Photojournaliste, membre du studio Hans Lucas et du collectif Prism, Quentin Bonadé-Vernault vient de publier son premier livre intitulé « Welcome to Rennes ». D’emblée, il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un énième ouvrage superficiel qui énumère les lieux incontournables de la capitale bretonne tels que les guinguettes animées, les rooftops ensoleillés ou encore les espaces de coworking à la mode. Non, ici, le propos est plus ambitieux, plus sérieux, plus concret et surtout, plus humain.
En effet, à travers une cinquantaine de photographies issues de ses nombreux reportages, Quentin Bonadé-Vernault témoigne des conditions de vie et des parcours des personnes exilées à Rennes depuis 2019. De l’occupation des Veyettes aux parloirs sauvages devant le centre de rétention de Rennes-Saint-Jacques de la Lande, en passant par les mises à l’abri citoyennes dans des écoles, « Welcome to Rennes » offre un témoignage photographique à la fois précieux et indispensable.
[ALTER1FO] : Bonjour Quentin, quel est ton premier souvenir en lien avec la photographie ?
[Quentin Bonadé-Vernault] : Mon tout premier souvenir photographique est un sténopé que j’ai réalisé avec mon père. Il était enseignant en école primaire et proposait cette activité à ses élèves. J’étais alors en maternelle dans sa classe et, si ma mémoire est exacte, la photographie capturait la cour de l’école.
Commencer par un sténopé pour finir au photojournalisme n’est pas banal. Quel est ton parcours ?
Depuis le lycée, j’ai toujours eu un appareil avec moi, d’abord argentique puis numérique. À l’époque, je capturais énormément de scènes de rue. Étant donné ma tendance à la monomanie, pour ne pas dire mon obsession, je ne cessais de m’immerger dans des recueils entiers de photographies, que ce soit à travers des livres ou sur les plateformes en ligne d’agences renommées telles que Magnum, Divergences, Hans Lucas, et autres. Pendant mes études en sociologie, ma thèse portait sur la professionnalisation des photoreporters. Je demeurais ainsi intimement lié à l’univers de la photographie.
En arrivant à la fin de mon cursus universitaire, conscient que la recherche ne m’attirait pas autant que la photographie, j’ai finalement sauté le pas en commençant par la diffusion de mes clichés auprès de la presse par le biais d’une première agence – qui a malheureusement fait faillite depuis. Mon premier contact avec le « journalisme » fut quelque peu abrupt, en 2014 à Nantes lors d’une manifestation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. J’y ai été gazé et matraqué par un policier. Mon objectif s’est brisé, entraînant la perte de toutes mes photographies. Heureusement, depuis, la chance me sourit davantage. Désormais, je parviens à en tirer ma subsistance et à collaborer avec des organes de presse tels que Libération, Reporterre. On me fait confiance, et cela est particulièrement gratifiant…
Tu as mentionné quelques médias. On remarque d’emblée un point commun : ils sont tous plutôt positionnés à gauche de l’échiquier politique.
Oui, je collabore avec des rédactrices et des rédacteurs ayant des opinions diverses mais solidement ancrées à gauche. C’est un élément crucial pour moi, car je suis un journaliste de « gauche ». En réalité, la neutralité journalistique est une notion inexistante. On se leurre ou on se ment à soi-même. Pour ma part, j’assume pleinement mes convictions.
Photo culinaire, photo d’architecture, photo de mode… tu as préféré le photojournalisme. Pourquoi ?
Oui, c’était une évidence dès le départ ! Je ne me considère pas comme un artiste. Mon univers intérieur ne m’intéresse pas vraiment (rires…). Au contraire, je trouve que les gens sont fascinants. J‘a rédigé mon mémoire, assis dans une gare, juste pour avoir un prétexte pour observer les passant·e·s. Je m’intéresse à l’« autre », c’est d’ailleurs pour cela que j’ai entrepris des études de sociologie.
Maintenant que nous te connaissons un peu mieux, pourrais-tu nous expliquer ce que l’on peut trouver dans le livre intitulé « Welcome To Rennes » ?
Il s’agit d’une compilation documentaire regroupant plusieurs de mes reportages réalisés depuis 2019, ayant pour thème principal la crise de l’accueil des personnes exilées. À Rennes, ce sujet revient fréquemment et je trouvais qu’il était pertinent de mettre en lumière son évolution.
Il est devenu difficile de compter le nombre de manifestations organisés par les soutiens aux personnes exilées. Aujourd’hui encore, le Collectif de Soutien des Personnes Sans-Papiers (CSSPP) de Rennes organise depuis quelques jours des occupations amies pour alerter sur la situation dramatique des personnes à la rue. Sans tomber dans le cynisme, il semble que l’histoire se répète. Parviens-tu à trouver un nouvel angle, à toujours garder un regard neuf pour réaliser tes reportages ?
Je considère l’œil comme un muscle que j’entraîne comme un athlète. Je participe ainsi à tous les petits rassemblements autant pour leur donner une visibilité médiatique que pour m’obliger à rester vigilant, et de m’améliorer. Cela me force à rechercher le moindre détail dans des situations où il ne se passe pas grand-chose en apparence. Maintenir un pied sur le terrain, c’est crucial. Cela me permet de rester au contact, d’avoir la confiance des gens, d’échanger. C’est important car cela montre que nous ne sommes pas juste là pour faire notre photo et la vendre après.
Comment s’est construit ce livre, notamment dans le choix des photos ?
Le processus de sélection des images a été une collaboration étroite avec Esther Layet, l’éditrice du livre. J’ai initialement présenté une pré-sélection, puis Esther m’a ensuie aidé à choisir les photos ayant le plus d’impact visuel, celles qui racontaient le récit le plus éloquent. J’ai également pris en considération les retours des autres membres du collectif PRISM, en particulier l’avis de Jérémie Verchère, qui a écrit la préface, ainsi que ceux des iconographes du journal Libération.
Personnellement, j’ai une préférence pour les photos richement détaillées, aux compositions denses qui offrent une multitude de niveaux de lecture.
Et dans ce livre, tes photos sont toutes en couleur…
Absolument. En général, les photos que je prends dans le cadre d’un reportage sont en couleur. J’ai échangé à ce sujet avec Édouard Elias lors d’une de ses conférences. Ce photographe a opté pour la technique du noir et blanc en utilisant un appareil argentique ancien et un format panoramique pour évoquer les photographies de la Première Guerre mondiale. Pour ma part, cela m’inspire aussi, car j’adopte le noir et blanc pour « raconter » quelque chose.
Les gens ne le savent peut-être pas, mais travailler auprès de personnes exilées demande une exigence particulière, puisque montrer le visage de quelqu’un·e peut le ou la mettre en danger. Comment as-tu géré cet aspect ?
Décider de montrer ou non telle photo ne s’est pas fait pas lors de la sélection. J’y pense au moment même de la prise de vue, c’est-à-dire que je vais directement rencontrer les personnes afin de leur demander leurs autorisations. Si cela est plus compliqué, je m’informe auprès des associations ou collectifs pour savoir qui je ne dois absolument pas montrer. Par ailleurs, et c’est un choix personnel, j’essaie au maximum de ne pas montrer de visages d’enfants.
Plus tôt, sans sombrer dans le pathos, tu mentionnais que la photographie te permettait de vivre, mais modestement. Cependant, tu choisis de reverser tes droits d’auteur à UTOPI56. Pourquoi ?
Après, ce n’est pas une somme astronomique non plus, le tirage et la diffusion reste limitée. Malgré tout, je n’envisageais pas de tirer profit de cela. La véritable question était de savoir quelle association soutenir, car à Rennes, il en existe plusieurs : entre « un Toit c’est un Droit », le « MRAP », etc. Personnellement, j’ai choisi de soutenir « UTOPI56 » qui, à mes yeux, accomplit un travail d’intérêt général que l’État devrait accomplir.
Esther Layet, dans le cadre de ton master édition à l’Université de Rennes 2, tu es l’éditrice de ce livre mais pas que, car tu gères aussi l’organisation d’une exposition à l’Hôtel Pasteur. Peux-tu nous en dire plus ?
[Esther Layet] : En effet, l’Hôtel Pasteur nous ouvrira ses portes du 9 au 14 octobre dans la grande galerie. Nous présenterons des photographies issues du livre « Welcome To Rennes », ainsi que quelques clichés inédits. La photographe Ophélie Chaze, membre du collectif PRISM, viendra enrichir cette exposition avec l’un de ses reportages sur Grande-Synthe, réalisé en 2022.
Une soirée de sensibilisation contre la loi sur l’asile et l’immigration se déroulera précisément le jeudi 12 octobre à 17 h 30. L’association Utopia 56 Rennes, ainsi que tout autre collectif intéressé, sont conviés à y participer en présentant leurs actions en faveur des personnes exilées. Ils auront l’occasion de dresser un état des lieux et de mettre en lumière les besoins matériels ainsi que les ressources documentaires nécessaires.
Éditions Tirage de Têtes : www.tirage-de-tetes.fr
Cet ouvrage est réalisé dans le cadre du master 2 Métiers du livre et de l’édition à l’Université de Rennes 2, imprimé à Rennes par Média Graphic et publié aux éditions Tirage de Têtes, maison associative étudiante du master MLE.