Les inégalités de genre dans le secteur des musées

Fondée en 2013 à l’initiative de personnes professionnelles et actives dans le domaine des arts et de la culture, l’association HF+ Bretagne a récemment publié la cinquième édition de son rapport statistique sur la représentation des femmes et minorités de genre dans le domaine de l’art contemporain et du spectacle vivant en Bretagne. Nouveauté cette année, l’étude intègre pour la première fois le secteur du cinéma, et des musées offrant ainsi une vision encore plus exhaustive de la situation actuelle.
Éloïse Jolly, chargée de mission de repérage chiffré des inégalités en 2023, et spécialiste des questions autour des féminismes et des musées, a bien voulu répondre à nos questions.

https://hfbretagne.com/
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►► [ALTER1FO] : Bonjour Eloïse, et merci de prendre du temps pour nous répondre. Peux-tu nous expliquer comment le domaine des musées s’est retrouvé dans ce diagnostic d’HF+ Bretagne ?

Eloïse : Suite à la parution de l’ouvrage collectif du Guide pour un musée féministe, sous la direction de l’association musé·e·s, dont je suis membre, l’association HF+ Bretagne nous a proposé une collaboration pour approfondir ce sujet. Malheureusement, en raison de nos emplois du temps chargés, les membres de musé·e·s n’ont pas pu y répondre positivement.

Question peut-être directe, mais à quoi cela sert de faire ce diagnostic ?

Le but est d’obtenir des chiffres objectifs, indiscutables. Le discours médiatique peut donner l’impression que les femmes et les minorités de genre sont de plus en plus représentées. Cependant, une analyse approfondie révèle qu’en dépit de certaines améliorations, l’égalité est loin d’être pleinement réalisée. Ce diagnostic nous aide à y voir plus clair, il se veut un constat, une fondation sur laquelle bâtir des actions concrètes. Enfin, peut-être faut-il le préciser, mais l’intention n’est pas d’établir un classement entre les structures !

Concrètement, comment cela s’est passé pour obtenir toutes les informations ? 

L’équipe a établi un partenariat avec le réseau professionnel de musées « Bretagne musées », fondé en 2015. Cette organisation fédère l’ensemble des musées détenant le label « Musées de France » en Bretagne. Ce dernier, décerné par le ministère de la Culture, implique le respect de normes rigoureuses, notamment en ce qui concerne la préservation des collections.

Un panel composé de 35 musées a ainsi été sollicité pour répondre à un questionnaire portant à la fois sur la structure, les effectifs, les bénévoles, les budgets alloués aux différents projets, ainsi que sur les aspects liés aux expositions temporaires et permanentes, à la programmation (tables rondes, conférences, animations scolaires… ), à la conservation des collections.

https://hfbretagne.com/wp-content/uploads/2023/09/DiagHFBretagne2023-WEB-bassedef.pdf
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Sans revenir sur l’ensemble des données, nous mettrons en lien le diagnostic (voir ci-dessus, NDLR), as-tu été surprise par les résultats obtenus ?

Avant d’entamer l’étude, j’avais l’impression, répandue au sein des professionnel·les militant·es, que les musées tendaient de plus en plus à mettre en lumière les femmes, et minorités de genre mais uniquement à travers leurs activités temporaires : expositions, tables-rondes, visites spéciales… Et non de manière pérenne : expositions permanentes, acquisition, documentation, indexation… Pourtant, lorsque l’on examine les données chiffrées, le constat n’est guère brillant, que ce soit pour le temporaire ou le permanent, malheureusement.

Peux-tu nous en dire plus ?

Sur un total de 43 expositions temporaires, il a été observé que 68 % d’entre elles mettent en lumière l’histoire et le travail artistique des hommes, tandis que seulement 16 % se concentrent sur celui des femmes, et 16 % des contenus aux thématiques mixtes.

En ce qui concerne les expositions permanentes, il est important de noter que les institutions muséales sont peu nombreuses a avoir fait l’effort de mettre en place une indexation genrée de leurs collections. L’indexation genrée d’une base de données va, par exemple, permettre de faire ressortir, via une recherche par mot-clef, les items créés ou utilisés par une femme. Parmi les musées disposant d’une indexation genrée de leurs collections et ayant donc pu nous répondre sur ce point, seulement 17 % des objets exposés dans les parcours permanents ont soit été créés, soit appartenaient à des femmes ou à des personnes non-binaires. 

Cette analyse permet de regarder un des graphiques importants, qui est de savoir comment se compose la direction des musées ?

Effectivement, il apparaît que ce ne sont pas nécessairement les équipes des expositions qui ont généralement le dernier mot pour les choix cruciaux du sujet de celles-ci. En effet, celui-ci est partagé par les membres de la direction, qui déterminent les sujets d’expositions, des choix cruciaux. Or, on constate une disparité marquée entre une direction majoritairement masculine et une direction plus féminine. Les chiffres révèlent que 65 % des thématiques d’expositions concernant principalement les hommes quand la direction est masculine, tandis que ce chiffre chute à seulement 33 % lorsque les femmes occupent des postes de direction.

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Ce diagnostic étant posé, que se passera-t-il à présent ?

Dans chaque département, l’association HF+ Bretagne organise des présentations publiques accessibles et ouvertes à toutes et tous, à l’image de celle qui s’est déroulée à l’Arvor le 30 septembre dernier. Ensuite, de nouvelles présentations uniquement dédiées et destinées aux adhérent·e·s des réseaux professionnels et partenaires avec qui nous avons travaillé seront faites, avec une approche ciblée sur leurs intérêts.

L’objectif de cette sensibilisation est de stimuler l’engagement pour provoquer des changements concrets et une prise de conscience auprès des décideur·euse·s.

Une dernière question, il semble acquis que pour des raisons diverses et variées –  beaucoup de femmes artistes ont été balayées de nos histoires de l’art nationales ou générales. Comment en parler ?

Dans le domaine de l’histoire de l’art, de nombreuses chercheuses s’efforcent de retracer les traces du passé. Cependant, l’un des défis majeurs auxquels nous sommes confronté·es réside dans l’établissement d’un lien solide entre les musées et le monde/secteur de la Recherche.

En raison de contraintes de temps et de ressources financières, les avancées de la recherche demeurent insuffisamment mises en lumière au sein de ces institutions, notamment, sur l’enjeu de visibilisation des femmes et minorités de genre. C’est un état des lieux dénoncés par de nombreux·euses chercheur·euses, et notamment le collectif l’ARQ (Art et Représentations Queer).

Une autre piste plus modeste, sinon celle de resserrer ces liens recherche et musées, consiste pour les établissements à indiquer dans leurs cartels les manques dans leurs collections et dans la documentation de celles-ci. Il est crucial de communiquer clairement à ce sujet.

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L'ARÈNE Animée par Lucie - diagnostic d'HF+ Bretagne : encore du boulot !
L’ARÈNE Animée par Lucie – diagnostic d’HF+ Bretagne : encore du boulot !

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