Mardi 17 novembre, l’Arc Électrique invitait Mellanoisescape, Filiamotsa et Jean-Louis Costes au 1988 Live Club à Rennes. Si les ombres des récents événements de Paris planaient forcément sur cette soirée, les prestations fiévreuses et pleines d’émotions des artistes n’en furent que plus belles.
Il est 20h30 pile quand nous descendons les ignoblement psychédéliques escaliers bardés de néons menant à la salle du bas du 1988 Live Club. A cette heure, le vaste espace est encore bien vide. il faut dire qu’il y a foule de propositions de très bons concerts ce soir là. Il faut dire aussi que, peut-être, le cœur n’y est pas pour beaucoup, quatre jours seulement après les atroces tueries de Paris. Pour notre part, nous n’allons pas fanfaronner à l’acte de résistance, c’est surtout un peu de réconfort que nous sommes venus chercher.
C’est donc devant une salle très clairsemée qu’Olivier Mellano monte sur scène. Heureusement pour lui comme pour nous, la salle se remplira au fil du concert. C’est sous son avatar Mellanoisescape que le grand monsieur se produit ce soir. Il est donc seul sur scène avec sa voix, sa guitare, quelques effets et une boîte à rythme récalcitrante. Comme à son habitude, il démarre son set par le langoureux The Best Death dans une version cette fois plutôt toutes griffes dehors. Mellano semble avoir besoin d’en découdre et ses riffs se font rageurs ce soir. ça tombe bien, c’est exactement ce dont nous avons besoin. Plus loin dans le concert, il dira en annonçant la chanson suivante : « Ceci est une chanson de combat. Chaque chanson est un combat‘ ». L’ambiance est donc à la colère et les morceaux s’enchainent avec toujours cette urgence et cette colère feutrée qui couvent sous les larsens. Cela n’empêche pas que le bonhomme maîtrise ses ambiances avec toujours autant de classe. Preuve en est la façon royalement stoïque et efficace avec laquelle il gère une pédale défaillante. Nous trouverons juste dommage qu’il ne se fasse pas plus confiance sur sa voix et qu’il la surcharge peut-être un peu trop d’effets sur quelques morceaux. La tournée commune avec Filiamotsa nous offre la chance d’avoir des guests de luxe. L’immense G.W. Sok vient somptueusement doubler les voix sur l’étourdissant It’s so wide et les diaboliques violons d’Emilie Weber et Philippe Orivel accompagnent le dernier morceau dans une vertigineuse apothéose augurant du meilleur pour la suite.
C’est bien le meilleur auquel nous allons avoir droit. Après une courte pause, c’est donc Filiamotsa qui monte sur scène. On retrouve les deux violons d’Emilie Weber et Philippe Orivel, Anthony Laguerre derrière la batterie, Véronique Mougin-Deltruc aux claviers et donc en beau supplément d’âme : G.W. Sok (The Ex, Cannibales et vahinés, The And…) au chant et Olivier Mellano et sa fender magique. Dès le premier morceau, on retrouve avec un plaisir immense les ambiances abrasives et électriques des deux violons amplifiés, les démoniaques boucles de synthés et la rythmique puissante et retorse du batteur. Premier coup au cœur, G.W. Sok a choisi sur ce titre inaugural de réciter les paroles de Poètes, vos papiers de Léo Ferré. Les mots surréalistes, railleurs et teigneux du grand Léo, chantés avec la classe tranquille du grand Sok sonnent d’un éclat tout particulier ce soir là. Le redoutable The Little Shop suit avec ses envolées vertigineuses de cordes et sa fulgurante ascension sonique. On prend un plaisir fou à peiner à distinguer riffs de guitare ou de violons et à se laisser emporter dans les méandres hypnotiques et dissonants bâtis méthodiquement par la bande. Le groupe ne nous laisse aucun répit en enchainant Blab/Blub et son hypnotique synthé krautrock avec le furibard 4QSO tout en riffs velus et en hurlements. Passée cette superbe tornade sonique, il est temps pour eux de nous décocher une seconde flèche en plein cœur. Ils jouent alors avec le déjà très émouvant Song, sauf que le poème original du disque d’Alan Ginsberg a été remplacé par un autre du même poète beat : Spell footnote to howl. Dans ce texte Ginsberg décline en une farandole échevelée et irrévérencieuse tout ce qui est saint/sacré pour lui. Là encore, l’alliance d’une musique corrosive et hypnotique et du phrasé/chanté de G.W. Sok apporte au texte une force, une sensibilité et une humanité rien de moins que bouleversante. Superbe façon de ne pas laisser le sacré aux seuls tueurs. Le groupe repasse à la vitesse supérieure avec l’ébouriffant Madsummer Midness, The Bus Is Late Again et son riff de violon ne cessant de monter en puissance et enfin l’épatant Montroyal tout en chausses-trappes et montées éruptives. Nous restons béats devant la capacité du groupe à jouer avec des textures sonores grinçantes tout en conservant une limpidité mélodique et une puissance remarquables. La conclusion du concert se fera sur une belle montée en puissance entre l’orageux Sleepy Tigers et la lente mais inexorable ascension vers un Himalaya bruitiste de May be. Une fin de toute beauté pour un concert confirmant largement la puissance scénique rare du groupe. L’autre confirmation du set est que Like It Is, le quatrième disque de Filiamotsa est bien un des grands disques de cette année.
On en restera là pour cette soirée. Il restait encore le concert de Jean-Louis Costes mais non seulement nous travaillions le lendemain mais en plus nous n’avions ni la forme ni l’état d’esprit pour apprécier les provocs grandiloquentes du cabaret déglingué du bonhomme. Il y a des fois où il faut être au clair sur ses envies et ses limites.