Avec l’ouverture le vendredi 29 août 2014, du magasin It’s Only, les Rennais amateurs de musique voyaient avec beaucoup de plaisir l’offre locale s’enrichir d’une belle boutique généraliste. En une année, les trois anciens du Virgin Megastore ont su trouver leur place dans le paysage local. A l’occasion de ce premier anniversaire, nous sommes allés discuter avec eux de vocation, de bilan d’étape et d’avenir.
Nous avions déjà depuis un moment évoqué avec les gens d’It’s Only l’idée de faire une de ces longues interviews dont nous avons le secret. Ne manquait donc plus que l’occasion, qu’un prétexte événementiel. Ce sera finalement le premier anniversaire du lieu qui nous en fournit l’opportunité. Nous avons profité de la torpeur générale régnant sur Rennes au cœur du mois d’août pour aller longuement causer avec deux des trois tauliers : Richard Dick et Jean-Noël Kerjoant.
Jean-François Gourlay, Richard Dick et Jean-Noël Kerjoant
Alter1fo : Pouvez-vous commencer par nous raconter votre parcours avant de devenir disquaires ? Comment on fait pour devenir disquaire ?
Richard : Comment on fait pour devenir disquaire ? Par passion, tout simplement comme pour la plupart des métiers qui touchent à des domaines culturels.
La musique, j’en ai écouté depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir. Mon grand âge fait que j’ai vécu des périodes assez riches. Mon enfance a été bercée par les disques de mon père qui aimait beaucoup le classique et le jazz mais qui était aussi ouvert à d’autres choses. C’est lui qui m’a fait écouter mes premiers Bob Marley quand c’est arrivé en France.
Il y a aussi eu que, dans les années 70’s, on s’est pris coup sur coup les mouvements comme le punk et la disco. Quand on n’avait pas d’œillères, il y avait vraiment à prendre de partout. C’est une passion qui remonte donc à ma tendre enfance et puis même si je l’ai par moments laissée de côté pour des raisons diverses, je suis toujours retombé dedans.
Ma vie professionnelle était pourtant partie à l’opposé. Je me suis retrouvé contrôleur aérien dans l’armée avec les cheveux courts bien dégagés derrière les oreilles. Jusqu’au jour où j’en ai eu vraiment marre. Ça correspondait à l’ouverture du Virgin des Champs à Paris. J’ai donc démissionné en pensant pouvoir rentrer au Megastore et puis… ça ne s’est pas fait. J’ai trouvé autre chose et je me suis retrouvé dans une banque d’affaires. C’était « passionnant » mais au moins il fallait parler anglais parce que c’était une banque américaine. Ce qui était aussi bien c’est que j’étais enfermé toute la journée dans une pièce sécurisée donc je pouvais lire pas mal de presse. En plus, j’étais à dix minutes à pied du magasin des Champs donc j’allais passer toutes mes heures de table là-bas.
Ce qui devait arriver est arrivé, j’ai fini par réussir à faire de cette passion pour la musique mon métier. Je suis donc rentré en 1989 au Virgin des Champs comme vendeur au rayon metal. J’avais les cheveux longs de rigueur bien sûr. (Rires)
C’était quelque chose le Virgin des Champs à l’époque…
Richard : C’était un temple et ça l’est resté assez longtemps. Mes expériences de grands disquaires à l’époque, c’était les Tower ou HMV à Londres. Même à New York, où il y avait aussi des Tower, c’était des espaces plus confinés. Là, on se retrouvait dans un espace de 3 000 m² avec du marbre, c’était assez hallucinant avec en plus uniquement de la musique. Les rayons étaient gigantesques avec énormément d’imports. On a un peu oublié aujourd’hui cet état de fait mais à l’époque il y avait une grande proportion des disques qui ne sortaient pas en France. Il fallait se les procurer en import à des tarifs souvent prohibitifs.
Et toi Jean-Noël, comment es-tu arrivé au Virgin ?
Jean-Noël : C’est aussi la passion qui m’y a mené. Moi, j’étais boulanger pâtissier et je cherchais aussi un moyen de me rapprocher de la musique. Les horaires étaient un peu compliqués. Quand tu as 20/25 ans et que tu as envie d’aller faire la fête avec tes potes, c’est un peu dur d’être obligé d’aller au boulot à 2h du matin. A l’époque, je faisais de la radio sur Pontivy, j’avais un groupe de rock et je lisais aussi beaucoup de presse.
Moi je me suis pris en pleine face le courant électro anglais des années 90. J’étais à fond là dedans. Notre émission en parlait toutes les semaines. Je me suis dit que l’ensemble ferait bien sur un CV et j’ai envoyé une lettre au Virgin en 2001, un peu par hasard, et je suis tombé au moment où il développait justement le rayon électro. Le CV est donc arrivé sur le bureau de Richard et c’est comme ça que ça s’est fait. C’était génial parce que c’était une période où les musiques électroniques étaient à leur top. Il se passait plein de choses et c’était vraiment une musique nouvelle.
A l’époque, c’était aussi le dernier bastion du vinyle.
Jean-Noël : Oui, il ne faut pas oublier ça. L’électro et le hip hop, c’était les deniers genres où sortaient encore des vinyles.
Richard : Il y avait aussi les white label de Reggae. (Rires) Ça nous faisait halluciner. On avait un petit fournisseur de 45 tours en white label (avec l’étiquette du disque blanche!). On les passait par paquets de 100/150 et dans la semaine tout partait.
Vous avez donc ouvert It’s only le 29 août 2014. Quel regard vous avez aujourd’hui sur votre démarrage de l’an dernier ? Y a-t-il des choses que vous feriez autrement avec le recul?
C’est un projet qui avait mûri pendant un moment. On l’avait bien en tête et on savait où on allait dans les grandes lignes. L’ouverture, c’était un cap à franchir mais finalement c’était juste un événement parmi d’autres.
Entre la fermeture du Virgin et notre ouverture, il s’est passé plus d’un an et on ne s’est pas tourné les pouces pendant cette période. On a passé beaucoup de temps à écrire noir sur blanc ce qu’on voulait faire, ce qu’on ne voulait pas faire. Je vois même ça comme la continuité du travail qu’on avait fourni sur les quatre dernières années du Megastore. On a changé de lieu, de superficie, de manière de travailler aussi quand on regarde dans le détail mais il y a vraiment une continuité entre les deux.
Il a dû y avoir un sacré boulot pour convaincre les banquiers sur un projet de disquaire juste après la fermeture du Virgin ?
Richard : On est tombé sur des banquiers assez réceptifs. C’est plus eux qui ont du mal à convaincre leur propre commission de prêt, qui sont souvent nationales. Ils nous ressortaient les articles de presse mais sur des considérations au niveau du pays. Il ne prenaient pas en compte les spécificités régionales. Par contre au niveau local, on a été bien reçu. Sur sept dossiers qu’on a déposés, cinq ont été défendus ardemment. On ne va pas leur retirer ça. Les banquiers avaient surtout un doute sur nos projections de chiffres d’affaires. On l’avait forcément voulu ambitieux. Comme on avait aussi gonflé les dépenses, on avait un peu de marge de manœuvre. Donc un an après, on est content de ce qu’on a fait mais on est loin de ce qu’on avait écrit (Rires). Ça nous laisse une marge de progression non négligeable mais dans l’ensemble le magasin ressemble à ce qu’on voulait en faire. On a réussi à maintenir cette petite « couleur » musicale qui est très spécifique à Rennes tout en ouvrant le catalogue pour avoir quelque chose de très généraliste.
Je n’ai pas envie de m’interdire de vendre des disques comme ceux de Stromae par exemple. Je ne suis pas directeur artistique donc je ne me sens pas détenteur du bon goût et puis c’est en partant de ce que les gens cherchent au départ qu’on peut après leur proposer d’autres choses.
Rétrospectivement, est-ce que vous êtes satisfaits de votre emplacement et de votre lieu ?
Historiquement, c’est un lieu qui a servi pendant plus de dix ans à la vente de disques avec Harmonia Mundi. On a réussi à s’inscrire là dedans. Ça a été un plus, même si ce n’était pas le lieu qu’on recherchait initialement. On a tourné autour pendant un moment. Il y avait un souci de prix et la surface ne nous convenait pas. On connaissait le magasin comme il était initialement avec seulement l’avant d’exploité. Ça faisait 40 m² alors qu’on en cherchait 100/120. Une fois qu’on l’a visité et qu’on a découvert le potentiel à l’arrière, on n’a plus hésité. Après il a fallu passer à l’huile de coude, tout casser, tout repeindre.
Jean-Noël : On est content du résultat en tout cas. On est bien dedans.
C’est un lieu qui donne envie d’entrer et surtout qui donne envie d’y rester.
Richard : Il y avait cette idée là au départ. On l’a densifié avec le temps parce qu’on commence à avoir pas mal de marchandise et qu’on a envie d’y mettre plein de choses. Initialement, on voulait effectivement trouver un équilibre entre un commerce traditionnel et un lieu de vie parce qu’il n’y a rien de plus triste qu’un endroit vide. Je préfère que les gens entrent, s’installent, écoutent un disque ou regardent la télé plutôt qu’il n’y ait personne.
Jean-Noël : Bon, au début il y avait plein de coussins et puis on les a enlevés au fur et à mesure.
Richard : L’avantage qu’on a aussi c’est que le magasin est modulable et que quand on a un événement, on peut tout pousser pour faire de l’espace.
Comment les rayons ont évolué en une année ? Qu’est ce qui s’est le plus développé ?
Richard : Il n’y a pas eu trop de surprises. C’est un magasin qui est porté par le secteur rock et pop indés. Tous les courants qui sont ancrés dans Rennes. Par contre, on a aussi un beau rayon classique. Je n’étais pas trop partant.
Jean-Noël : C’est marrant cette image rock parce qu’on a aussi un beau rayon d’artistes français. Bon, il est au fond (Rires). Il a bien fallu faire des choix.
Richard : La surprise, elle est peut être venue du rayon classique. Je n’étais pas très partant au départ parce que j’aime bien mais je suis loin d’être un spécialiste. Mon associé Jean-François, lui, a travaillé dans le classique puisqu’il a été patron de label chez Universal et Sony. Il pensait que nous devrions quand même essayer et que ce serait dommage de laisser ça de côté. Il a donc travaillé sur la gamme avec un autre ami à nous qui est une pointure en classique. J’ai été assez surpris mais sur cette première année, on a fait un chiffre d’affaire qui est assez conséquent. Quand on a du Tame Impala qui passe dans le magasin, on est content qu’il y ait des gens qui viennent acheter du classique. C’est un public assez exigeant sur son confort d’écoute et qui n’aime pas trop être bousculé mais finalement ça se passe plutôt bien. On perd peut-être quelques aigris mais on a une vraie clientèle qui s’est installée et qui s’y retrouve.
Quand vous avez monté le projet, est-ce que vous aviez des disquaires de référence en tête ?
Jean-Noël : Moi, c’était le Rough Trade de Bricklane en Angleterre et Phonica que j’avais vraiment trouvé super. Il y a vraiment de grandes tables avec les nouveautés et sur chaque CD il y avait une description. Ce que j’essaye un peu de faire aujourd’hui d’ailleurs. J’aime bien l’idée de guider un peu les gens dans toutes les nouveautés qu’il y a dans le magasin. Après le risque c’est que les gens viennent moins nous parler.
Richard : Plus que des magasins référence, il y a eu des boutiques qui m’ont montré ce que je ne voulais pas faire (Rires). J’ai pris mon bâton de pèlerin et en une semaine je me suis fait tout ce qu’il pouvait y avoir comme boutiques avec des nouveaux concepts sur Paris et ailleurs.
Quels éléments voulais-tu justement absolument éviter ?
Richard : Faire un magasin de niche. On a une offre assez conséquente à Paris aujourd’hui en disquaire sauf qu’en faisant le tour, je voyais les mêmes choses d’un magasin à l’autre. Les mêmes vitrines. On se retrouve au final avec une offre extrêmement serrée sur la hype du moment. Ça m’a assez surpris. Au final, sur ces sept jours, là où j’ai trouvé des disques c’est au Silence de la rue et chez Gibert. Ça m’a donné l’impression qu’ils se copiaient tous les uns les autres.
Donc comme sur Rennes il y a quand même pas mal de disquaires, l’idée c’était qu’on ne se marche pas sur les pieds. On ne voulait pas faire d’occasions parce que c’est déjà très bien couvert et puis il y a aussi des courants très spécifiques sur lesquels nous n’irons pas empiéter. Entre Blindspot, Groove Rennes, Les Troubadours du Chaos et Rocking Bones, il y a une offre déjà assez large sur Rennes. D’où l’idée de faire une boutique assez généraliste avec plutôt des choses qu’on ne trouve pas chez les collègues.
Initialement, j’avais même l’idée de nous installer près de chez Blindspot, pour créer un pôle avec deux disquaires complémentaires.
Y a-t-il eu des demandes de clients qui vous ont étonnées ?
Richard : On va jouer les blasés (Rires). Çà fait 25 ans que je vends des disques alors j’ai appris à ne plus être surpris. On a eu des choses très disparates mais de là à en être surpris…
Jean-Noël : Il y a juste les gens qui te demandent si tu as l’original d’un disque vinyle de 1967 mais là on est plus dans l’anecdote.
Aujourd’hui vous vendez plus de vinyles ou de cds ?
Richard : Ça reste encore majoritairement des CDs. L’écart est relativement faible. Pour l’ouverture, en fonction du marché tel qu’on le connaissait et des évolutions qu’il y avait pu avoir sur l’année où nous n’avions pas travaillé, je tablais sur 25-30% de vinyles. Alors qu’on est en réalité plus près de 40-45% aujourd’hui.
De l’extérieur, on a l’impression que le volume de vinyles a augmenté dans le magasin par rapport à l’ouverture…
(D’abord surpris, puis tous deux acquiescent) Richard : C’est vrai que c’est assez dense. Pour le rayonnage vinyle, il faut voir à terme ce que l’on peut faire, voir si l’on peut gagner sur l’arrière du magasin, par exemple.
Il va falloir qu’on désengorge le rayon vinyle. Déjà pour présenter dignement ce qu’il y a en dessous parce qu’il y a pas mal de belles pièces sous les rayons. Pour le moment, il faut se mettre pratiquement à quatre pattes pour les chercher (rires). Autant donner du confort aux gens, s’ils veulent passer du temps dans les bacs et fouiller. Il va donc falloir réfléchir à un ré-aménagement des différents rayons… Et voir sur quoi on peut gagner surtout (rires) ! Parce que ça va devenir problématique. On étend progressivement mais il va falloir gagner de la place quelque part.
Il faut le faire de manière réfléchie, avancer par petites touches. Mais d’un autre côté, il ne faut pas traîner non plus parce qu’on a vite l’impression qu’un magasin ne bouge plus. Je pense que ça va être la problématique, peut-être pas des cinq prochains mois (puisqu’on va être essentiellement sur la préparation de la fin d’année), mais pour une mise en œuvre durant le premier semestre 2016 : essayer de trouver des solutions malignes pour rendre le lieu encore plus convivial et pouvoir présenter plus de choses encore. A moins qu’on envisage de bouger, mais ce serait dommage de changer d’adresse aussi rapidement… (Son comparse acquiesce). Ce serait quand même délicat.
Ou alors il faut faire comme Blindspot et trouver un local juste à côté. (Rires) Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples de disques que vous avez plus vendus que vous ne vous y attendiez ?
Richard : Il y a eu de belles confirmations, même s’il y a une certaine subjectivité qui rentre en ligne de compte, avec Lætitia Shériff et Bikini Machine, sur lesquels on a misé. Parce que ce sont des artistes qu’on aime beaucoup, qui sont rennais. Le public a bien réagi. Là, on est vraiment dans un microcosme mais c’était de belles réussites. On a vendu une centaine de vinyles de Lætitia Shériff et tout autant en CDs, ça fait vraiment plaisir.
La première vraie surprise, ça a été celle de l’ouverture avec Ty Segall. On est parti la fleur au fusil en se disant « on va faire 10 cds, 10 vinyles » . On les a vendus en … deux heures ! (rires) Effet ouverture oblige.
Tout le monde attendait l’ouverture pour acheter ce disque-là. C’était drôle.
Richard : Normalement, il sortait le lundi. On les a reçus le vendredi pour l’ouverture. On les a mis et… boum !
« Allo, est-ce que vous pourriez nous renvoyer d’urgence le Ty Segall ? » (rires) Et à l’arrivée, on a dû vendre, je ne sais pas exactement combien, mais entre 150 et 200 pièces en tout… Ce n’est pas mal pour un artiste qui reste quand même assez confidentiel !
Je pense que c’est l’exemple le plus marquant. Et comme il correspond à notre ouverture… C’était une sortie emblématique pour nous d’ouvrir sous les saintes auspices de Ty Segall (rires)
Il y a pire, c’est clair, surtout avec cet album-là qui est quand même terrible ! Et à l’inverse, avez-vous eu des surprises dans l’autre sens, des disques que vous avez moins vendus que vous n’imaginiez ?
Richard : Le plus gros pari d’ouverture : le Alt-J, qui a été un peu éreinté par la presse et pour lequel nous avions fait une mise en place plus que volontariste. On avait une cinquantaine de vinyles et presque une centaine de CDs.
Ça a été long. On a fini par tout vendre, mais on a mis 5 mois là où on pensait que ce ne serait qu’une formalité. A titre d’exemple, au Megastore, le précédent, on avait dû en vendre 120 vinyles sur l’année de sa sortie. Ce qui est un beau score pour un premier album !
Jean-Noël : Ah oui, sinon l’autre grosse déception pour nous, c’est le Rone. On avait vraiment parié sur ce disque, entre les Transmusicales, Tohu Bohu, le précédent qui était un bon album. Et puis Rone, c’est un artiste qu’on aime bien, français, sur Infiné. Pour nous, c’était la totale et tout allait se passer finger in the nose. Déception à l’arrivée. Du point de vue des ventes, d’abord. Déception aussi parce que l’album n’est pas si bon que ça, il faut l’avouer. Déception encore parce que les clients le trouvent moyen également. Ils l’ont écouté sur internet et ils n’ont pas envie de l’acheter. Donc une déception, d’autant qu’on a fait une grosse mise en place et que ça n’a pas forcément marché. Mais voilà, ça fait partie du jeu.
Alors que le Alt-J, bizarrement, ça a fonctionné sur la longueur. Les gens l’ont écouté et finalement se sont dit que le disque était bon. Je le trouve d’ailleurs formidable, aussi bon que le premier. Il s’est en définitive imposé sur la longueur.
A part les disques, qu’est-ce qu’on peut trouver d’autre à It’s only ?
Jean-Noël : Des maillots de foot ! (explosions de rires) Richard va vous en parler !
Richard : C’est le prolongement d’une image, cette accointance entre la musique et le football. Je crois que ce sont les deux emblèmes du monde prolétaire anglais au plus près des années 70, avant l’arrivée du Thatcherisme. Ça me paraissait logique, d’autant plus lorsqu’on voit des groupes comme St Étienne qui ont arboré le nom de l’équipe ou Wedding Present avec la photo de Georges Best sur la pochette. Il y a même eu un bouquin selon lequel il était le cinquième membre d’un célèbre groupe. (rires) La musique comme le sport, c’est quelque chose de populaire. Et au Royaume Uni, c’est vrai que c’est étroitement lié.
Vous avez envie de développer d’autres rayons comme celui-là ?
Richard : Il va déjà falloir développer ce qu’on a essayé de mettre en place, c’est à dire tout ce qui est librairie autour de la musique. On référence petit à petit auprès des éditeurs, ce qui n’est pas simple parce que ce n’est pas notre métier. Les éditeurs sont un peu méfiants. On a commencé avec Harmonia Mundi, la collection Le mot et le Reste entre autres, la collection Allia aussi qui est une super collection. On vient de référencer la collection Rivages Rouge. On les a reçus la semaine dernière, j’étais tout content (rires). C’est aussi une collection que j’aime beaucoup. On les a en poche et en grand format. Il va y avoir plein de beaux bouquins… J’ai aussi envie de dire que chez Hachette, il y a un super livre sur Björk qui sort (rires généraux – l’interview se passe la semaine de l’annulation de la venue de Björk à la Route du Rock). J’ai un peu peur que ça tombe à l’eau. On pense aussi à de beaux livres pour Noël. Et puis à retravailler une gamme sur tout ce qui est vidéo. Pas vraiment de la vidéo musicale, parce que la vidéo de concert, ça a eu un temps… Mais assister à un concert dans son salon, hum… Beaucoup de gens ont été déçus.
Donc au delà de ça, on voudrait davantage faire du référencement autour d’œuvres cultes, des films qu’on ne trouve pas forcément ailleurs, des choses qui nous ont touchés et qu’on serait susceptibles de vraiment pouvoir vendre en en parlant. Il va falloir qu’on travaille cela, tout en sachant que c’est assez difficile de trouver le bon fournisseur si on n’ouvre pas de compte avec les fournisseurs vidéos. Parce que si on en ouvre, on aura des obligations d’achats, notamment avec des blockbusters et ce n’est pas ça qu’on a envie de vendre.
D’autant qu’à Rennes, il n’y a plus de magasins de DVD ou Blu-ray spécialisés.
Richard : Autrefois il y a eu une vraie histoire autour de la vidéo à Rennes. Aujourd’hui, ne faire que ça, ce n’est pas viable malheureusement, mais en offre complémentaire, ça peut être bien.
On souhaite aussi continuer un peu de merchandising, tout en calculant bien ce qu’on fait, parce qu’on tourne toujours autour des mêmes choses. Avec les t-shirts, on peut tomber très vite sur des vilains t-shirts. Pour le moment, on s’est arrêté sur les sacs, les mugs, parce que ce sont des objets qui sont sympas. Mais pourquoi pas trouver un fournisseur avec des objets un peu décalés qu’on ne puisse pas forcément trouver ailleurs.
Et sur la billetterie éventuellement?
Richard : Justement, ça va être la grande nouveauté ! (rires) On a créé un accord avec l’ATM [Association TransMusicales]. La billetterie en ligne vient d’être débloquée. Donc les places pour les concerts à l’Ubu ou aux TransMusicales seront à vendre au magasin. Je pense que derrière, l’Antipode MJC pourrait être intéressé, s’ils voient que ça fonctionne. D’autant qu’eux aussi voulaient mettre en place une billetterie indépendante.
Donc on va commencer avec The Apartments en septembre.
En parlant de concerts, depuis un an, vous avez accueilli de chouettes show-cases, notamment Lætitia Shériff ou Dominique A…
Richard : On n’en a pas fait beaucoup, déjà parce qu’il y a eu quelques ratés autour d’I’m From Rennes. On voulait faire des choses, mais on était un peu dans la précipitation ; c’était l’ouverture du magasin. On n’a pas vraiment pu caler de groupes. Peut-être que ça se fera pour l’édition de cette année. Je crois que tous ces petits groupes ont déjà leur temps bien occupé, donc ce n’est pas simple de caler les choses.
Je m’étais également rapproché de l’Echo du Oan’s [émission mensuelle présentée par Ced mettant en avant la scène rennaise avec une interview et un concert d’un groupe local, enregistrée au Oan’s Pub et diffusée sur Canal B et Alter1fo.com] pour voir si dans l’idéal, on ne pouvait pas faire une action commune, c’est à dire faire un petit set acoustique, très court ici, qui puisse être retransmis, pour enchaîner dans la foulée au Oan’s sur la version électrique. Ça les intéressait, mais pour le moment c’est assez lourd à mettre en place. Mais on y réfléchit. Les portes ne sont pas fermées.
On continue de guetter pour voir les opportunités. Maintenant qu’on commence à être un peu plus posé dans notre travail quotidien, ça va être plus simple.
Jean-Noël : On ne se rend pas compte de tout le boulot qu’il y a à faire au quotidien.
Richard : Par exemple, pour le moment, on est en train de travailler sur une page internet, pour développer ce qu’on ne peut pas vraiment développer via twitter (parce que faire de l’analyse en 140 caractères…). Ce sera donc un complément du facebook et du twitter. On travaille justement sur une partie blog avec des chroniques qui seront reliées à des extraits.
Il y a déjà pas mal de choses avec les playlists mensuelles.
Richard : Oui, on essaie de poursuivre tout ça.
Quel est votre meilleur souvenir avec les artistes venus ici justement ?
Richard : Il y en a trop ! Par exemple, Yann Tiersen qui est venu en vélo. C’était rigolo de le voir arriver en vélo dans le magasin-même. Ensuite il est allé le cacher derrière.
Ce sont de bons souvenirs à chaque fois. Lætitia Shériff parce que c’était le premier show-case. Parce que c’était le jour de la sortie de son album. Et que c’est une expérience quand même assez marquante pour l’artiste : jouer son album dans une version acoustique pure. Mais surtout c’était superbe.
Pour Lady Jane c’était assez rigolo parce qu’ils sont venus avec tout leur matériel. Ils étaient à sept, avec les amplis, etc. Et ça s’est très bien passé.
Dans les moments délirants, dans un tout autre style, la venue des Trois Fromages, qui sont arrivés avec tous leurs copains, n’était pas mal non plus. Le magasin était rempli. C’était très drôle.
Effectivement, Dominique A. aussi, parce qu’il y a le personnage. Et puis il y a aussi eu une rencontre avec M. Barbotin de Canal B [Yann, irremplaçable figure de Canal B, animateur entre autre de l’essentielle 90 B]. Je l’avais souvent croisé, mais je ne l’avais jamais vraiment vu travailler.
C’est une belle rencontre. Sur cette interview, il a franchement fait un super travail. J’étais bluffé. Quand je vois l’indigence de certains journalistes à la télé ou à la radio, avec des trucs qui ne riment à rien. Alors que là franchement, quand je vois la manière dont il a structuré son interview et qu’il a mis à l’aise Dominique (ce qui n’est pas forcément simple), je suis admiratif.
Passons dans l’imaginaire sans limite : quel artiste rêveriez-vous de faire venir dans le magasin ?
Jean-Noël : (Immédiatement) David Bowie ! (rires)
Richard : oui ! Pour la sortie de son coffret le 25 septembre ! Pourquoi pas. Mon épouse serait ravie. Soyons fous.
Pour finir, quels sont vos coups de cœurs musicaux du moment et quels sont les disques de la rentrée que vous attendez ?
Richard : Pour le coup de cœur du moment, je reste sur le Tess Parks et Anton Newcombe. Un personnage hyper attachant, une vraie tête de con comme il faut ! (rires) Un pur rebelle, avec Tess Parks qui a une voix assez particulière. On a tendance à la rapprocher de celle d’Hope Sandoval [Mazzy Star]. (Il se tourne vers Jean-Noël) Tu parlais de Nico même dans l’esprit. Il y a ce côté Velvet Underground. C’est un disque lancinant et hypnotique.
Il y a aussi la belle surprise du Maccabees qui est un bel album…
Jean-Noël : Pour ce disque, j’avais parlé de pop flamboyante. Ce genre de pop anglaise qui reprend effectivement tous les codes du genre. Mais c’est bien fait. C’est rare d’avoir un bel album de pop anglaise, avec tout ce que ça représente, avec une belle voix, des belles harmonies…
Ça devient rare, en fait.
Jean-Noël : Il y a peut-être une période où il y en avait trop. Mais justement là, ça fait du bien d’en avoir un qui arrive de temps en temps, et en plein été, comme ça.
De mon côté, je resterai sur les bons albums des six premiers mois. Le Alabama Shakes, pour moi, est vraiment un album super fort. Je pense que c’est un groupe à écouter en live si j’en crois les prestations vidéos que j’ai pu voir. Ça a l’air d’être vraiment bon.
Le Pond, également, m’a vraiment plu, avec des musiciens de Tame Impala entre autres.
J’ai aussi adoré des choses sur Born Bad Records, le Marietta [qu’on connaît aussi avec Feeling of Love], Chocolat, et toute la scène garage, inévitable. Jusqu’à l’overdose sûrement, mais je trouve ça passionnant ! Je trouve les Madcaps formidables, ainsi que toute cette scène rennaise : on peut parler aussi de Sapin, de Pan… Je trouve ça génial. Ça met vraiment du sang neuf ! J’ai l’impression qu’à Rennes, on se défend bien. On a créé une scène sur ce son. Ça va sûrement faire des petits ; on pense à Beast Records, également. C’est très bien ce qui se passe à Rennes en ce moment. Bien sûr, il s’est toujours passé des choses ici. Il n’y a pas si longtemps, ce sont les Mermonte et tous ces groupes-là qui ont émergé un peu plus fort.
Et quels sont les disques de la rentrée que vous attendez ?
Jean-Noël : Il y a le Wand dont on a parlé [à notre arrivée au magasin, le second Lp du groupe passait dans les enceintes du magasin]. Je pense que cet album va les faire passer à un niveau artistique et critique supérieur. Le disque est vraiment très bon. On verra en tout cas ce que donne leur prestation à la Route du Rock demain.
Je pense au Beach House, qu’on attend avec impatience. Ou pas. Effectivement, ça peut en irriter certains. J’ai hâte de voir s’ils ont changé quelques éléments, ou s’ils sont restés sur la même chose. Le précédent, Bloom ne m’avait pas plus convaincu que ça. On attend donc de voir.
Richard : Dans les grosses sorties de la rentrée, il y a aussi le Foals.
Pour ma part, j’attends aussi le Beach House. Et au delà de ça, je croise les doigts. J’espère encore : « Est-ce que l’album d’Only Real va sortir en France ? » Au moment où on sort le nouveau Mac DeMarco, on a là l’équivalent du point de vue de l’attitude au Royaume-Uni avec Only Real. J’adore ce disque. C’est un album très frais, un album d’été. Malheureusement je ne sais pas pourquoi il n’est pas sorti en France. C’est un mystère. C’est quasi impossible de l’avoir en import. C’est très compliqué.
C’est nous qui vous remercions !!
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+1000 pour Tame Impala a Pond
Ah, le Virgin des Champs … Faut que je retrouve mes K7 des Dead Kennedys et des Pastels.