Elle était effectivement annoncée ce samedi. La pluie. Et les festivaliers étaient, pour la plupart, équipés en conséquence, bottes, ponchos et autres imperméables pour affronter les averses et la boue. Mais sept heures de pluie sans une seule accalmie, c’est long, très long… On pourrait pleurer tout au long de cette chronique sur ce déluge mais ce serait au détriment de très bonnes prestations. Et ce serait faire injure aux très nombreux spectateurs à la recherche d’abris de fortune entre deux sets et qui revenaient systématiquement devant chaque concert : une abnégation qui forcera le respect et l’admiration des groupes.
La soirée débute en douceur avec la pop délicate d’un jeune groupe, Still Corners. Sur EP, les mélodies pop nous avaient accroché l’oreille mais on craignait que la jolie voix diaphane de la chanteuse ne passe pas le redoutable examen de passage sur une grande scène en ouverture de soirée. On s’est fort heureusement planté, car la demoiselle assure vraiment. Elle pose son chant délicat sur des petites ritournelles pop élégantes, jouées par un trio guitare, basse, batterie, auquel elle ajoute quelques petites touches au clavier.
Le jeu scénique n’est pas bondissant, on sent les (jeunes) musiciens quelque peu empruntés, mais ils s’en sortent plutôt bien et le public répond présent. Ils nous proposent même quelques réorchestrations de certains de leurs titres comme Endless Summer et ses variations de chant sur le refrain. Jolie prestation qui nous donne envie d’attendre dans quelques mois la parution de leur premier album, Creatures of An Hour sur Sub Pop.
[Retrouvez le concert de Still Corners filmé par Arte Live Web ici]
Low par Isa
Alan Sparhawk nous cueille dès l’intro avec une guitare noisy habitée et dès qu’il se met à chanter on a immédiatement tous les poils qui se dressent d’un seul coup. Quand la voix de Mimi Parker , sa femme, arrive pour l’accompagner, on est totalement happé. Juste quelques mots (Nothing but heart), constamment répétés, qui progressivement deviennent de plus en plus intenses, d’abord par l’ajout de chœurs de plus en plus habités et par une lente montée en puissance des instruments (la guitare d’Alan, les percussions de Mimi -entendez un tom de batterie, une caisse claire et une charley qu’elle frappe régulièrement avec une mailloche ou des ballets- la basse de Steve Garrington accompagnés ce soir par un clavier). Alan crie même magnifiquement à la fin du titre. On est scotché et le public du Fort avec nous. Low commence essentiellement avec les titres de son dernier disque, mais pioche avec brio dans des albums plus anciens : la douceur de Nightingale côtoie le plus rock Monkey, le plus vieux Sunflower précède le tout neuf Try to sleep…
La voix grave d’Alan Sparhawk, le temps qu’il prend pour laisser vivre notes et accords, cette sorte de mouvement lent (non, pas hypnotique) qui balance dans la musique de Low nous cloue au sol. Cette batterie minimale, cette simplicité et cette lenteur revendiquées, on a finalement besoin de rien de plus. Juste cette chaleur, cette intimité avec ces voix et cette proximité avec l’aridité maîtrisée de la guitare. Low n’en fait pas des tonnes. Juste ce qu’il faut. La note au bon moment, le son qui vous transperce ou vous enveloppe le cœur dans un même morceau. Et puis leurs voix, surtout, belles à pleurer, belles à se damner. Les chœurs de Mimi adouciraient une troupe de mercenaires.
Et pourtant, Low n’est pas que douceur. Derrière ces voiles de lenteur, dans cette intimité donnée au public, on entend la hargne, l’aridité. Mais qui prennent d’autres médias que le cri et les accords violents. Non c’est exactement l’inverse : la rage se dissimule dans la douceur, la colère dans des harmonies vocales étincelantes. Sur You See Everything, l’émotion gagne encore davantage. On a la gorge qui se serre sur les chœurs de The Great Destroyer. Et ces bourricots enchaînent immédiatement avec un Especially me, chanté par Mimi, qui nous achève littéralement en nous renvoyant dans les cordes les yeux humides. La pluie, on va vous le dire, à ce moment-là, on s’en fout. On est en train d’assister à un concert sublime. Alan avoue nous trouver beaux malgré nos visages et nos k-ways dégoulinants, ce qui est accueilli dans les hourras. Le groupe achève sa prestation avec un Murderer d’anthologie dédicacé aux chèvres du Fort (les initiés comprendront). Nous, on est tout retourné et déjà quasiment sûrs d’avoir assisté au plus beau concert de la soirée.
[Retrouvez le concert de Low filmé par Arte Live Web ici]
Nous avons réussi à trouver un abri de fortune sous le stand des labels quand débute le concert de Cults. Ca sent clairement l’admiration pour les sixties et le label de Tamla Motown. Le chant de Madeline et Brian nous rappelle d’ailleurs certaines sonorités de cet âge d’or. Bon, le souci, c’est que lorqu’on joue dans la cour des grands en empruntant les jouets de ses illustres aînés, on prête le flan à la comparaison. Et force est de constater que Madeline n’est pas Gladys Knight ou Diana Ross. Sa voix fluette est presque enfantine et manque clairement de profondeur. Et puis le groupe joue sixties mais les guitares et la batterie ne suffisent pas : le groupe assure et nous livre une pop rafraichissante et dansante, mais on se heurte vite aux limites du genre. On attend la section de cuivres, mais comme elle ne vient pas, on se dit qu’une actualisation de ce genre musical aurait été préférable. Et puis le set est court, très court (à peine plus d’une demi-heure). Une prestation qui nous laisse sur notre faim, mais qui aura eu le mérite de permettre aux spectateurs de ne pas sombrer dans une torpeur humide.
[ Retrouvez le concert des Cults filmé par Arte Live Web ici]
Blonde Redhead par Isa
La dernière fois qu’on avait vu Blonde Redhead c’était à la Route du Rock justement. Et on doit l’avouer c’était des conditions apocalyptiques : coups de tonnerre, déluge dantesque et éclairs striant le ciel. C’est un peu moins pire ce soir, mais les pauvres New-Yorkais retrouvent encore le Fort St Père sous la pluie. Qu’importe, il y a de la magie dans cette musique-là. Le trio qui avait commencé avec une noise chère à Sonic Youth est progressivement devenu plus pop. Certains fans des débuts ont eu du mal à raccrocher les wagons, mais nous on doit dire que ce qui nous plait avec le trio Blonde Redhead, c’est qu’il a un style, un vrai, qu’on reconnaît immédiatement. Est-ce dû à la voix aiguë pleine d’émotion de Kazu Makino, à ces arrangements teintés d’électro ou à un véritable talent pour les mélodies à la fois lyriques et désenchantées ? On ne saurait trop le dire mais notre émotion est toujours bien réelle lorsqu’on entend le chant acidulé de Kazu Makino sur Elephant Woman ou les mélodies arrache-coeur de Messenger ou Misery. On avait oublié à quel point on aimait ces chansons.
Bien sûr, quelques titres joués ce soir semblent parfois souffrir de quelques longueurs, mais dans l’ensemble ces pop songs à l’univers synthétique éthéré et aux guitares rock un peu rêveuses emportent l’adhésion. La foule brave une nouvelle fois vaillamment la pluie et reste pour tout le concert. On retiendra pour notre part, la classe indéniable dont les frères Pace et Kazu Makino font une nouvelle fois montre sur scène. Et on ajoutera qu’on les reverrait volontiers à l’avenir sur la scène du Fort St Père, mais si possible cette fois-ci sans le déchaînement des éléments…
[Retrouvez le concert de Blonde Redhead filmé par Arte Live Web ici]
On prend à regrets un peu de recul pour les derniers titres des Blonde Redhead afin de se positionner stratégiquement devant la petite scène de la tour. Positionnement stratégique en effet, puisqu’Alex Zhang Hungtai aka Dirty Beaches lance sa petite boîte à rythmes quelques instants seulement après la fin du concert des Blonde Redhead.
La transhumance des festivaliers est immédiate et les premières notes de guitare sont jouées devant un public dense. Difficile de définir cet objet musical non identifié. Prenez un guitariste qui lance des boucles rythmiques pré-enregistrées, balance quelques riffs bien sentis sur sa guitare et s’empare d’un micro saturé par l’écho pour poser un chant rageur, et vous aurez un petit aperçu de cette prestation étonnante. Le tout dans une ambiance épurée, avec un éclairage cheap pour seul jeu de lumières. Et ça marche vraiment ! Les spectateurs entrent immédiatement dans le concert dès les premières notes, avec des titres qui sonnent 60’s tendance rockabilly / garage.
La voix d’Alex est très rock’n’roll et particulièrement énergique, entre Vince Taylor et Elvis Presley. On ne peut pas s’empêcher de penser à Suicide, c’est évident. Mais il faut reconnaitre que le canadien maintien une tension impressionnante tout au long de son set. Après une première partie du set très dansante, Alex nous propose des titres plus lents et plus sombres, mais le tout reste captivant. Nous avions découvert cette scène vide au début du festival, et on était restés dubitatifs quant à sa petitesse et son positionnement très proche du sol qui risquait de nuire à la visibilité. Mais après l’excellente prestation d’Etienne Jaumet et la fougue de Dirty Beaches, on peut dire que cette petite scène est un vrai plus et permet d’enchaîner les concerts en fin de soirée sans cette attente rendue plus difficile avec la fatigue.
Sans transition donc, on retrouve un duo très attendu si l’on se réfère au nombre impressionnant de spectateurs encore présents devant la grande scène du Fort Saint-Père. On avait émis quelques doutes dans notre focus sur The Kills . Allait-on assister à un concert un peu faiblard d’un duo vieillissant ? Une entrée tonitruante sur scène de Jamie et Alison plus tard, et on constate tout de suite que l’envie est là.
Et dès les premières notes, nos doutes sont dissipés : quel plaisir de retrouver ce duo qui a le don de mélanger blues, punk et rock pour un rendu inimitable. On rappelle tout de même qu’ils ne sont que deux sur cette immense scène, Jamie à la guitare et au chant et Alison au chant (qui s’empare parfois d’une guitare), le tout étant accompagné d’une boîte à rythmes. Ils occupent parfaitement l’espace scénique, n’hésitant pas à s’approcher en bord de scène.
Alison bouge dans tous les sens, d’un bout à l’autre de la scène, et son chant nous envoûte définitivement. Les modulations de voix se font sans aucune fausse note, et sa magnifique voix grave sait se faire plus aérienne lorsque les titres deviennent plus punchy. Ces modulations se retrouvent sur l’excellent DNA, tiré de leur dernier opus, Blood Pressures. Cet album passe l’épreuve de la scène haut-la-main, avec en point d’orgue le redoutable Satellite, sa lourde rythmique et son refrain aux faux airs d’hymne, repris en choeur par le public.
Et puis The Kills n’a rien perdu de cette capacité à vous choper l’oreille à coups de petits riffs accrocheurs et clairement identifiables. Il y a bien entendu les classiques du duo, tirés notamment de Keep On Your Mean Side, mais les derniers titres gardent cette qualité d’accroche, notamment Future Starts Slow, et son petit riff que Jamie prend plaisir à jouer lorsqu’il s’approche du public. Même s’ils ont récemment occupé la scène médiatique pour autre chose que leur musique, ils nous ont rappelé qu’il faudra encore compter avec eux dans les années qui viennent.
[Retrouvez le concert des Kills filmé par Arte Live Web ici]
Battles par Mr B.
Pour de basses raisons d’étanchéité, nous nous retranchons finalement sur Arte Live Web et loupons honteusement le début de ce qui est sans doute le concert le plus attendu de l’édition. En témoigne la foule encore très dense et motivée malgré la boue, l’heure tardive et la douche bretonne. On s’en mord d’autant plus les doigts que nous manquerons au passage, le prestation de Kazu Makino de Blonde Redhead venant rejoindre le trio sur scène pour interpréter le « Sweetie & Shag » dont elle est l’invitée vocale sur l’album Gloss drop.
Pour le reste, le groupe répond largement à toutes les attentes et récompense amplement les braves ayant tenu le choc hydraulique. Leur math-pop alambiquée prend une ampleur assez estomaquante en live. Les nombreux autres chanteurs invités sur l’album n’ayant évidemment pu être tous là, ils sont remplacés par des samples bidouillés de leur prestation et des vidéos. C’est un peu déconcertant au départ, mais on s’y fait finalement très vite.
C’est assez fascinant de voir la présence scénique de trois gars passant pourtant pas mal de temps penchés à trifouiller des boutons. Le guitariste-clavier Ian Williams fait preuve d’une ambidextrie virtuose. Bien calé sous sa cymbale perchée en haute altitude, John Stanier aux futs est totalement impérial. Quant au guitariste Dave Konopka dont les doigts baladeurs font des merveilles, il termine avec classe en déclarant de façon très émouvante tout le bien qu’il pense du public du festival.
[Retrouvez le concert de Battles filmé par Arte Live Web ici]
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Merci à vous the kills vraiment superbe. excellence absolue du rock