La Carte Postale : rendez vous littéraire avec la réalité du gouvernement de Vichy

La Carte postale est le sixième roman d’Anne Berest. Fruit d’une enquête menée collaborativement avec sa mère Lélia Picabia à partir d’une énigmatique carte postale, ce récit intime et familial reconstitue l’histoire de ses aïeux morts en déportation et constitue un grand rendez vous avec le passé de Vichy. Ce roman a remporté le Prix Renaudot des Lycéens 2021.Famille juive Rabinivitch

Tout commence par quatre prénoms posés d’une écriture maladroite, sur une carte postale déposée chez Lélia ce lundi 6 Janvier 2003. Ces quatre prénoms sont ceux de ses grands parents maternels, de son oncle et de sa tante morts à Auschwitz en 1942. « Ma mère a eu très peur, mais qui a pu m’envoyer cette horreur se demande Lélia ? » : Anne a vu les mains de Lélia, sa mère, se mettre à trembler.

L’énigme 

A la lecture de la carte postale, des faisceaux de questions se mettent à germer, des plus simples aux plus graves, des plus menaçantes aux plus éphémères. « Elle n’est pas toute jeune la carte, elle a au moins dix ans ! ».

Les choses en seraient restées là sans les révélations de Lélia à sa fille. Une boîte verte tâchée de noir, comme recouverte de cendres et de poussières, s’ouvre alors sur un récit hybride, celui de la famille Rabinovitch, une histoire encore éparpillée. On y trouve Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques, mais il manque Myriam.

Quelques boîtes sont en file d’attente prêtes à livrer des secrets ou avouer de longues lacunes, des blancs aussi noirs que les disparus des camps de la mort. Qui a transmis cette carte, d’où, pour dire quoi ? Pour faire renaître quelle terreur ?

La puissance de ce livre est là, juste à hauteur de lecture, car ces destins uniques seront bouleversants et impitoyables.

L’enquête 

La famille Rabinovitch est russe. Ils arrivent en France en 1929 depuis la Lettonie. La famille Rabinovitch de religion juive, non pratiquante est heureuse de s’installer à Paris. En 1929, elle est fière de découvrir la tour Eiffel. Ils cultiveront l’excellence, les enfants seront brillants à l’école. Mais leur naturalisation leur sera refusée. Pour autant, ils resteront confiants. Plusieurs fois, des amis les supplieront de partir. Mais ils font confiance ! Une confiance qu’ils ne remettront jamais en cause. Pourtant, les lois du gouvernement de Vichy seront nombreuses, progressives et de plus en plus restrictives. Rien ne sera laissé au hasard…

Pour comprendre et mener cette enquête, c’est l’ensemble des pistes et l’enchevêtrement des dates et des lieux qu’il faudra dénouer… Comment retrouver les traces en 1940 de ces étrangers vivants en France depuis plus de 10 ans ? Qui sont-ils ? Ils ne sont pas connus, mais sont-ils déclarés? Où et sur quels registres ? Sont ils salariés? Une réponse administrative devait tomber en 1941. Ils devront tous se déclarer à la préfecture. S’ils ne se sont pas déclarés, ce sera la prison puis l’expulsion. Mais vers quelle destination ? Les archives à ce sujet seront largement détruites et épurées.

Un long travail de fourmi 

Le récit de Lélia est le travail de toute sa vie. Un travail entre devoir de loyauté à l’égard des rescapés et déploiement de moyens insensés : rassembler des bribes de lettres, des photos, écrire, interroger, retrouver des amis ou des professeurs, rechercher dans les biens raflés par les services de la Préfecture..

Toutes les archives devaient être détruites mais trois départements n’ont pas répondu aux injonctions de Vichy, notamment l’Eure et le Loiret. L’administrateur du camp rédige, ce mardi 28 juillet 1942, une liste intitulée « camp de Pithiviers – personnes apparaissant avoir été arrêtées par erreur ». Sur cette liste, il inscrit le nom de Jacques et Noémie Rabinovitch. « Cette liste tu l’a retrouvée maman ? Lélia lui dit oui de la tête ».

Cette enquête menée par Lélia, puis par ses filles, Anne et Claire, est une épopée grandiose. Le déroulement des faits est détaillé avec une précision horlogère, et confirmé par des documents, des aveux, des lettres parfois insignifiantes.

Ce roman est une contribution exceptionnelle de notre connaissance de la France sous le gouvernement de Vichy. Pour Myriam la survivante, c’est surtout la connaissance douloureuse mais juste du destin de sa propre famille.

La Carte Postale / Anne Berest
Editions Grasset
Paru le 18 août 2021
501 pages
978-2-246-82049-9

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