[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #13 : Un roman noir congelé importé de Sibérie par Caryl Férey

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ?  Marre des jauges, des infos sans filets, des conjonctions, des injonctions, ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans vergogne dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Direction le champ glacé des mines de la Sibérie, où Caryl Férey nous offre à travers une fresque humaine et littéraire puissante, un roman noir congelé, « Lëd »  quand les dérives mafieuses de l’état russe, s’illustrent avec délice : comme si les droits de l’homme chers aux lumières, n’avaient pu survivre aux froids intenses des goulags.

 

Jour Sombre jeudi noir. Les radios annonçaient le jeudi 25 novembre 2021 que le Mémorial Russe déclaré ennemi de la Russie allait être interdit.

Memorial International est une ONG russe fondée en 1989, au moment de la perestroïka, pour perpétuer la mémoire des répressions soviétiques, la mémoire des Goulags et œuvrer à la défense des droits de l’homme en Russie.

Pourquoi le choix de Norilsk ? 

Norilsk est un lieu baigné par les vapeurs de la vodka. Il émerge de ce froid sibérien, maintenant libéré des chaînes du Goulag, des survivants broyés dans cet enfer ou confrontés à un avenir proche de Zéro degré. Une ville fermée dans laquelle il faut l’autorisation du FSB ( les services secrets russes ) pour y circuler. Il faut être complètement rincé à la vodka pour y écrire un livre, ou s’appeler Caryl Férey. Le titre du livre, Lëd , cache derrière ces 3 lettres une immense fresque de la Russie de 2021, une actualité brûlante, une vérité incandescente, un missile aussi plus puissant que les révélations des lanceurs d’alertes.

Car la vie ne fait plus de cadeaux à Norilsk, la ville de Sibérie la plus au nord est la ville la plus polluée au monde. Dans ce bout d’univers, les températures descendent sous les moins 60°C, en oubliant souvent de remonter. Un lieu quasi apocalyptique, une cité minière aux mains d’oligarques russes, que Caryl Férey a justement choisi pour instruire le plus tranchant des réquisitoires contre le délabrement d’un pays, rongé par la fraude généralisée, la pègre, la pollution, la violence…

L’enquête
L’enchaînement des enquêtes sur les deux premiers morts tisse une intrigue policière finement ciselée, à la rencontre de personnages sensibles, cassés mais attachants. Derrière les acteurs du drame dans ce lieu oublié, apparaît en perspective un projet universel et si actuel : espérer l’impossible, le respect des droits humains !

Le premier cadavre est un Nénet. Les Nénets forment une minorité comme les Samis en Norvège, une ethnie autochtone de l’Arctique vivant de l’élevage des rennes. Les faire disparaître est un jeu d’enfant, Où sont-ils ? Ont-ils seulement une identité ? Une CNI ? Quel est leur pays ? La reconnaissance des minorités est encore loin d’être réalisée ici en Russie, comme en Australie. Cet écho donné par Caryl Férey est déjà une forme de reconnaissance nouvelle, courageuse et inattendue.

Le deuxième crime nous transporte dans les mines de Nickel, cité devenue un lieu irréel aux mains d’oligarques russes. La jeune Valentina retrouvée surgelée était une militante écolo cherchant à mettre en évidence toutes les formes de nuisances causées par l’exploitation du Nickel, puis à informer toute la cité de leurs conséquences sur la santé. La cité minière représente près de 4% du total du PNB de la Russie. Dans ces froids extrêmes, il est trop facile de soustraire une partie du butin, stocké dans des hangars où l’air que l’on respire est hautement toxique.

Le combat le plus délicat à mener sera celui de Gleb. Le mineur-boutefeu devra effacer son homosexualité, cacher ses émotions, et protéger son ami. Au moindre soupçon, les homosexuels sont placés en prison, devenant des jouets de torture, pour les autres détenus. Gleb Berensky, est le mineur chargé de poser les explosifs. Le travail est inhumain et les cadences infernales. Surdimensionnés, les marteaux-piqueurs ne sont même plus à taille humaine.

La profondeur du récit et la précision chirurgicale de Caryl Férey pour disséquer les rouages complexes des fraudes laissent cependant une place à la vie de cette communauté. Souvent contraints de rester à Norilsk comme piégés par la glace, les anciens prisonniers des Goulags côtoient parfois leurs bourreaux. La virtuosité du style de Caryl Férey capte des personnages bien plus colorés que la grisaille qui les entoure. Leurs sentiments sont puissants, et leur sensibilité affleure à tous moments. Leur solidarité s’exprime avec violence, dans une spontanéité gratuite. Sous la plume de Caryl Férey,  Dascha devient la femme en bleu car la couleur de ses cheveux doit exprimer une forme de bonheur. Son drame sera d’autant plus douloureux que Boris le policier aura imaginé la pire des machinations pour faire de son mari disparu un picoleur impénitent.

Lëd / Caryl Férey
Edition Les Arènes (14/01/2021)

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