Gordini , l’épatant quatuor rennais de noise rock tortueux, fêtera samedi 10 février au Bar’Hic la sortie de son premier EP. La soirée sera éclectiquement complétée par le math rock de Bromega et la surf pop de Tally Ho !. L’immanquable événement nous offre de plus l’occasion parfaite d’enfin nous entretenir avec les Gordini. Nous nous sommes assis autour d’un verre avec la moitié de la bande pour causer composition, enregistrement et équilibrisme.
Dans le foisonnement de la vie musicale rennaise, il y a des groupes qui sont pour nous à la fois discrets et précieux. Gordini fait partie de ceux là. Depuis que nous les avons découverts en 2014, grâce aux fines oreilles de l’équipe Kfuel, nous suivons avec une attention toute particulière ces quatre Rennais. On adore la façon qu’ils ont de mêler énergie pure et circonvolutions exaltantes. Deux guitares affûtées comme des lames de rasoir maniées par Rodrigue et Cédric, une section rythmique basse/batterie implacable et délicieusement retorse tenue par Frédéric et Vincent, des voix à la rage joliment collective, la bande ne manque pas d’atouts. On retrouve avec grand plaisir dans leurs compos des sonorités proches de tout un tas de groupes essentiels à nos discothèques comme Fugazi, Mission of Burma, Shipping News ou encore June of 44. Si vous aimez Sincabeza (ou Don Caballero bien sûr), les structures qui tabassent un rien alambiquées ou les dialogues de six cordes qui défouraillent sévère, vous risquez bien de tomber immédiatement sous le charme vénéneux de ces noiseux mélodiques. Les lascars nous ont fait le plaisir de jouer à notre soirée de septembre 2016 et nous avaient offert une prestation hautement mémorable. A chaque fois que nous avons eu la chance de les voir sur scène, nous sommes restés admiratifs de l’énergie qu’ils insufflent à leur rock abrasif à la fois alambiqué et hautement mélodique.
Fin 2017, ils ont collaboré avec Jérôme Cousin du Studio Vetter et Matthieu Gaud (des studios Mikrokosm et Purple Sheep en région lyonnaise) pour enregistrer quatre titres regroupés sur l’EP fig 1.01 Primesautière. Le fruit de ce travail est un imparable condensé de tout ce qu’on aime chez eux, servi par un son juste parfait. Nous avons rencontré Rodrigue (guitare/voix) et Frédéric (basse) pour en savoir un peu plus sur les mystères d’une musique à la fois instantanément familière et si délicieusement singulière.
Alter1fo : On commence de façon classique : En quelle année le groupe s’est-il formé et sur quelles envies ou rencontres ?
Rodrigue : Le groupe s’est formé fin 2007. 10 ans déjà ! C’est parti d’un groupe d’amis qui ont joué dans différentes formations. Pour ma part, j’ai joué avec Cédric depuis mes 15 ans dans divers groupes. Au départ dans les styles qui se faisaient quand on était ado : de la fusion à la Rage Against The machine, puis dans pas mal d’autres styles dont du rock, du punk rock mais aussi de la vieille soul à la Motown avec un groupe qui s’appelait les Soulmakers.
Depuis longtemps, j’avais envie de faire un groupe de noise.
Frédéric : Parallèlement à tous ces projets, je jouais avec Vincent dans des groupes garage à la Sonics puis hardcore. On n’a vraiment jamais arrêté, à part une petite pause de trois ou quatre ans quand je suis allé bosser à Paris. On a intégré Cédric à un moment donné pour faire un projet dans un style noise… ou plutôt post-rock je ne sais pas trop. Après, dans ma tête j’ai toujours fait de la pop en fait.
Rodrigue est alors venu se greffer sur ce projet.
Rodrigue : ça dure donc depuis une dizaine d’années. On a une petite fréquence de concerts avec un rythme de cinq ou six dates par an. On aimerait bien en faire plus maintenant.
Frédéric : Dans l’historique, on faisait de la noise sans être vraiment intégré dans le milieu local de ce style. On a commencé à s’y intégrer grâce à l’association Kfuel mais avant on ne fréquentait ni les concerts ni les lieux où ça se passait. On ne passait par exemple jamais au Jardin Moderne. Donc on ne connaissait personne.
Vous faisiez comment pour répéter ?
Frédéric : On a toujours été très autonome à ce niveau là. Le truc rigolo, c’est qu’il y a dix ans, on répétait dans une cabane au fond du jardin.
Rodrigue : Et ça continue encore aujourd’hui puisqu’on répète dans un local chez notre batteur.
Frédéric : C’est toujours au fond du jardin mais c’est plus vaste. Au départ, ça se passait entre la tondeuse à gazon et les outils de jardinage.
Rodrigue : On connaissait pourtant un peu de monde. Pendant un moment, j’avais monté un projet avec Ghislain Frapacane mais ça n’a pas duré longtemps. J’ai fait aussi partie d’une asso qui organisait des trucs avec Bruno du bar le Mondo Bizarro mais on restait un peu à part.
Comment est-ce que vous composez ?
Rodrigue : Musicalement aussi, j’ai toujours eu l’habitude d’être assez capitaine dans ma façon de composer. J’ai toujours adoré composer et proposer les trucs de A à Z. C’est avec Vincent, Cédric et Frédéric que j’ai trouvé une façon de composer à quatre.
Ça explique sûrement notre longévité. On est potes et ça aide mais ça ne suffit pas toujours. J’ai fait plein de groupes avec des potes et ils ne duraient que trois ou quatre ans. Il y a quelque chose dans le projet qui est assez animant. Nos compositions sont alambiquées. Ça passe par des dédales pas possibles. Chacun amène des idées et il y a une sorte de débat contradictoire…
Frédéric : Et parfois tendu ! (rires)
Rodrigue : Du coup, on met vachement de temps à composer des morceaux. En dix ans, on a composé une quinzaine de morceaux. Il nous en reste huit ou neuf en chantier.
Après dans chaque morceau, il y en a quatre ou cinq en fait. C’est un groupe à débat. Dans les mélodies, dans les harmonies, dans les tensions qu’on apporte… et surtout dans le rythme. Ce travail de décomposition du rythme, c’est ce qu’apporte le batteur. Il déteste qu’on fasse du 4/4.
Frédéric : Ce n’est même pas qu’il déteste. Il ne peut juste pas.
Rodrigue : Et en même temps, il arrive à ne pas tomber dans le math rock hyper technique que je trouve un peu saoulant parfois quand ça tourne à la démonstration. Ça amène une ambiance, sans passer par le couplet/refrain. On nous dit souvent que ça sonne un peu rock progressif. Personnellement, je n’en ai pas écouté mais peut être qu’on a quelque chose dans l’absence de couplet/refrain, dans une certaine difficulté à se repérer qui tient de ça. C’est cette façon là de composer qui fait que ça m’anime toujours autant.
Frédéric : Rodrigue a toujours l’espoir de faire le morceau qu’il a dans la tête depuis dix ans sans jamais parvenir à y arriver (rires).
Rodrigue : Et c’est en n’y arrivant pas que l’intérêt se maintient. Il n’y a pas que Vincent. Le jeu de guitare assez original de Cédric, les petites touches discrètes mais bien présentes de Frédéric amènent aussi des choses. Il y a donc une co-construction permanente… et à un moment donné ça s’arrête.
Quand est-ce que vous savez que ça s’arrête ?
Frédéric : ça peut prendre du temps. On est souvent restés à tourner autour d’un morceau pendant plusieurs mois. Sachant qu’il nous arrive aussi d’en remettre une deuxième couche derrière en rajoutant des voix ou en ajoutant des textes. Cette année par exemple, la nouveauté, ça a été d’ajouter des textes en français. Ça n’a pas été évident au départ et puis ça l’est devenu. Nous ne sommes pas des grands chanteurs donc en travaillant plutôt sur le rythme, la diction que le sens ou la réelle signification, ça l’a fait.
Y a-t-il des groupes qui vous mettent tous d’accord ?
Rodrigue : Je ne crois pas.
Frédéric : Fugazi peut-être ?
Rodrigue : Ouais mais pas pour Vincent. C’est trop linéaire comme musique pour lui, trop « rock classique ». Ce qu’il aime, c’est découper les rythmes. Quand on amène des choses, il y pense toute la semaine. Comment le rythme 7/8 qu’on avait amené, on pourrait y ajouter une séquence, y ajouter une rupture tous les huit temps de sorte que ça crée une sorte de relief différent.
Frédéric : Vincent a fait partie de groupe où il était guitariste. Il a une vision très mélodique de sa batterie. Il ne la considère pas seulement comme un instrument rythmique. Quand il en joue, il a une mélodie en tête. Ce n’’est pas toujours simple d’ajouter des trucs là dessus.
Rodrigue : Il y a quand même Shellac. C’est un groupe qui nous rassemble, sans nous ressembler. Ce serait notre point commun sans que ça résume notre musique.
Et comment vous faites pour trouver un équilibre avec ça ?
Frédéric : Quand on est tous d’accord… ou qu’on en a tous marre ! (rires)
Rodrigue : En fait c’est là que l’influence des quatre est sympa. Vincent amène des choses. Les lignes de basse plus continues de Frédéric vont apporter autre chose. Frédéric et moi, nous sommes plus post-rock. On a aimé et on aime toujours beaucoup Mogwaï et ce style d’ambiance. On aime des choses plus classiques alors que Cédric est lui aussi alambiqué dans ces propositions.
Il y a des mouvements de balancier et on s’arrête à un moment d’équilibre. Ce n’est sûrement pas l’idéal pour aucun d’entre nous. Parfois, j’arrive avec un morceau en tête et il en ressort toujours différent de mon idée de départ. On a bien une dynamique de tension-résolution mais ça tourne souvent à une espèce de magma avec éclaircie. Nos goûts différents créent des tensions, des frictions qui nous amènent à des équilibres auxquels on ne s’attend pas et c’est sûrement pour ça que je prends autant de plaisir à y jouer.
Ça vous prend combien de temps pour parvenir à un équilibre ?
Rodrigue : Des mois. On doit être à seize ou dix-sept morceaux en dix ans. Tu peux faire le calcul. (ça fait une moyenne de sept mois par morceaux!)
Après, il faut aussi prendre en compte nos vies de famille. Les concerts qui nous font avancer…
Frédéric : ou reculer ! Non seulement, on met du temps dans le processus d’écriture mais on est aussi capable de revenir sur des morceaux d’il y a trois ou quatre ans pour les réajuster, y ajouter ou enlever des choses.
Y a-t-il des morceaux qui sont plus pensés pour l’enregistrement et d’autres plus pour le live ?
Frédéric : Non, ils sont tous pensé pour le live. C’est aussi pour ça qu’on est resté aussi longtemps sans enregistrement. On n’avait jamais raisonné pour un enregistrement. Pour le EP, ça nous a pris du temps pour remettre les choses à plat. C’était assez compliqué pour nous de voir comment on pouvait profiter du studio pour changer les choses. Au final, on a presque rien changé pour garder le côté brut de notre musique.
Rodrigue : Dans nos morceaux, tout est millimétré, il y a très peu de marge d’improvisation. Même dans les montées, c’est très précis. On a très peu de marge de manœuvre mais ça garde un côté très live.
On avait été un peu refroidi par notre première expérience de studio. Après deux ou trois ans d’existence, on avait fait un premier enregistrement dans un autre studio et on avait été hyper déçu. On ressemblait à du Foo Fighters!
Frédéric : ça sonnait vraiment sur-produit, très américain dans le son. Certains titres ont été un moment disponibles sur le Myspace et ils ont disparu avec le site. C’était à la fois très flatteur et en même temps pas du tout représentatif de ce qu’on faisait. C’est dommage parce que j’aime vraiment ces morceaux. Je les ai réécoutés récemment et ça m’a donné envie de les rejouer.
Comment avez-vous été mis en contact avec Jérôme Cousin du Studio Vetter ?
Frédéric : Par Don Lurie de l’association Kfuel. Il nous avait parlé de lui, il y a déjà un bon bout de temps. Pour lui, c’était le gars qu’il fallait qu’on aille voir. A l’époque, il y avait deux noms dans le chapeau avec en plus de Jérôme, Matthieu Gaud qui était encore sur Rennes à ce moment là. Au final, ce sont bien les deux personnes qui ont travaillé sur le EP. Jérôme a enregistré et Matthieu a fait le mastering depuis Lyon.
Rodrigue : Jérôme était venu nous voir en concert mais on ne s’était pas rencontré avant. Ça a été une surprise et une chouette rencontre. Tu te retrouves entre les mains de quelqu’un et tu ne sais pas ce que ça va donner. Il a compris exactement ce qu’on voulait. C’est une belle photo de de ce qu’on est, du niveau auquel on est avec les petits écueils qui vont avec. Il nous faudrait un gros travail, comme une résidence par exemple pour encore gagner en précision.
Frédéric : C’est ce qui fait la différence entre nous et des pros.
Comment s’est passé concrètement l’enregistrement ? Ça a duré combien de temps ?
Rodrigue : Trois jours. Trois jours complètement dedans à n’avoir que ça a faire. C’était génial. C’est une expérience que j’avais déjà vécue avec d’autres groupes, mais c’est exactement ce qu’il nous fallait. Ce qui est troublant dans l’expérience de studio c’est que tu as à disposition d’autres manières de faire et que tu es tenté d’essayer plein de trucs. C’est aussi l’apprentissage de savoir se restreindre pour sonner comme on joue. Parce qu’on peut en faire des couches et des couches mais à part sur le morceau long, on a évité.
Sur Tantrism ?
Rodrigue: Sur celui là on a profité car c’était dans la logique du morceau.
Frédéric : On en a même rajouté et volontairement très fort.
Rodrigue: Du coup, on essayera de reproduire ça en live avec des pédales.
L’enregistrement a été assez physique apparemment?
Frédéric : Le premier jour a été très dur. On s’est cramé en très peu de temps, surtout le batteur, en donnant le maximum d’énergie. Avec le recul, on ne le referait sûrement pas comme ça.
Rodrigue : Ça reste des morceaux assez difficiles à enregistrer pour un batteur.
Frédéric : Et puis, on s’était fixé des objectifs ambitieux avec nos quatre morceaux en trois jours. Le vrai défi c’est d’arriver à rendre ce qu’on fait et ce qu’on est et j’ai l’impression qu’on y est arrivé.
Je trouve que le disque garde encore un côté brut tout en étant limpide et précis sur les différents instruments.
Frédéric : C’est même un peu une découverte pour nous d’entendre aussi bien ce que font les autres. D’habitude, on est dans notre jeu et on se focalise forcément sur ce qu’on fait. Par exemple, je découvre le jeu de Cédric à chaque fois que j’écoute attentivement le disque.
Rodrigue : Son originalité n‘est pas en avant. Il faut vraiment une écoute attentive pour en percevoir les subtilités. Ce qui me plaît beaucoup aussi, c’est le duo basse-batterie.
Frédéric : Avec Vincent, on se connaît par cœur.
Rodrigue : C’est vraiment une bonne base sur laquelle il est très agréable de s’appuyer. Ça ne bouge jamais. Ce côté hyper carré, ça nous laisse libre de jouer un peu « out » dans les notes, dans la dissonance, dans la tension… ou de jouer sur l’arythmie. J’adore quand on se décale. J’adore penser les choses pour se rejoindre tous les sept temps, penser les trucs binaires de façon ternaire avec les deux guitares différenciées. J’aime quand les guitares ne se répondent pas en miroir mais avec des boucles. C’est vraiment génial.
La question que je me pose quand même toujours, c’est « Comment les gens reçoivent cette musique ? » ou « Est-ce que ce n’est pas indigeste ? ». Lors des premiers concerts, on a eu des réactions de gens qui étaient saturés. Et puis aujourd’hui, avec plus de gens qu’on ne connaît pas qui nous découvrent, on a plutôt toujours de bons échos. Je suppose qu’on a un peu changé. On avait aussi plus tendance à faire de séquences sonores pas très travaillées, des choses très bruitistes, ce qui est moins le cas aujourd’hui. On reste très bruyants mais il y a aussi toujours des choses qui bougent dans le magma sonore. C’est ce qu’apporte Vincent. On est toujours dans des nuanciers. On a eu des réactions assez étonnantes avec des gens qui n’écoutent que de la chanson et que ça n’a pas du tout dérouté. Il y a aussi une personne que notre musique rend triste. On a un côté mélancolique en effet, un côté tendu, mais je n’ai pas l’impression qu’on cherche non plus à faire pleurer dans les chaumières.
Quel travail y a-t-il eu après l’enregistrement ?
Frédéric : ça a été hyper simple. On n’a jamais rencontré Matthieu Baud en vrai. J’ai juste eu des échanges téléphoniques avec lui et ça c’est limité à ça en fait. On a eu deux versions mais ça a été très simple et très rapide. Après, j’avoue ne pas encore avoir tout compris aux subtilités du mastering.
Rodrigue : ça change les choses. Jérôme nous a bien dit qu’il ne fallait pas le confier à n’importe qui. Après, on s’est laissé porté par des gens que ça passionne et qui connaissent bien ce genre de musique et qui ont compris très vite ce qu’on voulait. On a fait un pari et ça a été payant.
Frédéric : Les échanges qu’on a pu avoir par téléphone ou par mail avec Matthieu ont été hyper sympas. A chaque fois qu’il nous faisait une proposition, il était dans le mille. On a toujours été entre nous pour tout gérer et ça nous a fait du bien de nous laisser porter par des gens comme ça. Ça nous a aidé à progresser parce que sans eux on serait peut être encore à tourner autour (rires).
Le EP commence de façon étonnante avec J’te crève, un titre avec des paroles et en français. Pourquoi l’avoir choisi en ouverture ?
Frédéric : Pour le côté percutant. On a hésité entre Brûle-pourpoint qui a aussi ce côté percutant. Jt’e crève avait l’avantage de la nouveauté et permettait d’imposer d’emblée cette idée du chant en français. Ça me semble arriver d’une façon assez évidente. On ne se pose pas trop la question de pourquoi Gordini fait un truc en français avec ce côté assez cinématographique. C’était un choix assez consensuel dans le groupe.
Comment vous fonctionnez pour les paroles ?
Rodrigue : C’est Fred qui écrit.
Parce que pour travailler sur la sonorité, l’anglais c’est quand même super pratique, ou alors tu mets quelques mots en espagnol… mais écrire en français, c’est assez balèze. Si tu veux quelque chose qui travestisse un peu le sens, qui joue sur les sonorités, sans tomber dans les délires à la Noir Désir, c’est assez casse-gueule.
Frédéric : Sur ce morceau là, on s’y est mis à deux avec Cédric. Au départ, le « J’te crève », c’était plutôt une connerie et puis on s’est aperçu que ça fonctionnait vraiment. Ce qui est intéressant c’est que ça fait une autre boucle, ça rajoute un instrument. J’adore le travail sur la voix de Michel Cloup période Diabologum. Cette façon d’extraire le sens des mots pour en garder la mélodie. J’aime penser les paroles comme une rêverie, quelque chose qui t’amène où tu veux.
Vous enchaînez ensuite avec Brûle-pourpoint qui me fait penser à Møller Plesset dans sa construction et avec ce chant scandé. Quels sont les groupes desquels vous vous sentez proches ?
Rodrigue : Ben, Møller Plesset déjà j’aime bien.
Frédéric : Il y a aussi Bromega qui est un super groupe… et You’ll Brynner dans un autre style.
En tout cas, c’est sympa de nous comparer à Møller Plesset. Sur ce titre là, on avait l’intention de faire quelque chose de percutant, une envie de mettre une petite mandale. Ça ressemble un peu à nos débuts de concert. Du moins à partir du moment où on avait décidé d’arrêter de s’excuser (rires) et qu’on jouait ce morceau là en premier en se disant que ceux qui resteraient après ça, nous seraient de toutes façons acquis.
Rodrigue : On avait décidé d’assumer ce côté là.
Vous avez eu du mal à assumer ça d’emblée ?
Frédéric : Comme on jouait beaucoup devant des gens qui ne nous connaissaient pas et qui ne s’attendaient pas à ça, on a eu quelques réactions négatives et on a donc passé pas mal de temps à s’excuser.
Rodrigue : ça me rappelle une discussion qu’on a eu dernièrement sur le fait qu’il n’y a rien de naturel à être sur une scène et de parler aux gens. Ça demande un vrai effort. Quand je jouais dans un groupe de soul fifties, ça faisait partie du truc, ce côté spectacle avec l’intention dans la musique même de faire quelque chose de chaleureux. Mais là ça ne nous correspond plus. Je ne nous vois pas sortir une blague à un moment donné. On fait notre truc et c’est ça le spectacle. ça ne nous résume pas nous en tant que personne.
Frédéric : Alors qu’on aime bien faire des blagues ! (Rires)
Rodrigue : On essaye de penser plus le concert comme une ambiance. On espère qu’on va y arriver le 10 février parce qu’on a travaillé sur l’aspect scénique du live. Après il y aura des blancs parce qu’on a besoin de temps pour être précis dans nos accordages mais ce n’est pas grave, ce sera comme ça.
C’est ensuite Tantrism qui suit sur le EP. C’est le morceau le plus long avec ce côté montagnes russes et ces couches qui s’empilent. Comment on décide jusqu’où on va ou quand on s’arrête sur ce genre de morceau ?
Rodrigue : Je pense qu’on l’a monté au maximum qu’on pouvait. Au moins en gardant l’idée d’y apporter un nuancier constant.
Frédéric : En fait, il y a un truc nouveau qui arrive toutes les deux mesures et au bout d’un moment… on ne peut plus en rajouter. On est arrivé au bout des possibilités des instruments. On aurait pu redescendre puis remonter mais ça n’avait pas de sens. J’aime beaucoup ce final très fort.
Rodrigue : Sur ce coup là, le studio nous a vraiment apporté quelque chose. C’est un morceau qui existe depuis longtemps et qui n’a plus beaucoup à voir avec ce qu’il était il y a un an. Je ne sais pas si on se l’est approprié mais ça été très chouette de le jouer dernièrement. Ça ne vient pas d’une meilleure connaissance de nos propres parties mais de jouer ensemble ce crescendo avec ces nuanciers et de ne pas vraiment savoir ce que ça va donner.
Frédéric : Le morceau live ne sera jamais exactement comme celui du disque. Jérôme y est allé franco avec cette montée de son spectaculaire à la fin que je trouve vraiment pertinente.
C’est Mille chèvre-feuille qui termine le disque dans une version très différente de la précédente qui était sur votre bandcamp. Comment vous voyez votre chemin entre ces deux enregistrements ?
(Ils prennent bien le temps de réfléchir avant de répondre.)
Rodrigue : Pour moi, c’est une espèce de paradoxe. On aspire à quelque chose de millimétré et donc assez cadenassé pour ce qui est de la marge de manœuvre qu’on est sensé avoir. On sait chacun ce qu’on à faire mais d’un autre côté tu ne sais jamais ce que ça va donner quand on le joue ensemble. A chaque fois, c’est un pari et à chaque répét’ on se surprend. Tu ne peux pas le prévoir en avance et c’est ce qui fait que je prends toujours autant de plaisir à venir en répétition. Notre musique évolue donc dans un registre où pourtant tout est prévu.
Mais y a-t-il des choses que vous n’arrivez pas à retrouver ?
Frédéric : Sur les créations, ça peut nous arriver. Si on avait enregistré tout ce qu’on a joué, on aurait au moins trente morceaux. On a aussi à faire des choix. Ça nous arrive de jeter des bouts et ce que tu enlèves ressemble presque à des morceaux entiers.
Par contre, quand les morceaux sont fixés ça reste tout de même assez constant. Il peut bien sûr y avoir des petits trucs qui s’échappent. Ça fait partie de la magie. Tu ne sais pas pourquoi ce coup là c’est réussi et l’autre non. Est-ce qu’il manque du sel ou du poivre ?
Entre la démo de 2014 qu’on avait enregistrée nous même à la maison et ce EP de 2017, ce qui est marrant c’est que ce sont les mêmes morceaux. Il n’y en a qu’un de plus.
Rodrigue : Mais ils ont beaucoup bougé.
Frédéric : Ce sont des morceaux qu’on avait mis là pour trouver des concerts et puis qui sont restés parce qu’on n’avait pas grand-chose de neuf à mettre. On les aime beaucoup et on les a bien retravaillés. Il y avait d’autres morceaux mais qui étaient trop vieux et qu’on traîne depuis trop longtemps. Mais ça pourrait quand même être intéressant qu’on les passe à la moulinette du studio.
(On acquiesce.)
Parlez-nous de la release party qui aura lieu le 10 février au Bar’Hic.
Rodrigue : La soirée sera assez variée. On jouera avec Bromega et Tally Ho! Nous aurons aussi le plaisir d’avoir le DJ Julien Tiné et Don Lurie derrière les platines. La soirée sera gratuite et le CD sera dispo à 5€ avec un badge. On espère aussi qu’on pourra mettre de la vidéo.
Pour finir, on aime bien demander qu’est ce que vous écoutez comme musique en ce moment ?
Frédéric : Je viens de racheter une platine vinyle donc j’ai exhumé plein de vieux disques. Je réécoute pas mal de pop anglaises des années 90’s. Hier, j’ai écouté un groupe de Bristol qui s’appelait Brighter qui avait sorti un maxi 45 tours. Il n’y a pas de batterie et c’est juste guitare-voix. Là on est dans la vraie vraie pop. C’est bien gnan gnan et j’ai kiffé (Rires) J’avais l’impression d’avoir de nouveau dix-sept ans. J’ai aussi réécouté tous les Sonic Youth.
Rodrigue : Je sais exactement ce que j’ai écouté dernièrement sur ma platine : Jets to Brazil, Crosby, Stills Nash & Young, l’album où on les voit sur la pochette à Marrakech dans un soleil d’hiver, le dernier Yann Tiersen au piano qu’il a enregistré sur Ouessant et Nueva Vulcano, un groupe de noisy pop espagnol sur Bcore.
Release party le samedi 10 février 2018 – Bar’Hic, place des Lices, Rennes – 21h – Gratuit
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