Ce mardi 16 mai, Patchrock vous invite au Triangle, pour découvrir la Chorale Pop de Bumpkin Island avec les élèves de l’école élémentaire Moulin du Comte. On avait profité de leur passage au Festival des Embellies pour les questionner sur cette Chorale, mais aussi sur leur merveilleux album fraichement paru, All Was Bright.
On avait déjà ressenti une évolution musicale au sein du sextet Bumpkin Island. Avec Ten Thousand Nights, leur pop orchestrale et solaire s’était considérablement assombrie, et lorgnait beaucoup plus nettement du côté post-rock, avec des montées savamment élaborées. Et les accents folk du début avaient pris une sérieuse coloration noisy. Ellie James assumait à merveille le chant lead derrière ses claviers, et on redécouvrait avec bonheur les choeurs si singuliers. On avait revu le groupe au 6par4 en 2014, et découvert ainsi deux nouveaux titres plus que prometteurs. Le tout nouvel album tant attendu, All Was Bright, paru au début de l’année sur les indispensables Patchrock/Les Disques Normal, nous prouve que le groupe a franchi un nouveau cap. Le post-rock tendu est toujours présent (l’immense All Was Bright, quel morceau!), les choeurs nous chavirent encore (Siddhartha), et la trompette de Clément Lemennicier donne une puissance quasi symphonique aux morceaux (Head Over Heels). Mais les musiciens explorent aussi de nouvelles contrées musicales, pour notre plus grand bonheur : de l’electro SGT Woodbury aux accents trip-hop de Playground, Bumpkin Island n’en finit plus de nous surprendre, et ce dès l’ouverture de l’album (Spectacular Lives, incroyable mélodie post-pop qui fourmille d’idées et de chausses-trappes). Le groupe a réussi à créer un album parfaitement cohérent tout en élargissant le spectre musical de ses compositions. Un album qui marque un véritable tournant dans la discographie du groupe et qu’ils ont merveilleusement retranscrit sur la scène de l’Ubu lors de la release party donnée pendant le festival des Embellies (lire ici). On a eu le plaisir de s’entretenir avec les six musiciens avant leur concert à l’Ubu, afin d’évoquer l’album mais aussi la Chorale Pop, découverte lors du Dimanche Embellies, et qui se produira de nouveau au Triangle ce mardi 16 mai. A l’occasion de la restitution finale de cette formidable création avec l’école élémentaire Moulin du Comte, retour sur cette rencontre avec six musiciens passionnés et passionnants.
Interview et photos par Solène & Yann
Alter1fo : Commençons par évoquer l’action culturelle avec l’école élémentaire Moulin du Comte. Nous avons assisté à la présentation d’une première version de la Chorale Pop lors du Dimanche Embellies : je crois que la première rencontre s’est passée lors d’un concert surprise, le jour de la rentrée ?
Clément : On était installé lorsque la récré a sonné et on a joué trois morceaux en acoustique.
Ellie : Les enseignants avaient déjà prévenus les enfants qu’on allait intervenir dans l’année mais ils ne connaissaient pas encore le projet : le but de ce concert était de nous découvrir et de voir nos têtes !
Vous avez présenté le projet à ce moment là ?
Vincent : C’était avant tout un concert pour qu’on se rencontre, nous et les enfants.
Ellie : On avait déjà fait des réunions en amont avec les enseignants et avec Patchrock pour préparer le projet d’action culturelle.
Sachant que c’est une équipe enseignante qui connait déjà bien les actions culturelles : ils ont déjà fait une chorale rock.
Comment ce sont passées les séances avec les élèves ? Classe par classe ?
Ellie : Exactement : comme c’est axé sur le chant, la chorale, j’étais présente à tous les cours et Federico ou Clément (Jérémy et Vincent sont intervenus aussi de temps en temps) m’accompagnaient régulièrement. C’était très souvent des séances classe par classe : on enchaînait des séances de trois quart d’heure par classe dans une grande pièce. Pendant ces séances, on faisait 10-15 minutes d’échauffement physique, vocal, des exercices rythmiques et ensuite on commençait à dégrossir les morceaux avec eux.
Federico : On essayait de voir le rythme des textes et la mélodie.
Ellie : Mais aussi le sens des textes, la prononciation pour les morceaux en anglais.
Comment avez- vous choisi les morceaux ? Je suppose par difficulté d’âge au départ ?
Ellie : Comme il y avait déjà eu une chorale rock , l’idée de départ était de faire une chorale pop. Je voulais vraiment faire un truc pop sixties au tout début, avec les Beach Boys, les Beatles, etc… mais je me suis vite rendue compte qu’il y a beaucoup de chant avec des harmonies compliquées. C’était beaucoup trop difficile pour des élèves d’école primaire, donc on a élargit à la chorale pop populaire, en fonction des classes et des âges. Il fallait aussi que les enseignants soient contents de la chanson proposée.
Vous avez essayé des morceaux qui n’ont absolument pas fonctionné ?
Federico : Juste un Jackson Five : ça a l’air cool comme ça, mais rythmiquement c’était compliqué, beaucoup de paroles, en anglais en plus.
Ellie : Et on l’avait proposé aux CE2, beaucoup trop jeunes : c’était très rapide et très difficile, donc on l’a remplacé par ABC. On l’a quand même réarrangé pour que ce soit plus facile.
Pendant la restitution aux Champs Libres, il y avait une chouette disposition scénique. Quel était votre rôle ? Chef d’orchestre ? Accompagnement musical ? ou alors les deux ? On avait vraiment la sensation qu’ils étaient complètement autonomes.
Ellie : J’étais dans un petit coin au cas où, mais le but était qu’ils soient autonomes. Pour les touts petits, je donnais les départs. Les CM1 , CM2 étaient autonomes : j’étais juste là pour les épauler, les rassurer.
Clément : Et nous on était backing band.
Vous n’avez eu aucune appréhension en présentant ce projet en cours ?
Federico : Franchement, on était pas trop mal au niveau du planning !
Ellie : On avait déjà fait des filages avec toute l’école, au Noroît : on avait installé notre matériel, on avait fabriqué une scène où ils montaient et descendaient. On s’est rendu compte qu’ils étaient prêts.
Est ce que vous pouvez nous en dire plus sur la restitution finale en mai ?
Ellie : Ca devrait être au triangle : dans l’idéal, on voudrait faire une chanson commune à toutes les classes en plus des chansons existantes, une espèce de giga morceau avec tous les élèves sur scène, mais il nous reste qu’une séance.
Clément : En gros le contenu ne va pas changer par rapport aux Champs Libres, sauf le morceau commun qu’on va peut-être ajouter si on a le temps.
Ellie : Il y aura un peu plus de place sur scène, donc ce sera plus confortable.
Passons à l’album maintenant : lors de la précédente interview au 6 par 4 (lire ici), un an après la sortie de Ten Thousand Nights, vous évoquiez vos envies d’acoustique. Finalement l’envie d’électrique est revenue naturellement ou alors vous avez plus ou moins laissé l’acoustique de côté ?
Thibaut : L’envie de monter un set acoustique est toujours présent. Mais lorsqu’on a commencé l’album, ça nous paraissait naturel de l’écrire en électrique. L’acoustique est un exercice de style : une histoire de couleurs différentes, de réarrangement des morceaux. Cette envie d’acoustique reste dans un coin de notre tête.
Ellie : Ca nous permet aussi de jouer dans des lieux différents : l’année dernière, on a joué dans une forêt, c’était assez chouette. Et on n’aurait pas pu faire ce genre de concert en électrique.
Jérémy : Lorsqu’on a donné ce concert au 6 par 4, on s’apprêtait à faire notre premier Homework. On se retrouvait par défaut en appartement et on se cherchait dans l’écriture à 6 : c’était un patchwork de plein de choses pour savoir comment réaliser le futur album.
Au 6 par 4 on avait entendu une chanson qui s’appelait Crimson, il est devenu quoi ce morceau ?
Ellie : il s’appelle maintenant Cold Blood et il est sur Homework 2 : c’est le seul morceau que l’on joue dans le nouveau set.
Vincent : C’est le morceau rescapé de tout ce qu’on a fait auparavant.
Thibaut : Il devait être tout frais au moment du 6 par 4 !
Ca nous avait donné un indice sur la nouvelle couleur musicale.
Thibaut : C’est effectivement un morceau de liaison.
Ellie : Dans le nouvel album, certains morceaux ressemblent à celui-ci et font le lien avec le nouveau Bumpkin Island.
Jérémy : Ce morceau est le déclencheur du vrai son du groupe électrique en mode « écriture à six ».
Quand on vous avait demandé comment vous composiez à l’époque, ça se faisait par petits ateliers. Ce n’est pas trop compliqué d’écrire tout à six, justement ?
Clément : Pour cet album, on a crée une forme d’herbier, un dossier où chacun ramenait de la matière. Il y avait des morceaux plus écrits avec une forme quasi complète, et il y avait des morceaux avec de la matière brute. On les a développés à six en faisant des essais en répétition, en prenant des choses et en en laissant aussi.
Thibaut : On a quasiment tout composé au complet.
Ellie : Certaines bases ont été composées à la maison en guitare-voix, piano-voix. Et d’autres compos étaient créées ensemble : ces morceaux prenaient beaucoup plus de temps à écrire, mais je pense qu’on ne les différencie pas tant que ça au final même s’ils ont un processus de composition différent au départ.
Thibaut : avant cet album, on composait sous forme d’ateliers et les morceaux avaient forcément la couleur des gens qui étaient présents lors de l’atelier. Sur All Was Bright, les dix morceaux possèdent les couleurs de nous tous : ce sont vraiment nos six identités qui sont sur cet album.
Ce qui fait que ça amène un album surprenant car beaucoup plus varié que le précédent justement : on a trouvé des sonorités électroniques dans SGT Woodbury, voire trip hop sur Playground. Ces nouvelles sonorités viennent d’une envie de se renouveler, ou bien c’est l’écriture collégiale qui vous a amené à explorer de nouvelles pistes ?
Jérémy : SGT Woodbury et Playground sont nés de riffs spontanés. C’est souvent des trucs tout bête : tu as un nouvel instrument, tu joues des trucs avec, et tu sors un riff qui te plaît spontanément.
Ellie : Et surtout sans se mettre de barrière. On ne s’est jamais dit « ah non, stop, ça part trop en trip hop, on arrête ». On poussait jusqu’au bout l’idée , quitte à revenir en arrière si on allait trop loin. C’est pour ça qu’il y a des morceaux complètement différents parce qu’on les a poussés au maximum dans des directions différentes.
Ca donne un album qui reste très cohérent, avec un tracklisting hyper soigné. Il y a des choses évidentes comme La vie secrète de Frédéric B placé en plein milieu de l’album, comme une respiration. Il y a aussi plus surprenant, comme Spectacular Lives placé au début alors que c’est l’un des morceaux les plus tortueux de l’album. Y a-t’il eu débat entre vous pour élaborer ce tracklisting ?
Federico : Pour l’ouverture et la clotûre, c’est apparu comme une évidence.
Thibaut : On a surtout pensé le tracklisting pour le vinyle : la face A qui se termine avec La vie secrète de Frédéric B et la face B qui rouvre avec All Was Bright.
Ellie : On hésitait entre Spectacular Lives et All Was Bright pour l’ouverture, et finalement chaque morceau fait l’ouverture d’une face du disque.
Thibaut : On s’est aussi posé des questions : comment choper l’auditeur, comment le surprendre, l’étonner.
Ellie : Les morceaux étant très différents, il fallait vraiment penser à une histoire du début à la fin, et pas juste un morceau par ci, par là. Thomas Poli nous a également aidé en nous donnant son avis : une oreille extérieure nous a fait du bien.
Il y a une nouveauté aussi avec la voix de Clément sur Yellow on the Sea et celle de Vincent sur Siddhartha. D’où vient cette envie, qui a amené l’idée au départ ?
Vincent : Quand on a commencé à travailler sur l’écriture, chacun proposait la matière : sur les deux morceaux, il y avait déjà une voix de posée qui, esthétiquement, était marquée. On a donc fait le choix de garder la voix originelle.
Ellie : Ce n’était pas systématique : Clément avait écrit la base de Spectacular Lives avec sa voix, mais on a trouvé ça plus cohérent avec ma voix., On a donc rebossé le morceau : j’ai notamment rajouté du texte pour être plus à l’aise, pour me réapproprier le morceau.
On parlait tout à l’heure de Thomas Poli : il a donc enregistré dans les conditions du live. Ca s’est fait en plusieurs étapes ?
Ellie : On s’est retrouvé dans une salle dans les Côtes d’Armor où certains d’entre nous on l’habitude de travailler : c’est un théâtre à Collinée et l’été, la salle est vide. On s’est retrouvé comme à la maison : on a installé la scène, on a mis tout notre matos dessus, les amplis étaient dans les loges, séparés. On pouvait ainsi tous se voir et jouer en même temps sur le plateau. Et Thomas est venu avec son propre studio.
Thibaut : A défaut d’avoir assez d’argent pour louer un studio qui pouvait nous accueillir tous, nous et notre matériel conséquent, on l’a construit nous-mêmes.
Jérémy : On a fait des journées avec beaucoup d’heures : à la différence d’un studio, on n’avait pas de contraintes d’horaires. On n’avait pas non plus de problèmes de voisinage, on était un peu seuls au monde, en ermite pendant deux semaines.
Ellie : Deux semaines hyper intenses mais vraiment cool. Certains morceaux ont été composé quasiment intégralement en live, comme All Was Bright.
Thibaut : On a enregistré tous les morceaux en groupe en quatre jours. Quand il y avait besoin de travailler un son ou une partie de guitare ou autre, on recommençait, mais on a gardé une grande partie de ce qui avait été enregistré.
Ellie : On a beaucoup appris en réalisant les Homework. Pour le premier, on avait bossé pas mal en live et le deuxième était plus en production. Que ce soit pour l’enregistrement ou pour le jouer ensuite en live, on s’est rendu compte qu’il était beaucoup plus agréable d’enregistrer en live, car ça nous correspond mieux.
Thibaut : Par exemple, sur Homework 2, il y a un morceau que l’on n’a toujours pas réussi à jouer en live.
Jérémy : Dans l’écriture à six, il y a quelque chose de plus concret, de plus évident : on comprend mieux le sens du morceau parce que tout le monde y participe. Lorsqu’on est en mode production, sur l’ordinateur, il y a qu’une seule personne qui a une idée très précise du morceau et il est difficile de partager cette idée avec tout le monde : on empêche presque les autres de rentrer dans l’évolution d’un morceau.
Vous avez aussi travaillé lors d’une résidence de quatre jours à l’Ubu : qu’avez-vous bossé plus spécifiquement ?
Clément : La scène et l’adaptation des morceaux à la scène.
Les lumières aussi ?
Ellie : Oui ce soir il y a une belle création de lumières. On a eu 7 jours de résidence en tout et ça nous a permis de bien gérer les transitions entre les morceaux : on a par exemple retravaillé la setlist qui est différente de l’album.
Federico : On a aussi travaillé sur le son, même si le travail avait déjà débuté au Novomax sur une résidence de 4 jours. Une forme de prolongement pour voir comment les morceaux réagissaient avec un vrai système son, pour continuer à travailler le son en façade.
Thibaut : C’est Glenn qui fait le son façade : il jouait au sein du groupe au tout début, et il avait vraiment le son du groupe dans la tête. Mais le groupe a changé depuis, et il y avait un travail à faire aussi avec lui pour se mettre d’accord sur la nouvelle esthétique du groupe.
Alors justement, comment est composé le nouveau set ? Il y a quand même d’anciens titres ?
Ellie : On ne s’est pas trop posé de questions puisqu’on voulait jouer tous les nouveaux morceaux : on a juste rajouté Cold Blood, qui rentrait dans l’univers du nouveau set, du nouvel album. On n’avait pas trop envie de rejouer des morceaux que l’on joue depuis longtemps, que les gens connaissent très bien.
Jérémy : On a l’impression de monter un nouveau groupe en fait ! (rires)
On a découvert qu’un clip allait prochainement sortir, réalisé par Pierre Mottron : peut-on savoir sur quel titre ?
Ellie : C’est sur Spectacular Lives. Le premier titre qu’on a mis en avant, c’est Head Over Heels qui ressemble quand même au Bumpkin Island que l’on connaît. Avec le clip de Spectacular Lives, on voulait montrer aux gens qui n’avaient pas forcément écouté l’album qu’il y avait des nouveautés dans nos compositions.
Jérémy : C’est un morceau assez frontal même s’il n’a pas de refrain pop tubesque : c’est un morceau qui nous parle.
Ellie : On a laissé carte blanche à Pierre : il nous a montré des extraits et c’est vraiment réussi.
Donc je suppose que dans les prochains mois, l’objectif est de tourner au maximum ? Il y a une date au Petit Bain à la fin du mois, au Ferrailleur aussi.
Jérémy : Et à Collinée, là où on a enregistré.
Ellie : On est en train de voir avec Patchrock pour caler une tournée à la rentrée.
Vous êtes sur le catalogue de Patchrock, qui a également sorti l’album avec les Disques Normal.
Ellie : Patchrock a fait beaucoup pour nous : ils ont trouvé des subventions, ils ont été derrière nous du début à la fin, ils n’ont jamais douté.
Clément : On a pu se consacrer sur la musique parce qu’on n’avait pas tout ça à gérer.
Jérémy : Sur le premier album, on avait dépensé beaucoup d’énergie pour trouver un label, un distributeur, s’occuper de la communication… C’est important d’avoir une structure autour de nous qui s’occupe de toutes ces choses qui peuvent nous déconnecter de la création d’un disque.
Avec les Disques Normal aussi.
Clément : C’est grâce à Martial qu’on a pu sortir notre premier album, les Disques Normal sont incontournables.
Pour finir, lors de la dernière interview en 2014, Thibaut, Ellie, Clément et Jérémy nous nous avaient donné l’album sans lequel ils ne pourraient pas vivre. Ca a évolué ?
Thibaut : Je dirais le même : Third de Portishead
Clément : Sam Amidon
Vincent : Microcastle de Deerhunter
Ellie : Blue Roses, l’album éponyme. J’avais dit Radiohead ? (rires)
Jérémy : l’album que j’ai le plus écouté dans ma vie, c’est LCD Soundsystem. Mais j’adore In Rainbows de Radiohead. C’était l’un des deux ?
Tu avais répondu Homogenic de Bjork (rires)
Federico : Shields de Grizzly Bear
Glenn : Takk de Sigur Ros
Merci beaucoup !
Merci à vous !
La Chorale Pop, par Bumpkin Island & les élèves de l’école élémentaire Moulin du Comte @ Le Triangle, mardi 16 mai à 19h