A notre petit jeu de pronostics de pré-festival, ce dimanche 14 août était clairement la soirée la moins excitante du lot sur le papier. Ceci confirme d’abord notre nullité crasse dans le domaine des paris sportifs mais surtout les épatants talents de programmation de l’impeccable duo Coutoux & Floret.
Même si le valeureux camarade Yann aura sué sang et larmes pour vous fournir le délicat compte-rendu de la soirée de samedi en temps et en heure, nous ne ratons qu’à peine un petit quart d’heure de la prestation des New Yorkais d’Here we go magic. Tant mieux pour nous, puisque leur entrain et leur bonhommie nous filent illico la banane. La surdose bienvenue de photons n’est sans doute pas pour rien dans cette euphorie instantanée mais ce serait très injuste de sous estimer le rôle de la bande à Luke Temple. Le groupe se ballade avec bonheur et bonne humeur entre folk inspirée et un rock acidulé faisant joyeusement penser aux Talking Heads. Les gars se payent même le luxe d’une petite impro tout à fait savoureuse entre deux pépites survitaminées.
Pour entamer les hostilités, c’est juste parfait.
Nous serons par contre beaucoup moins convaincus par le concert d’Okkervil River. Les texans se démènent pourtant avec conviction et les instruments défilent allégrement… mais rien n’y fait. Leur pop matinée de petites réminiscences folk reste très classique et peine à sortir des sentiers battus pour s’élever au dessus du lot.
Pas de bol pour la gente masculine du fort, Cat’s Eye n’a rien à voir avec les cambrioleuses callipyges en combinaison moulante du dessin animé. Il s’agit plutôt du projet de collaboration entre Faris Badwan, le chanteur à la mèche ténébreuse de The Horrors et de Rachel Zeffira, cantatrice italo-canadienne sûrement très copine avec Frédéric Lodéon. Ça commence plutôt fort avec dès le second morceau une puissante reprise du Lucifer Sam des Pink Floyd. La voix extraordinaire du monsieur impose d’emblée sa suavité lugubre. Pourtant le set nous laisse un sentiment d’inachevé. C’est très court : à peine 35 minutes et zoupla. Même si la belle a l’air de beaucoup s’amuser tout le reste de l’équipe tire une tronche d’enterrement. Et surtout plus gênant, la voix de la soprano reste curieusement sous employée. Ce n’est pas qu’on aimerait la voir se transformer en Arielle Domsbale, mais on reste sur le sentiment qu’elle pourrait aller beaucoup plus loin. Même les moments où la belle et la bête partagent le chant semblent étrangement bancals. Pas désagréable donc, mais frustrant.
Fleet Foxes par Isa :
Les groupes à arpèges et harmonies vocales en concert, il y a souvent deux options… Dans un cas, la perfection des chants et la virtuosité acoustique n’est en réalité que l’œuvre d’un producteur magicien qui réussit à force d’obstination et de talent à révéler les pépites où les autres ne tamisent que de la boue. Et qui parvient à sculpter des pierres éblouissantes à partir de cailloux bruts. Et dans ce cas, le passage au live est un supplice pour l’auditeur. L’autre option, c’est que la perfection et la virtuosité sont le fait même du groupe. Auquel cas, le passage au live transcende encore le talent des musiciens. Fleet Foxes fait résolument partie de la deuxième catégorie.
Qu’il pioche ses morceaux dans Helplessness Blues, son dernier effort ou dans son premier album éponyme, le groupe nous en offre des versions sublimées, avec au hasard une ribambelle d’arpèges à la guitare sur l’instrumental The cascades qui ouvre les hostilités en douceur ou un White Winter Hymnal qui fait danser de joie le public venu massivement pour les Américains.
La prestation du sextet de Seattle est impeccable de maîtrise et de finesse. La voix de Robin Pecknold à la fois douce et habitée trouve un parfait écrin dans des harmonies de haute voltige, à quatre voix le plus souvent, qui s’invitent parfois sur des breaks a capella. A la fois aérienne et virevoltante, la musique des Fleet Foxes sait pourtant aussi monter en puissance et accélérer le pied au plancher de la grosse caisse pour transporter un Fort ravi et conquis. On applaudira à deux mains les mélodies à tiroirs et étages du multidirectionnel The Shrine/ An argument, ainsi que la finesse mélodique et la virtuosité instrumentale pleine d’émotion (avec en plus des guitares –sèches, électriques, basse, 12 cordes, avec archet-, basse, batterie plus habituels, des flûtes traversières, piano, mandoline, contrebasse, saxophone…) dont la musique du sextet ne se départira à aucun moment.
On imagine bien sûr que pour ceux qui n’apprécient pas particulièrement les délicates pop-songs habillées de guitare folk à carreaux seventies, le concert de Fleet Foxes aura peut-être semblé un peu long. De notre côté, on aura trouvé tout cela désespérément classe de bout en bout.
Les Crocodiles ne nous avaient pas fait grande impression aux dernières Trans Musicales. Ce n’est pas ce set qui nous fera changer d’avis. Brandon Welchez, Rimbaud sur le torse et Jack Daniel‘s dans la main prend la pose avec application. Le groupe déroule son rock garage avec force mais avec un manque d’originalité embarrassant et des gimmicks vraiment trop forcés. Même le bordel final avec invasion de la scène par un intrus éméché et déchaîné n’arrive pas à nous rendre ça sympathique. C’est dire.
Nous vous avions prévenu que la fin de soirée risquait fort d’être exaltante. On ne soupçonnait juste pas à quel point.
Dan Deacon est un monsieur charmant. Ça, vous pourrez le découvrir en lisant la pétillante interview qu’il nous a gentiment accordée, dès que nous aurons fini de la traduire.
Dan Deacon est un beau diable. Ça, tout le public encore présent dans le fort à 2h du matin vous le dira. On savait déjà qu’on pouvait faire faire des trucs incroyables à une foule. Mais le faire avec gentillesse, respect et humour, ça c’est fort. Bien campé à sa table couverte des engins les plus improbables, arc bouté comme dans une mêlée avec les premiers rangs, le Californien délivre des décharges soniques acidulées et cartoonesques transformant instantanément la foule en Zébulons sous Gurozan. En plus de ça, le rondouillard gaillard sait savamment ménager des moments de communions aussi déconcertants que marquants.
Un seul conseil : si le gars passe par chez vous, foncez y le plus tôt possible pour, comme les nombreux fans qui entouraient la petite scène de la Tour 3/4 d’heure avant la performance, être le plus près possible de l’œil de la joyeuse tornade.
Le talentueux DJ Paul Régimbeau, plus connu sous le nom de Mondkopf avait la rude double tâche de passer derrière ça et de conclure le festival. L’enchaînement se fait pourtant sans aucune difficulté. Le son est massif, les beats assassins et les jeux de noir et blanc des vidéos sont spectaculaires à souhait. L’étrange mélange : ambiance gothique lourde/rythmes ultra dansants, qui fait la saveur de son album Rising Doom confirme sa terrible efficacité sur scène…
Et là, soudain le drame. Le cauchemar ultime du DJ : une brutale coupure de son au bout d’une demi-heure de montée irrésistible.
C’est à se genre d’incident qu’on mesure toute l’importance des enchainements et des choix de morceaux dans ce type d’exercice. Heureusement pour tous, le problème est assez rapidement résolu et le set redémarre au détriment des projections qui seront remplacées par de très bons jeux de lumière. Le monsieur réussit l’exploit de nous faire repartir ça sans trop de dégâts et après un temps étonnamment court de remise en route, le fort est à nouveau sous le charme. C’est d’autant plus remarquable que le mix du bonhomme ne cède à aucune facilité et s’appuie même sur un tempo assez lent et mélancolique.
Il est 4h du matin. On a trois jours de festival dans les pattes et chacun d’entre nous repartirait volontiers pour un petit concert de plus.
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Le bilan artistique de cette nouvelle édition est une nouvelle fois brillamment positif. La programmation est encore un vrai bonheur d’originalité et d’audace.
La petite préférence de l’équipe va à la soirée de vendredi avec une homogénéité de la qualité des concerts tout bonnement surnaturelle.
Malgré le déluge, samedi restera surtout dans nos mémoires pour l’incandescente prestation de Low et les sets enragés des Kills et de Dirty Beaches.
Enfin, le dimanche a été enchanté par les somptueux Fleet Foxes et finalement mis sur orbite par l’enchainement redoutable Dan Deacon/Mondkopf.
L’ajout de la petite scène a permis trois performances supplémentaires ayant touché le public au plus près et qui ont surtout rythmé les fins de soirée avec une redoutable efficacité, si on en juge le nombre incroyable de personnes encore présentes en toute fin de soirée.
Enfin chapeau bas à l’indestructible public qui aura accueilli chaque groupe avec une ferveur égale et résisté aux sept plaies d’Égypte la bière à la main et le sourire aux lèvres.
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Les photos du dimanche (Solène, Mr B., Caro)
Retrouvez notre dossier spécial Route du Rock 2011
Le site de la Route du Rock : http://laroutedurock.com/wordpress/
Un peu de mal à qualifier un DJ de talentueux lorsqu’il n’utilise même pas une mixette et un lecteur CD en backup. Sur le son, no comment, c’est du son « à la française » (pensez Ed Banger, Brodinski… du cheapo electro comme on dit chez moi. Ca fait qq années qu’on a que ça de toutes façons dans les festivals français en matière d’électro. Si nappe + gros kick + nappe + gros kick etc, c’est pas de la facilité, je ne sais pas ce qui en est ? Une montée de caisse claire ?
Haaa, une réaction. N’hésitez pas les gens. On adore ça.
Je comprends bien ta réticence sur le terme Disk Jockey. Bon, le bonhomme retravaille quand même ses morceaux pour le live, choisit l’ordre et les enchainements. ça me semble quand même un boulot pas si anodin.
Pour le reste, sans nier un côté parfois « grosse artillerie » qui est déjà sur l’album, je te trouve quand même un peu caricatural. De plus, je reconnais au moins le talent du garçon pour ses deux excellents albums et surtout d’avoir su raccrocher les wagons après un sacré coup de massue technique.
Une petite réaction sur Aphex Twin dans le compte-rendu du vendredi peut être ?
C’est quoi ça, des « pop songs habillées de guitares folk à carreau seventies »?
Le compte rendu de concert est un exercice assez ardu et l’encadré sur les Fleet Foxes est vraiment tout pourri. En ce qui concerne le début de votre article, non, la production de chants/chœurs n’est pas aussi simple que ça et votre description simpliste est totalement erronée.
Quant à l’éventuel talent des programmateurs, je vois pas. C’est que des groupes hyper mainstream. Vous écoutez Rires et chansons ou quoi?
@Olivier Personne n’a dit que la production des « chants/Choeurs » était facile, juste que le studio permettait plus de rattrapage que le one shot du live. J’espère que d’autres festivals et d’autres sites web auront trouvé grâce à vos yeux cet été, pour adoucir toute cette amertume.
Merci pour le « tout pourri ».
Les « délicates pop songs habillées de guitares folk à carreau seventies », c’est ce qu’on appelle une image. Ça a aussi un nom en rhétorique. J’aurais pu écrire « les musiciens de Fleet Foxes semblent porter sur eux leurs références : vêtus de chemises à carreaux seventies pour la plupart, ils jouent leurs délicates pop songs à la guitare folk et on entend clairement les références à la folk des années 70″… bigrement plus long et sûrement moins rigolo. J’ai sûrement trop lu les Inrocks dans ma jeunesse. Je préfère cette image. Que ça vous plaise ou non, après…
Plus embêtant (quoique ?) peut être : « la production de chants/chœurs n’est pas aussi simple que ça et votre description simpliste est totalement erronée » Où ai-je écrit que la production des chants/choeurs est une chose aisée à faire ? Nous n’avons pas dû lire la même chose. Non, je ne prétends pas que la production des chants et des choeurs soit chose facile, bien au contraire, même si peut être le revolver que Spector amenait en studio semble tout de même un peu déplacé…
Mon propos était simplement le suivant : prenons par exemple un groupe de pop pour lequel nous avions une véritable affection, les Spinto Band, notamment à cause de leur single « oh mandy » qui était un concentré de pop façon sixties avec de très jolies voix sur disque. Ils sont passés à la Route du Rock et le passage sur scène a été plus que difficile : les très jolies harmonies vocales se sont transformées en bouillie sonore inaudible. Bien sûr, on peut mettre ça sur le compte de leur jeune âge, d’une mauvaise journée, d’un problème de son, etc… et c’est tout le mal qu’on leur souhaite. Il n’empêche qu’à la fin du concert on s’est dit « ah oui, ça doit peut être servir à ça un producteur ».
En revanche, il est clair que pour Fleet Foxes, après ce qu’on a pu entendre sur scène, qu’il y ait un producteur ou pas, les harmonies vocales sont parfaitement calées et maîtrisées. Je n’ai pas dit pour autant que c’était facile au producteur de produire le disque. Simplement que le talent du groupe à produire des harmonies vocales venait du groupe lui-même. Rien de plus.
Enfin, je ne prendrai pas le temps de vous expliquer pourquoi à notre avis, étant donné la taille du festival et le style de musique proposé par la Route du Rock (pop-folk-rock-électro anglo-américaine, pour dire vite), la Route du Rock se singularise par sa programmation. De notre côté, on a toujours préféré RCR et Canal B, mais on ne s’est jamais permis de juger ceux qui écoutent « Rires et Chansons » …