Le festival des Embellies a pour (excellente) habitude de nous mitonner une programmation léchée : cette soirée à l’Ubu n’a pas dérogé à la règle, avec en point d’orgue le superbe concert de Bumpkin Island.
Emilie Zoé
Vendredi oblige, le public rennais tarde un peu à venir et les organisateurs décalent judicieusement d’un quart d’heure le début des festivités pour permettre au duo de Lausanne de jouer devant un public de plus en plus nombreux. On avait entraperçu Emilie Zoé lors du Dimanche Embellies aux Champs Libres, juste ce qu’il fallait pour nous faire saliver à l’idée de l’apprécier pleinement ce soir. Accompagnée de Nicolas Pittet à la batterie, Emilie donne le ton avec sa six-cordes dès le début du set avec I Found a Girl. Un morceau tendu, à la limite de l’explosion, extrait de son formidable premier album Dead-End Tape. Emilie Zoé affectionne les mélodies dépouillées de tout artifice : une ligne de guitare épurée, un jeu de batterie sans chichis, Dead-End Tape est un modèle de redoutable simplicité.
On retrouve avec plaisir les mélodies du duo, qui excelle sur des compositions minimalistes (le très beau My Shadow on The Wall). Une simplicité qui permet de mettre en valeur le timbre de voix délicieusement éraillé d’Emilie, comme sur l’émouvant I Cried My Beard joué en solo à la guitare. Le set est contrasté, avec quelques envolées électriques qui tranchent (Sailor), mais avec un son que l’on trouve parfois trop « propre ». Sur certains titres, on a préféré la version Do It Yourself de l’album, enregistré dans un stand de tir et fixé sur une traditionnelle cassette. Un petit bémol qui n’altère en rien la qualité d’ensemble du concert : la setlist est parfaitement équilibrée et les anecdotes d’Emilie en interlude sont passionnantes (l’enregistrement de Vortex dans la cage d’escalier, le morceau joué sur un toit sous la lune). Quand un spectateur lui demande pourquoi trois guitares, elle explique les accordages différenciés lui permettant de donner leur couleur aux morceaux. Certains de ces morceaux sont d’ailleurs pour nous une totale découverte, le duo affectionnant le test live des nouvelles compos avant enregistrement. Un parcours que l’on suivra de près, tant sur album qu’en concert.
J&L Defer
Alors pour être honnête, nous ne connaissions pas Disco Doom avant de découvrir la moitié du groupe sous l’étrange J&L Defer. Derrière ce nouveau projet se cachent Gabriele De Mario et Anita Rufer, qui s’appuient sur de multiples improvisations passées pour proposer une noisy pop foutraque et bien barrée, truffée d’influences multiples. Leur premier album, No Map, paru fin 2016 sur Exploding In Sound Records, regorge d’idées et d’associations farfelues mais qui fonctionnent impeccablement sur album. On avoue avoir été plus que dubitatifs à l’idée de découvrir le rendu scénique. Ca démarre fort avec l’expérimental Brian Eno, un parti-pris original mais particulièrement déroutant pour le public. Mais le facétieux duo remet tout le monde sur les rails avec le mélodique Nowhere et son refrain en voix de tête.
Anita et Gabriele s’appuient sur une base rythmique synthétique pour mieux mettre en avant leurs guitares lo-fi. On adore les petits riffs aux accents tropicaux (Hard Fiction Road), les dissonances légèrement noisy (Transition), et les ponts instrumentaux étrangement poétiques (Beach Dark). Les voix se mêlent aux notes de guitares, se confondant presque. Les compositions sont avant tout basées sur des structures répétitives quasi hypnotiques. Les sonorités de guitares deviennent basses sur le redoutable enchainement Johnny, Dream / Hell, avant une conclusion instrumentale du meilleur effet (Ian’s Room). Inclassable et fascinant.
Bumpkin Island
On suit Bumpkin Island depuis leurs tous débuts en 2011 et on a senti tout au long de ces années une évolution dans le groupe. L’excellent deuxième album du groupe, All Was Bright, paru il y a un mois sur Patchrock/Les Disques Normal, marque un véritable tournant dans la discographie du groupe. On a eu le plaisir de s’entretenir avant le concert avec les six musiciens (interview à retrouver bientôt sur notre site), et leur enthousiasme à l’évocation de cet album a clairement fait monter d’un cran notre envie de retrouver leurs merveilleuses compositions sur scène. Sans délaisser le savant mélange de post-rock sombre et de pop orchestrale solaire de leurs débuts, le sextet a décidé d’explorer de nouvelles contrées musicales pour notre plus grand bonheur. Et de les explorer ensemble : ils nous ont confié avoir pour la première fois réalisé cet album à six, en composant de manière collégiale et en enregistrant l’ensemble dans les conditions du live. On connaît leur talent et on ne doutait pas un seul instant de leur capacité à retranscrire sur scène les petites pépites nichées dans All Was Bright. Mais on ne s’attendait pas à se prendre une telle déculottée !
Ca commence très fort avec l’incroyable mélodie post-pop Spectacular Lives, marquée par ce clap de mains singulier et la voix mi-chantée, mi-scandée d’Ellie James. Un morceau exutoire qui permet à tout le monde, musiciens et public, d’entrer de plein pied dans le set. S’ensuit une redoutable triplette, parfait reflet de l’évolution du groupe : l’épique Nightingale qui permet d’apprécier la variété du timbre de voix d’Ellie, Sgt Woodbury aux délicieuses sonorités électroniques qui s’échappent des machines de Thibault, sans oublier les accents trip-hop de Playground. Une étonnante variété des styles musicaux qui s’enchainent avec une bluffante cohérence : on sent que le groupe a trouvé un son qui lui est propre, et l’évidente complicité qui règne entre eux est terriblement communicative. Et le plaisir ne se limite pas aux esgourdes, puisque le visuel est particulièrement réussi : les musiciens, multi-instrumentistes, changent à plusieurs reprises d’instruments et de positionnement scénique, créant autant de tableaux que d’ambiances musicales (mention spéciale aux lumières).
Après l’interlude instrumental (La Vie Secrète de Frédéric B., qui clôt la face A du vinyle et qui offre une délicate respiration au cœur du set), Ellie laisse le lead à Clément (Yellow on the Sea) et Vincent (Siddhartha) sur deux titres du plus bel effet. Les pépites s’enchainent de manière irrésistible, du tubesque Head Over Heels (la savoureuse ligne de basse de Jérémy) au rescapé Cold Blood (extrait d’Homework 1) que l’on avait découvert au 6par4 sous un autre nom, et qui portait déjà en lui les prémices de ce nouveau printemps musical. Le sublime All Was Bright conclut le set comme un clin d’oeil au post-rock de Ten Thousand Nights. Devant l’accueil particulièrement enthousiaste des nombreux spectateurs présents devant la scène de l’Ubu, le sextet revient pour deux rappels dont l’immense Alone qui finit dans un déluge symphonique à vous coller des frissons.
On le savait déjà, All Was Bright est un petit bijou, et les 6 musiciens de Bumpkin Island lui ont scéniquement offert un merveilleux écrin. Assurément l’un des disques indispensables de cette année 2017.
Diaporama (photos : Solène & Yann)
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