[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #15 -La Géante par Murielle Magellan

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ?  Marre des jauges, des infos sans filets, des conjonctions, des injonctions, ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans vergogne dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Et c’est sur une fable de Murielle Magellan que nous mettrons la lumière aujourd’hui.

Géantes Fiction de Magellan

Avec une inventivité séduira les apôtres de la fiction comme Marc Petit, Murielle Magellan, nous raconte la vie de Laura, une femme, engagée, tenace, audacieuse aux multiples talents. Un savant dosage de réalisme et d’un peu de surnaturel accompagnent cette fable chargée de démasquer les faux amis. Les uns sont les anges, les autres des rapaces virils avides de conquêtes dérisoires.

Un chapitre sur deux, Laura cède la place à Murielle en miroir, elle se raconte alors dans son journal intime et double la fiction du récit de sa genèse. Ce dialogue est magique, comme un échange entre réalité et fiction. Le personnage, Laura Delabre, passionnée de japonais, apprend que dans la ville où elle vit est organisée une rencontre avec Takumi Kondo, l’un de ses auteurs favoris. Mais voilà qu’elle doit remplacer au pied levé l’animateur de la rencontre, bloqué dans le train. Elle y réussit à merveille et rencontre un succès inattendu. Qui a pour étrange effet de la faire grandir… dans tous les sens du terme ! Quant à Murielle, qui cherche le sujet de son prochain roman, elle relate sa rencontre avec Andreï Makine à La grande Librairie, qui lui conseille d’écrire un livre… sur une femme privée de beauté parce que vieillissante !

Insolente et burlesque Murielle Magellan égratigne les hommes, fussent-ils des immortels, dans une magistrale fiction qui a suggéré à notre chroniqueur l’idée d’une lettre adressée à l’autrice, histoire de jouer encore avec les mises en abymes.

Chère Murielle Magellan,

J’ai souhaité vous parler en direct, pardonnez mon audace. Vous êtes Laura la géante, le personnage central, la spécialiste du Japon, et au final vous suggérez aux femmes de se débrouiller seules dans la vie. Vous avez eu l’heureuse et même la lumineuse idée de créer une Laura magnanime et pleinement libre. Les grandes romancières, celles qui tricotent de la pure fiction sont imprévisibles (à la façon d’un Andréï Makine angoissé par la vieillesse ; pour lui, le seul et unique drame d’une femme serait de vieillir !).
Comme Laura, je vois en vous le futur du féminin, le devenir des femmes. Souvenez vous comment vous parlez de Laura : « On semble s’habituer peu à peu à sa dimension grandissante, à son influence… »

Le parcours de Laura, votre double, est étonnant et si funeste que, de la gloire au désastre, on s’interroge sur une ascension fulgurante, suivie par le chaos. Symboliquement, le Grand CDI est devenu un tout petit CDD. En romancière avisée vous ne faites pas de cadeau. Et Laura de hurler : « Tu te rends compte que c’est terriblement injuste, j’ai travaillé beaucoup plus que stipulé dans mon contrat. »

Le grand écrivain japonais Takumi Kondo, vous a écrit une magnifique lettre, dans laquelle figure un poème de l’odieux et génial Baudelaire :

« J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme au pied d’une reine un chat voluptueux.
J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux,
Deviner si son cœur couve une sombre flamme. »

Vous n’avez jamais baissé les bras, et vous avez passé tant de temps à lire. Vous êtes émerveillée d’apprendre que cette langue parlée est devenue le japonais littéraire classique. Le Dit du Genji relate ainsi la vie d’un jeune prince séduisant, amoureux des femmes. Vous admiriez alors « la prodigieuse finesse psychologique d’une romancière japonaise. »

Je suis tombé de mon oreiller, quand effrayé, j’ai lu le discours de Flaubert sur la poésie de Louise Colet : « Écrire est un acte viril, avec pour seul but noble la recherche esthétique. » Quant à la beauté selon lui les femmes y sont insensibles. Quel mufle ! Marguerite Duras dont le vin est béni des dieux (le Duras, célèbre vin du Haut Marmandais) lui donne la meilleure des répliques : son silence. « Savoir entendre le silence, le comprendre, il en est incapable le sot ! ». J‘ai d’ailleurs découvert amusé, sous la plume de Gustave, comment discerner une phrase femelle, car « une phrase mâle est saillante. »

Auprès de Laura, votre personnage, un homme du nom de Eliezer aimerait montrer ses photos et « montrer que la beauté l’emporte sur la peur ». Vous lui avez ouvert votre porte : était-il un ange ? La grande victoire d’Eliezer serait que beaucoup d’hommes viennent et constatent avec lui à quel point la grandeur de Laura est une chance pour l’esthétique et le désir et non l’inverse.

Je voulais vous dire, qu’à travers vos audaces, j’ai mis un visage sur l’Indicible, un visage qui s’invente au féminin. Une fois encore votre talent de romancière nous offre de grandes surprises et de délicieux moments de lecture.
Bravo Chère Murielle !

Géantes / Murielle Magellan
Editions Mialet Barrault
Paru le 18 août 2021
286 pages
ISBN : 978-2-08-021994-7
Prix indicatif : 19€

 

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