Nous avons rencontré le trio Oiseaux-Tempête juste après son terrible concert au Mondo Bizarro aux Bars en Trans 2014. On a beaucoup parlé impro et politique mais ils nous ont aussi diablement rendus impatients de découvrir leur second album qui sortira en avril prochain.
Le superbe double vinyle rouge de leur premier album ayant beaucoup tourné sur nos platines, c’est avec une grande joie que nous avions appris la venue d’Oiseaux-Tempête aux Bars en Trans 2014. Notre excitation avait doublé en découvrant que cette soirée au Mondo Bizarro serait complétée par We Insist !. Sur la petite scène de notre cher Mondo, nous retrouvons bien Frédéric D. Oberland (guitare) et Stéphane Pigneul (basse) mais pas Ben Mc Connell remplacé derrière les fûts par Sylvain Joasson (de Mendelson). Devant une salle blindée, le trio livre un concert qui va monter en intensité pour s’achever par une version surpuissante du déjà très énergique Kyrie Eleison, suivie d’un ultime morceau survolté par le déchainement jouissif d’un sax très free. Le temps de ranger le matos, de vendre quelques vinyles et de souffler quelques secondes et nous les suivons à l’étage pour causer pendant que retentit sous nos pieds les échos furieux de la tout aussi volcanique prestation de We Insist !. Dans l’entretien que vous pouvez découvrir ci-dessous, ils évoquent notamment le très prometteur ÜTOPIYA? leur second album qui sortira le 20 avril toujours chez Sub Rosa. Un magnifique premier extrait vient d’être dévoilé où l’on a le plaisir de retrouver l’immense G.W. Sok (The Ex, Cannibales et Vahinés…) récitant avec toute la sensible intensité qu’on lui connait deux textes du poète turc Nâzim Hikmet. L’écoute de cette merveille pendant votre lecture est fortement conseillée.
Alter1fo : Comment avez-vous ressenti le concert ce soir ?
Stéphane : Je ne savais pas trop quoi en penser juste après, mais maintenant que l’adrénaline du concert est retombée, on est plutôt content. C’était plus dur que ce qu’on avait répété.
Frédéric : C’était le premier concert de Sylvain (Joasson, batteur aussi chez Mendelson)
Stéphane : ça faisait longtemps qu’on n’avait pas répété. On a juste fait deux sessions avec Sylvain. C’était beaucoup plus doux. Mais là, ce soir avec la salle et le public c’était beaucoup plus rock.
On a bien senti que le concert montait en densité au fil du set.
Frédéric : Les gens étaient très chaleureux. Dès le début du concert, on a une belle chaleur et une belle écoute, c’est cool un concert comme ça.
Ce n’est pas toujours le cas ?
Frédéric : ça dépend. On a fait des concerts dans plein d’endroits différents, aussi bien des clubs que des églises, des galeries, des théâtres, des musées, des auditoriums, des caves… et même un planétarium ou une station de RER.
Stéphane : Et des belles salles aussi.
Frédéric : Quand les gens sont assis, tu ne les sens pas de la même manière. Là, ce qui est chouette, c’est vraiment un lieu où les gens sont très proches. Ils sont presque avec toi sur ton pédalier. Tu les sens. Tu sens leur haleine, leur transpiration. Tu peux leur parler et ils te répondent directement. Cette proximité là, quand ça le fait, c’est génial.
Les TransMusicales, c’est un festival dont vous êtes familiers ?
Stéphane : On n’y est jamais venus. On en a beaucoup entendu parler. On a plein de potes qui sont venus jouer ici. Plus aux bars en Trans qu’aux TransMusicales d’ailleurs.
Personnellement je ressens votre album comme une suite de rencontres, de paysages, comme un disque très varié mais aussi très cohérent. Comment s’est passé le choix des enchaînements de morceaux ? Comment vous avez construit l’album dans sa globalité ?
Stéphane : C’est venu après. On ne l’a pas du tout pensé comme ça. On avait une vague idée de faire une sorte d’Odyssée, mais pas plus précis que ça.
Frédéric : On avait une trame mais plutôt poétique et politique.
Stéphane : En 2011, Fred est parti en Grèce avec un copain cinéaste et photographe (Stéphane C.) pour voir ce qui s’y passait. Ils sont allés dans les manifs. Ils ont pris des sons, des images.
Frédéric : On est revenu avec l’idée de faire un film et peut-être une bande son. J’ai assez vite proposé à Stéphane de se joindre à l’aventure. Avec Stéphane, on avait déjà plusieurs groupes ensemble (FareWell Poetry, Le Réveil des Tropiques) et on avait envie de jouer avec un nouveau batteur. On a rencontré Ben Mc Connell (Beach House, Rain Machine, Au Revoir Simone, Marissa Nadler/Winter Family) après des concerts. On a fait une répèt’ ensemble et c’était vraiment super. On a fait un concert dans la foulée, sans même avoir trouvé de nom tellement on était pressé de jouer. Après ça, on est allé en studio à Lyon. On avait quelques idées de thème mais pas de morceaux du tout. On a donc improvisé pendant trois jours. On est sorti de là avec quinze ou seize heures de rush. On a dérushé ça comme on fait au cinéma. On a commencé à monter l’album, à le construire, à ajouter certains sons qu’on avait pris en Grèce et ça a donné une certaine narration. Que ce soit sur ce premier ou sur le second ÜTOPIYA?, qui sort en avril prochain, on a gardé le même mode de fonctionnement. Impro totale. On essaye de se créer une bulle et de s’y sentir bien ensemble en privilégiant un son live. Après, on rentre à la maison, on prend le temps d’écouter, de choisir les moments qui sont bien pour monter un truc qui tienne la route sur la globalité d’un disque. On essaye aussi d’être… pas dur avec nous même… mais juste pas trop complaisants.
Frédéric : Il n’y a pas de trame avant. Comme on est souvent dans l’improvisation, on travaille avec la matière qu’on a et avec les échanges qu’on a avec le public. Comme on était très content du travail de Benoît Bel, l’ingénieur du son, on est retourné dans le même studio (Mikrokosm à Lyon) et on a suivi le même processus en retrouvant la même bulle.
Vous avez travaillé avec le clarinettiste Gareth Davis sur le nouvel album ?
Frédéric : Il était là dans le studio avec nous et il est sur presque tous les morceaux. C’est un pote en fait, j’ai déjà joué avec lui dans un autre groupe et on est resté en contact. Quand on a eu la possibilité en 2013 de faire Temps Zéro à l’église Saint Merry à Paris, on a eu envie d’avoir un soufflant avec nous. C’était d’ailleurs le deuxième concert du groupe. C’était la première fois qu’on jouait des morceaux du disque. On avait même été obligé de répéter parce qu’en fait… on ne répète jamais ou presque. Là on l’a fait avec Sylvain pour trouver notre énergie mais on l’a fait à peine quatre ou cinq heures. De toutes façons, on n’a jamais pris le parti de jouer exactement les morceaux du disque. On garde des bouts de structures, des rythmes qui nous intéressent et on les réinterprète sur scène avec un canevas plus ou moins souple. Du coup, un soir un morceau fera quatre minutes trente parce qu’on le sent comme ça, et le lendemain, il en fera douze. On les joue avec des sons différents, des nouveaux accords, des nouvelles parties… voire même des instruments différents. Tout ça, c’est assez excitant parce que ce n’est jamais le même concert.
Je ressens votre musique de façon très visuelle. Y a-t-il des cinéastes dans les gens qui vous inspirent ?
Stéphane : Fred a fait une école de cinéma donc forcément.
Frédéric : On a chacun nos goûts personnels. Moi dans ceux qui m’inspirent il y a Philippe Grandrieux ou Andreï Tarkovski… Allez on va tous citer des cinéastes.
Sylvain : J’aime bien les frères Cohen. Ce que j’aime ce sont les films farfelus ou assez décalés. J’aime les voyages cinématographiquement et musicalement. Là j’aime beaucoup le voyage qu’on fait tous les trois. Chez Mendelson aussi, on essaye de raconter des histoires dans les morceaux, que tu vois le décorum, la vie des gens. C’est très évocateur à jouer en tant que musicien.
Frédéric : Je dirais que dans notre musique, il y a un truc de l’ordre du travelling. Chez des cinéastes comme Jarmush ou Lynch on trouve ce genre de plans. Ce qui est aussi intéressant, c’est que personne n’aura les mêmes images au même moment. C’est de la musique essentiellement instrumentale. Il y a des bribes de réalité avec les bouts d’interviews qu’on a ajoutés ; sur le second album il y a des voix. Si tu décides d’y faire vraiment attention, ça te donne des canevas, tu peux imaginer des pièces, des salles. Après avec la musique instrumentale quand tu l’écoutes et que tu regardes par la fenêtre peut-être que les choses te paraissent un peu différentes. Nous n’avons pas du tout l’intention de délimiter un territoire de ce qu’est notre musique. On a nos goûts personnels et après il y a ce qu’on fait ensemble qui est autre chose, qui peut même s’éloigner assez de ce qu’on aime à la base. Si trame il y a, elle est surtout politique.
Sylvain : Je ne savais pas qu’il y avait un truc politique (Rires).
Frédéric : Tu ne sais même pas de quel bord on est en plus (Rires).
Vous revendiquez ce côté politique alors qu’aujourd’hui la plupart des groupes repoussent ça.
Stéphane : Au départ, on n’en avait pas vraiment envie non plus. C’est peut-être même la première interview où on va le dire de façon aussi claire. On n’est pas encarté pour autant.
Frédéric : Mais c’est une manière de défendre notre projet, de défendre une certaine façon de fonctionner dans la société de ce que tu peux offrir aux gens. Si les choses peuvent changer, c’est d’une façon tout à fait individuelle au départ. Je ne pense pas qu’un disque, un livre ou un film puissent changer le monde même si tu touches des millions de personnes, ce qui n’est bien sûr pas notre cas. Par contre, à titre personnel on a pu être marqué par une poignée d’œuvres qui nous ont changé nous. Et quand ça te change toi, ça change aussi parfois ton rapport aux autres, à ton environnement proche. Et ça, c’est politique. La disparition du politique est quelque chose d’assez complexe dans ce qui se passe aujourd’hui.
Sylvain : ça ouvre des steppes à certains en tout cas.
Comment avez vous l’impression que votre musique a évolué entre le premier et le second album ?
Sylvain (qui vient donc de faire son premier concert avec les deux autres): Alors bon… (Rires)
Stéphane : Elle est peu être un peu plus brute. L’avantage, c’est qu’avant d’enregistrer le premier disque nous n’avions fait qu’un seul concert et une seule répète. Ça c’est fait vraiment très très vite. L’idée de départ du film, elle a dérivé parce qu’après cette répète, on a eu comme une sorte d’urgence.
Frédéric : Il fallait qu’on fasse un groupe.
Stéphane : Au lieu de composer pour un documentaire ou un film qui restaient encore très vague, on s’est dit qu’on tenait un truc. On a donc fait un concert juste après et on est allé direct en studio dans la foulée.
Frédéric : Après le disque par contre, on a beaucoup tourné. Quand on est rentré en studio la deuxième fois, on était le même groupe mais le fait d’avoir tant expérimenté de choses sur scène l’avait changé. Les premiers concerts, on les jouait assis parce qu’on joue aussi dans des groupes qui sont un peu plus énervés donc on voulait quelque chose de plus posé. On n’avait pas envie d’aller directement dans cette direction. Il y avait aussi des parties un peu difficiles à faire donc ça aidait (Rires). Et puis au fil des concerts, sur certaines salles, on s’est dit qu’il fallait qu’on se mette debout. Cette excitation, cette énergie du moment, ont influé sur notre état d’esprit au moment de revenir en studio. Le son du prochain disque est produit d’une manière différente. On entend beaucoup plus le son des amplis. Il y a beaucoup moins de réverbérations additionnelles. C’est beaucoup plus proche des prises et de ce qu’on en entendait en le faisant. On a voulu garder ce truc qui va vers l’extrême puissance quand c’est puissant et vers la subtilité ou une fragilité à d’autres moments. C’est de l’impro et des fois, en impro tu fais de la merde ou parfois tu as un morceau qui est vraiment bien mais il va avoir une ou deux parties plus fragiles. On cherche alors à trouver comment le mixer pour que tout reste du bon côté. L’idée c’est de trouver une solution sans trop d’artifices de studio pour rester le plus proche possible de ce qu’on a joué.
Stéphane : Oui, ne presque rien rajouter. Sur ce second album on a juste mis du clavier sur un titre.
Frédéric : Tout le reste est brut, avec parfois plusieurs instruments qui se rajoutent sur un morceau.
Frédéric, sur la pochette tu es crédité pour la guitare, la voix, le clavier, le sax alto et pour la « Dark Energy ». Qu’est-ce que c’est ?
Frédéric : C’est à cause de mon énergie noire (rires). En vrai, c’est tout simplement un synthé analogique qui fait des impulsions et des sons un peu chelou. Sur le premier album il est utilisé sur Kyrie Eleison, sur La Traversée, sur L’île. On l’utilise un peu sur le deuxième mais il y a aussi des instruments nouveaux. Des surprises alors on ne va pas trop en dire.
D’autres projets avec Le réveil des Tropiques ?
Frédéric : Depuis l’album, on a sorti un album live en vinyle, deux cassettes de live
Stéphane : Le projet le plus proche, c’est qu’on part la semaine prochaine en tournée. On part dans le sud. On fait Poitiers, Valence, Marseille, Montpellier. Pas dans cet ordre mais ça doit être ça.
Pour finir, quels sont les disques que vous écoutez le plus en ce moment ?
Frédéric : On est fan absolu du dernier Swans (l’énorme To Be Kind). J’ai écouté le dernier Shellac ce matin. Cette année on a aussi adoré le disque de David Lynch, les Bandes Originales d’Under The Skin et d’Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush, le Stephen O’Malley, le dernier Marissa Nadler… et un groupe américain qui vit en Belgique qui s’appelle A Winged History For The Sullen. C’est une belle année en disques je trouve.
Stéphane : Et je pense que je vais acheter le prochain disque de We Insist !