On en rêvait, Kfuel l’a fait. Parmi les groupes dont nous guettions le retour sur Rennes avec la fébrilité de sœur Anne, le formidable collectif suisse Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp était bien incrusté dans le haut du panier. Rendez-vous jeudi 14 mai au Jardin Moderne pour le plus immanquable des concerts de cette folle série printanière.
C’était le 3 mars 2012 pour la mémorable première édition du Musiq’Alambic, encore au Jardin Moderne. En conclusion d’une déjà fort belle soirée, le collectif helvète Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp nous avait fait une démonstration éblouissante d’énergie scénique littéralement euphorisante. Le genre de concert dont on garde durablement des morceaux imprimés au fond du cerveau et qui vous accompagne longtemps après. Le genre de concert qui vous fait dire à la seconde où le troisième rappel s’achève : « Quand est-ce qu’on remet ça ? ». Il aura fallu attendre trois longues années, mais jeudi 14 mai au Jardin Moderne, en voilà enfin l’occasion.
A l’image de leur musique, l’épatant patronyme Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp (ou OTPMD, pour les plus intimes) vient de la joyeuse collision entre les noms hauts en couleur des groupes traditionnels africains : Orchestre Tout Puissant Konono n°1, Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou… avec le plus iconoclaste des dynamiteurs d’art français. Cette formation est née à Genève dans une salle de concert assez épatante appelée La cave 12. L’envie de départ est de faire fusionner l’énergie de l’afrobeat ou du jazz-funk africain avec les dissonances et les expérimentations de la scène punk-noise. Cela donna une musique joyeuse et nerveuse à la fois, pleine de transe bariolée, de chaleur et d’aspérités, quelque part entre The Ex, Dog Faced Hermans et Fela Kuti. Autour de ce projet atypique, va se créer un collectif à la composition assez fluctuante et allant même parfois jusqu’à 13 personnes. Uniquement genevois à l’origine, le groupe s’internationalise avec des Français, un Anglais ou un Belge. Aujourd’hui (à peu près) stable, la troupe se compose de Liz Moscarola (chant, violon et tout un bric-à-brac fabuleux), Aïda Diop (marimba, percussions, voix), Maël Salètes (guitare, voix), Vincent Berholet (contrebasse,voix), Mathias Forge (trombone, voix), Vincent Bertholet (contrebasse, voix) et l’ex Dog Faced Hermans Wilf Plum (batterie, voix).
Un premier album sans titre auto-produit sort fin 2007. Il sera suivi du coloré The Thing That Everything Else Is About en juillet 2010 chez Redwig. Malgré leurs qualités et la présence de titres absolument fabuleux comme R Mutt avec ses cuivres impérieux et sa guitare grinçante, le martial et goguenard 49 ou encore le tout aussi fabuleux elephants et ses chœurs étourdissants, les deux disques peinent à approcher ne serait-ce que de loin la puissance dégagée par la formation sur scène. Sauf que leur troisième album Rotorotor (clin d’oeil aux vertigineux Rotoreliefs de Marcel Duchamp), sorti en avril 2014 chez Moi J’connais Records va remettre les pendules à l’heure. Enregistré au studio Toybox à Bristol par Ali Chant et produit par monsieur John Parish (PJ Harvey mais aussi Auguri de Dominique A ou It’s A Wonderful Life de Sparklehorse, Eels et Giant Sand…), le disque réussit l’exploit paradoxal de sublimer la bête en la domptant. Moins débridés, plus pop, les morceaux sont toujours aussi variés et riches en surprise, mais la folie contagieuse de la troupe couve au sein même de compositions limpides sublimées par un son d’une précision impressionnante. La dinguerie est toujours bien là, et heureusement, mais elle se faufile malicieusement dans d’irrésistibles orfèvreries aussi pétillantes que fascinantes. Du délicat et envoûtant Slide, en passant par l’euphorisant et joyeusement rageur The Sheep That Said Moo ou le pétillant It Looked Shorter On The Map et jusqu’au langoureux Homs final, pas moyen de trouver un morceau plus faible que les autres au milieu de ces dix pépites. Un album lumineux de bout en bout qui continue de tourner en rotation intensive sur nos platines et qui a illuminé nombre de nos dimanches matins.
Nous nous languissions donc à nous fendre l’âme de savourer enfin ces merveilles en live. Merci un million de fois à l’association Kfuel de nous en donner l’opportunité. Ce week-end de l’Ascension est un véritable ouragan bigarré et dément de propositions musicales de haute volée dont nous allons bien sûr vous en détailler très vite l’orgiaque menu mais, à notre humble avis, s’il ne faut voir qu’une seule soirée, c’est celle-ci.
Jeudi 14 mai 2015 – Café Culturel du Jardin Moderne, 11 rue du Manoir de Servigné Rennes – 20h30 – 5€
Accès bus: Ligne 11 arrêt « Jardin Moderne »
02 99 14 04 68 / info @ jardinmoderne.org