L’épatant trio rennais You’ll Brynner fêtait ses dix années d’existence le samedi 19 mars au Jardin Moderne en compagnie de Peter triangle et Megrim. Nous avons rencontré, juste avant cette très belle soirée, l’équipe au complet pour causer de la décade écoulée et des dernières évolutions de cette chouette aventure.
C’est peu dire qu’on a un réel attachement pour les Rennais de You’ll Brynner. On suit dans nos colonnes le trio depuis quasiment sa formation et on pourrait presque dire qu’on a grandi ensemble, tout vieux qu’on soit déjà. Et pas seulement parce que ce sont des gars bien. Combo guitare-basse-batterie, composé de Guillaume Duchemin, Giuseppe Zappia et Mathieu Cotton (également batteur dans Formica et Février), le trio façonne des titres rock à la fois abrasifs et limpides, qui lorgnent tant du côté d’une noise très mélodique et accrocheuse que d’une mélancolie à la classe désarmante. Sûrement d’ailleurs qu’on a un peu écouté les mêmes disques (au hasard -ou presque- Shannon Wright, June of 44, Blonde Redhead, Shipping News, Honey for Petzi, Ventura et on en passe). Nous avons eu le plaisir de retrouver le trio au complet un micro à la main juste avant la soirée célébrant leurs dix années d’existence pour discuter du temps qui passe et de ses effets.
alter1fo : On a regardé dans nos archives et la précédente interview sur alter1fo date de 2012. Dix ans donc pile.
Mathieu : C’était Avec Isa et par mail. Vous nous demandiez les trois albums sans lesquels on ne peut pas vivre.
Guillaume : Si on remonte dans l’histoire, c’est effectivement Isa qui était la première à nous avoir répondu en disant qu’elle avait écouté notre démo et qu’elle la trouvait pas mal. Quelque part, c’est un peu grâce à elle si on en est là.
En 10 ans, qu’est-ce qui a changé dans You’ll Brynner et qu’est ce qui n’a pas changé ?
Giuseppe : Le line-up n’a pas changé. On est toujours là tous les trois.
Mathieu : On a aussi pris des cours de chant.
Guillaume : Mon pedal board lui a complètement changé. Le son n’est plus du tout celui des débuts.
C’est quelque chose que vous avez travaillé particulièrement ?
Guillaume : C’est surtout que quand on a démarré, on n’était pas des experts du son. Ce n’est pas trop dans notre nature. En dix ans, s’il y a bien un truc sur lequel on a progressé, c’est bien celui là en plus des voix. J’ai encore acheté une pédale il y a deux jours, parce que je continue à essayer d’être un peu plus précis, un peu plus en phase avec ce qu’on fait. J’espère que cette partie a bien changé en dix ans, en live comme sur les disques.
Dans la manière de composer, il y a aussi des choses qui ont changé ?
Mathieu : Pas sur la partie musique parce que c’est toujours Guillaume qui apporte l’idée mélodique de départ et Gio et moi, on se greffe dessus. Ça n’a pas bougé depuis dix ans. Ce qui a surtout changé, c’est le travail sur les paroles. J’écris les paroles sur des morceaux qui sont quasiment aboutis. Du coup, on n’a plus à rajouter un couplet par ci par là. Je ne sais pas si le phrasé est réfléchi en composant.
Guillaume : Dans notre ancienne façon de fonctionner, on avait un copain qui composait les textes et on essayait de mettre ça sur nos morceaux. On coupait des phrases. On changeait la structure. Là, comme c’est Mat qui écrit et qui chante, les paroles sont beaucoup plus en phase avec nos morceaux. Il chante même tout seul sur deux ou trois des nouveaux morceaux, ce qui était moins le cas avant. On a poussé dans ce sens là sur les dernières compos parce que ça nous semblait moins compliqué que de trouver le juste équilibre entre nos deux voix. Ça avait plus de sens car ça nous permet de pousser les effets de voix sur Matthieu et retomber sur des graves qu’il ne fait pas habituellement. Ça change le flow. J’espère que c’est ce qui va re-sortir.
Mathieu : Par contre, je n’écris pas les paroles en me disant ça c’est moi qui vais le chanter, ça c’est Guillaume qui va le chanter. Gio ne chante pas mais… il y a un nouveau morceau qui lui est totalement dédié et qu’il interprète du début à la fin.
Gio : C’est vraiment le morceau qui m’a inspiré. Il y avait toute la base instrumentale de faite et ça me parlait. J’ai écrit un texte, en italien que je récite. Ça parle justement de musique. Je ne suis pas chanteur à la base mais ce morceau-là ça m’inspirait beaucoup.
Mathieu : En studio, on avait déjà fait l’essai sur Obsession qui ouvre l’album The Mc Queen Report. Gio faisait l’intro. Je me souviens que quand on était en studio et qu’on a entendu sa voix sur le prémix, on a fait Wow ! ça ouvrait parfaitement l’album et Gio, il a une espèce de mélancolie.
Gio : Je marmonne comme quand on prêche à l’église.
Guillaume : ça marchait bien avec le riff de guitare qui a un côté cathédrale.
Tous ces nouveaux morceaux, ils ont été composés pendant la COVID…
Tous ensemble : Et avant même !
Mathieu : Même si certains ont été composés avant, ils ont évolué pendant la COVID.
Gio : On avait tout simplement le temps.
Mathieu : A la batterie, ce n’est pas seulement une histoire de temps. J’ai changé ma manière de jouer pendant l’épidémie. Du fait de ne plus jouer en live, je me suis retrouvé seul face à l’instrument. La plupart du temps, je ne joue qu’avec un groupe et jamais tout seul. C’est quelque chose que je n’avais pas fait depuis au moins quinze ans. Du coup, j’ai repensé, pas à ma manière de jouer en fait, mais à ma manière de composer. Des morceaux qui avaient une certaine tonalité, une certaine couleur à la batterie ont totalement évolué vers des choses « plus simples ».
Guillaume : Notre dernière sortie date de 2017. On a des morceaux qui datent de 2018/2019. Pour plein de raisons, Gio a été moins présent sur ces moments-là. Il était beaucoup en Italie donc moins de répétitions et de concerts. Quand il est revenu, on s’est ensuite tapé la COVID. On a eu plus de temps. Ce qui est cool, c’est qu’il y a encore quelques semaines, on a encore refait des ajustements. On a été chercher des points de détails dans la façon de poser les morceaux que l’on n’allait pas chercher avant. On est donc revenu sur des premières bases de morceaux. Mathieu a changé son jeu. Moi, j’ai changé mon son. J’ai arrêté de chanter alors qu’on essayait avant de chanter systématiquement tous les deux. On s’est dit : « Stop, on arrête ».
Mathieu : Stop, parce que ça ne marchait pas.
Guillaume : En tout, on a passé quatre ans, à s’arrêter, à reprendre. Quatre ans à mouliner des trucs.
Mathieu : Sans la COVID, on aurait enregistré des trucs qui ne correspondent plus à ce qu’on fait maintenant. On n’en a aucun regret car ces changements sont liés aux expériences musicales qu’on a eu entre temps.
Gio : Quand je suis parti en Italie en déplacement, je suis parti avec ma basse. On s’échangeait beaucoup de mails et les fichiers des morceaux. J’étais aussi seul face à mon instrument, avec mon casque. Je coupais par ci. Je brodais par là. Je renvoyais mes parties aux gars et on échangeait là-dessus. C’est vrai qu’on peut penser que la COVID a coupé tout le monde les uns des autres. Pour nous, on a réussi à maintenir ce contact.
Mathieu : Quand on voit toutes les sorties de disques liés à ce temps en suspension, c’est vrai que ça a aussi été un temps génial pour les mélomanes… mais c’était long.
Et sur le live. Vous n’avez pas joué sur scène ensemble depuis combien de temps ?
Gio : Depuis deux ans et demi. Donc pour voir ce que ça donne c’est ce soir. C’est le grand saut dans le vide. (Rires) En fait, on fait des répétitions depuis déjà un certain temps.
Guillaume : Dès que le Jardin Moderne a rouvert, on était là.
Gio : Même avec le masque, le gel… on était là dès que ça a été possible. Par contre, il nous manquait le public. On a hâte de tester notre nouveau son et nos nouveaux morceaux avec des gens.
Guillaume : Avec tous les reports et les différents dispositifs de live, avec chaise, avec masque… finalement ce 19 mars, c’est un vrai retour à la normale.
Vous avez eu beaucoup de report de votre date anniversaire ?
Guillaume : Cela faisait déjà un ou deux ans qu’on se disait que ce serait cool de faire quelque chose pour nos dix ans ou de trouver un motif pour une belle soirée.
Mathieu : Il y a eu une date de prévue en janvier au Marquis de Sade avec Megrim qui n’a pas pu se faire. Quand on nous a proposé cette date au Jardin Moderne suite à un désistement, on a foncé même si on n’avait aucune idée des conditions ou de si ça allait vraiment se faire. C’était la grande loterie et là tout s’aligne pour que ce soit un vrai live.
La soirée s’est donc construite sur la base de cette soirée au Marquis. Comment s’est rajouté Peter Triangle à l’affiche ?
Guillaume : Il devait jouer avec mon autre projet Tenaille fin décembre. Comme on l’a un peu planté à cause de la COVID et que sa musique collait hyper bien avec ce dont on avait envie pour cette soirée, nous l’avons réinvité. Au départ, il y avait ce lien avec Tenaille car les deux groupes utilisent tous les deux des boites à rythmes mais on s’est dit que ça fonctionnerait aussi pour cette autre soirée.
Mathieu : ça rajoute une autre façon d’aborder la pop. On a une ligne directrice qui est donc la pop : des mélodies, des morceaux qui tendent vers l’efficacité et là on a encore une façon différente de s’attaquer à la chose.
Guillaume : Ce sera aussi l’occasion pour les rennais de le voir ailleurs qu’au Gazoline et dans de bonnes conditions de son et de lumière.
Dans votre précédente interview avec Isa, vous aviez donné une liste assez précise des albums qui vous avaient influencés. Durant ces dix années, y a-t-il d’autres artistes ou groupes dont vous pensez qu’ils ont eu une influence sur votre musique ?
Gio : Comme j’écoute des tonnes et des tonnes de musique. Il y en a forcément. J’écoute toujours beaucoup de rock progressif. Je ne lâcherai jamais ce style. C’est mon île secrète où je me réfugie. Par contre, je me suis aussi dirigé vers le post-rock. Il y a notamment un groupe qui s’appelle Caspian que je suis particulièrement. Je les ai vus trois fois en concert. C’est vraiment un groupe dans lequel je puise pour compenser la broderie qu’on fait avec Guillaume et Mathieu.
Guillaume : … Ho putain la question !
Mathieu : Ben moi j’y ai déjà réfléchi. Pas pour l’interview mais depuis longtemps en fait. Qu’est ce qui m’influence à la batterie maintenant ? Je disais tout à l’heure que j’ai simplifié mon jeu. Ça vient de jouer dans d’autres formations comme Formica ou Février. Surtout avec Février où j’ai juste une caisse claire, un tom basse et une cymbale crash. Je suis donc obligé de m’en tenir à du minimalisme et c’est bien aussi. Ce n’est pas que j’en mettais trop avant…
Guillaume : Si, si, c’est vrai que tu en mets beaucoup. Les gens qui viennent nous voir nous le disent souvent. (Rires)
Mathieu : Il y a un des nouveaux morceaux dans lequel j’ai complètement changé la batterie entre le moment de la composition et la version « officielle ».
Est-ce que ça influe aussi sur ce que tu écoutes comme musique ?
Mathieu : Pas vraiment. Je continue à écouter de tout. Si je devais citer un groupe qui m’a influencé, je dirais le premier album qui compile les deux premiers EP de Crack Cloud même si j’aime moins ce qu’ils ont fait après. Je les ai découverts en écoutant la programmation de la Route du Rock 2019. Il y en a eu d’autres depuis mais ce côté dépouillé et très rentre-dedans, il s’entend sur les nouveaux morceaux. Par contre, je ne chante pas du tout comme lui.
Guillaume : Je ne sais pas trop. Ce qui est sûr c’est que le groupe Féroce, qui n’existe plus d’ailleurs, m’a marqué. Ça rappelle les groupes post-rock qu’on écoutait avant. Ces ambiances très scénographiques ont eu de l’influence sur au moins un des nouveaux morceaux. Pour ce qui a changé… je pense que j’essaye de donner plus d’énergie, d’être plus tranché par rapport à ce qu’on faisait avant. Ça vient aussi peut-être de la boîte à rythme qu’on utilise dans Tenaille et dans lequel j’ai lâché le chant pour plus travailler le son de la guitare, de le simplifier aussi. Il y a aussi un groupe que j’ai découvert chez Kérozène qui s’appelle Pozi et que j’adore, avec un mélange entre une voix dissonante, des guitares assez sèches et aussi des arrangements avec des violons. Je ne sais si ça a vraiment une influence mais ça m’a marqué au moins. Maintenant, qu’est-ce qui a changé dans ma façon de jouer ?…
Gio : Je pense que le maître-mot, c’est « simplifier » pour arriver à quelque chose de plus efficace. Je viens de l’école rock progressif où tu as plein de fioritures avec au moins sept/huit notes sur une même gamme. Mathieu met le holà en disant : « Tu as tapé huit notes, on va en garder quatre déjà et on verra» et la plupart du temps il a raison.
Avez-vous déjà une idée précise de ce que vous allez faire de ces nouveaux titres ? Un album ? Un EP d’abord ?
Mathieu : ça s’appelle comment quand on a sept morceaux ?
Guillaume : Je crois que la limite c’est vingt-cinq minutes ? Donc sept morceaux de cinq minutes, on est bon pour l’album.
Mathieu : On n’est pas du genre à jeter des choses. Il y a plein de groupes qui enregistrent quarante morceaux et qui en garde douze. Ce n’est pas notre cas et on a toujours fonctionné pour ça. Il y a juste un morceau qu’on n’a pas enregistré et qu’on n’a plus jamais rejoué.
Guillaume : Par contre, il y a un morceau qu’on va jouer ce soir et qu’on a failli abandonner quinze fois. Celui-là on a pris le temps de le travailler. J’espère que ce soir ce sera effectivement la bonne version.
Mathieu : Les morceaux ne sont pas encore enregistrés et nous n’avons même pas encore discuté de l’endroit où on le fera. Je ne pense pas qu’on en ajoutera un de plus.
Guillaume : Sauf si on enregistre dans un an.
Mathieu : Si on les a mis sur la setlist, c’est que ce sont des versions finales.
Guillaume : Jusqu’à ce soir, ce sont des versions finales. On saura après le concert si c’est vrai.
C’est vrai que cette drôle de phase qu’on a toutes et tous subit, a tout ralenti.
Mathieu : A part pour les personnes qui ont la capacité de tout enregistrer chez eux mais ce n’est pas notre cas. Pour mon expérience, on a enregistré avec Formica l’album qui est prévu depuis deux ans mais avec Février, on a un album de prêt mais il n’est pas enregistré.
Guillaume : Pour Tenaille, on a aussi des morceaux de prêts mais là c’est une histoire de thunes.
Durant les dix années qui se sont écoulées, il y a aussi eu la création du label Brainstorming Records. Comment ça a démarré cette histoire ?
Mathieu : Au départ, le label s’appelait Fingerprint. C’est pour ça que la première sortie (The McQueen Report de You’ll Brynner justement) est répertoriée comme la FP 001. On a été obligé de changer parce qu’il y avait déjà un label avec ce nom et que, même avec Internet, nous ne nous en étions pas rendu compte. Au départ, l’idée est venue de Flavien, un des deux membres de [kataplimik]. C’était surtout pour offrir une structure d’organisation de concert des groupes du label d’abord mais aussi à la diffusion au média et également un support plus administratif. En plus de ça, quand c’est possible, on aide à la production de vinyle. Les groupes qui sont sur le label sont tous en autoprod’. S’ils veulent sortir un vinyle ou du merchandising comme des t-shirts, le label va apporter un soutien financier soit en demandant des subventions ou en utilisant les fonds récoltés pendant les soirées concerts organisées. Ce n’est clairement pas pensé pour faire des bénéfices mais dès qu’on peut aider, on le fait. Ça reste un label associatif mais c’est toujours cool de se dire qu’on est sur un label et d’aider sur certaines tâches qui ne sont pas connues de tous les artistes. Avoir un seul nom, un peu reconnu, ça aide aussi pour se faire connaître auprès des radios, des webzines.
Quels groupes sont sur le label en plus de [kataplimik] et vous ?
Mathieu : Il y a This Wave looks Like a Wolf. Entre nous on dit This Wave mais la condition pour sortir leur album c’était de réussir à prononcer leur nom en entier. Il y a aussi Central Massif qui y a sorti son dernier EP. Il y a aussi Korkoj avec Ronan Bedo, Frédéric Gablin et Mathieu Noblet. On fonctionne au coup de cœur. Il faut quand même d’abord qu’on connaisse les groupes et qu’on les apprécie. L’avantage, c’est qu’on est surtout deux à décider (Mathieu et Flavien) et qu’on n’a pas forcément les mêmes goûts ni les mêmes amis. Ça donne un côté objectif aux décisions et c’est déjà arrivé qu’un des deux dise non. On respecte la décision, si elle est argumentée bien sûr.
Des projets de concerts ou de disque en vue ?
Mathieu : La soirée d’anniversaire, c’est notre gros événement. On n’a pas vu plus loin pour l’instant. Nos soirées tournent surtout autour des sorties de disque et, pour l’instant, on n’a rien qui se profile parmi les groupes du label. On verra si on est contacté par d’autres groupes.
C’était déjà un nouveau défi pour nous d’organiser ça au Jardin Moderne. On a appris plein de choses. C’est vraiment très différent de faire ça dans des bars. Même si on a hâte de pouvoir y retourner.
Guillaume : Après douze ans d’existence, on se retrouve enfin à pousser la porte du Jardin Moderne, un endroit où on a énormément répété.
Mathieu : Il nous aura fallu tout ce temps pour nous sentir légitime à la faire.
Nos photos de la soirée du au Jardin Moderne :