper les peaux ou les cymbales avec un micro, en captant à la suite des chocs d’étonnantes vibrations fantomatiques. Ces compagnons de scène ne vont pas se montrer en reste en matière d’intensité. Jean-Marc Reilla et Manuel Duval rivalisent de diaboliques boucles de synthés et multiplient les sonorités les plus envoutantes avec une fièvre communicative tout en tanguant comme sous l’orage derrière leurs machines. La perle noire de la bande est pourtant la voix profonde et évocatrice d’Anne Careil dont les incantations possédées dans la langue de Dario Argento achèvent de rendre le tout absolument tripant. Après un second morceau tout en ambiances électriques et sépulcrales, les choses vont s’emballer sur un Trafic de Masques tribal et incantatoire qui enflamme un Terminus plein comme un œuf. A partir de là, la bande ne va cesser de monter en puissance vers d’infernaux délices. Le monstrueux et cosmique Stella Cannibale est suivi de L’épouse des Congères, dont les notes orientales déglinguées et le chant vacillant transforment le bar en un vertigineux asile d’aliénés pékinois. Comme le disque, le concert s’achève sur l’hypnotique et abrasif Des Punks sur nos Caillebotis. La ritournelle de flûte du morceau transpercée de réjouissantes explosions de larsens accompagne une montée vers des rythmiques de plus en plus indus et bruitistes qui nous laissent pantois et ravis.
Le quatuor a donc réussi l’exploit de magnifier en live les subtilités et la puissance de leur disque. Bravo à eux et rendez-vous au prochain Tapette Fest pour ceux qui ont loupé cette immanquable expérience.
Y avait « Pas de printemps pour Marnie ».