[report] La Colonie de Vacances @ Antipode : Points Cardinaux

Samedi 19 février, nous avons eu le bonheur de revoir à l’Antipode une des aventures musicales les plus excitantes de la dernière décennie : La Colonie De Vacances. Le monstrueux combo quadriphonique a une fois de plus démontré sa puissance collective tout en confirmant la vertigineuse montée en puissance que l’on subodorait à l’écoute d’ECHT, leur excellent premier « vrai » album de composition. Retour sur une soirée à la fois joyeusement déboussolante et pourtant brillamment éclairante sur ce qu’ensemble peut vraiment dire.

Comme à chacune de leur venue dans le coin, la soirée du 19 février à l’Antipode de la Colonie de vacances a été complète en trois fois rien de temps. C’est donc dans une grande salle bien bondée et chauffée à blanc par le plaisir de retrouver enfin un des meilleurs dispositifs pour savourer le bonheur physique de la musique live, que se déroulait cette soirée du 19 février.

Tout cela va pourtant démarrer par la marine sauveteuse Claire Faggianelli, assise sur une chaise au milieu de la grande scène pour s’adresser au public. Dans un monologue simple, précis et au calme implacable, elle évoque l’insoutenable situation de celles et ceux qui risquent leur peau en traversant la mer Méditerranée en quête d’un monde un peu meilleur. Ce rappel à une réalité douloureuse mais si essentielle en ce moment est suivi d’un montage de photos de RFI concrétisant de façon fort explicite le propos.
Si dans le public, on a pu entendre à l’arrivée quelques réactions du type  « Je viens faire la fête. Je ne veux pas entendre ça. » Les personnes présentes ont été particulièrement attentives et bienveillantes à cette intervention. Certes, elle ne nous a guère remonté le moral en cette période plus complexe et angoissante de jour en jour. Pourtant, et d’autant plus aujourd’hui alors que certains s’affirment légitimes pour hiérarchiser leur solidarité, il nous a semblé assez remarquable que La Colonie de Vacances étende son sens du collectif jusqu’à choisir d’ouvrir la soirée en nous offrant une petite piqure de rappel d’un réel aussi central de notre monde contemporain.


La soirée se prolongea avec un second étonnant pas de côté. La bordelaise Julia Hanadi Al Abed s’avance jusqu’à une table installée au milieu de la salle et bardée d’un intrigant bric-à-brac ou s’entremêlent joyeusement hi tech sonore et instruments les plus primitifs. La dame travaille avec une classe certaine le son en direct en mélangeant boucles, sons naturels captés et ajouts en direct pour un set de musique concrète et électroacoustique ample et d’une grande finesse. Le son merveilleux de la grande salle de l’Antipode est le réceptacle parfait pour cette prestation qui n’est pas sans nous évoquer les délices électro-aventureux de notre bien-aimé festival Maintenant. Nous ne nous attendions pas à vivre ce soir-là le genre de moment de suspension où l’on ferme les yeux pour mieux se perdre dans des délicats entrelacs sonores subtilement spatialisés. Ce n’en fut qu’encore meilleur.

Au départ de la Colonie de vacances, il y a quatre formations distinctes. Quatre groupes qui synthétisent toute la vigueur et la vivacité de la scène post-math-noise-expérimentale du début des années 2000 :  Pneu,  Marvin,  Electric Electric et Papier Tigre. Ces quatre formations ont partagé la scène au fil d’un nombre incalculable de concerts lors desquels elles ont déployé leur énergie et leur créativité débordantes. Elles avaient même fini par faire une tournée commune durant laquelle elles changeaient l’ordre de passage à chaque date. La proposition de jouer finalement ensemble et en même temps (!) est venue de Frédérick Landier (aussi connu sous le nom de Rubin Steiner et programmateur du Temps Machine à Tours) pour un festival d’art contemporain. La première version de la Colonie de Vacances était lancée.
Au fil des concerts et du temps qui passe, les groupes ont finalement eu envie de faire appel à quelqu’un d’extérieur pour faire encore évoluer le projet. Ce fut Greg Saunier, le batteur bien barré des virevoltants Deerhoof. Il leur a composé une pièce formée de 26 courtes parties possédant une mélodie, des accords, des rythmiques mais qui laisse toutefois une grande marge de manœuvre sur leur interprétation. Une pièce sur le thème de l’écoute, sujet parfait pour un dispositif où le lien entre les quatre groupes est essentiel.

 Six années et une pandémie ont passé. Il y a eu un étrange livre/disque et une captation live des morceaux de Saunier tous les deux en 2017 chez Murailles music. Il y a aussi eu les départs successifs d’Emilie Rougier (Marvin) et Vincent Redel (Electric Electric) avec les splits de ces deux formations au passage. Pourtant l’aventure de La colonie de vacances continue et de la plus belle des manières. La nouvelle tournée de 2022 propose une disposition en quatre trios inédits avec les recrutements de Nicolas Cueille (Pyjamarama et Room 204), Rachel Langlais (Pyjamarama) et Julien Chevalier (La Terre tremble !!!, Patriotic Sunday). Ce nouvel ensemble arrive surtout en assumant pleinement l’énorme potentiel de composition du dispositif. Alors que l’idée même de figer sur disque l’esprit de La Colonie de Vacances faisait depuis le départ l’objet de vifs débats internes, voilà qu’est arrivé ECHT (Le réel, le vrai dans la langue de Goethe), album composé à douze mains et sorti chez Vicious Circle fin janvier 2022. En neuf titres d’une variété et d’une ampleur très impressionnantes, le disque réussit l’exploit de ne pas trahir la folie et la singularité de la troupe et ça sans que vous n’ayez besoin d’être équipé d’un système Hifi 4.1.

Cette réussite inespérée à ce niveau, nous avait donc méchamment mis l’eau à la bouche et nous avions donc de très hautes attentes pour cette nouvelle incarnation de La Colonie. Nous n’avons pas été déçus. La part belle est évidemment donnée aux nouvelles compositions de la bande. Le set démarre ainsi en douceur avec les petits oiseaux, la diabolique ritournelle rythmique et les cavalcades de guitares déglinguées de Z.Z.Z. suivi des déflagrations soniques pleines de chausse-trappes de Multitude of snakes, single mis en avant pour la sortie du disque. D’emblée sont posés les enjeux de ce nouvel avatar de la Colo : mettre au service d’un raffinement inédit de composition la puissance et la complicité d’un collectif visiblement ravi de retrouver les salles de concert.

Ce pari est un peu déconcertant pour les spectateurs venus chercher la puissance brute et le grand huit noisy mais extrêmement payant pour celles et ceux qui acceptent de lâcher prise et de se laisser emporter dans les courants puissants mais imprévisibles de ce bel ouragan. Si on en croit la ferveur et l’enthousiasme ravi du public de cette soirée, les seconds furent bien plus nombreux que les premiers.

On retrouve bien sûr l’immense plaisir physique à ne plus savoir où donner de la tête, des jambes et des tympans dans ces jeux où les quatre trios s’accumulent, se complètent, s’opposent avec une féroce et communicative jubilation. Pendant une bonne heure et demie qui passa comme l’éclair et une bonne quinzaine de morceaux, les musiciens vont faire une épatante démonstration de la nouvelle puissance de cet orchestre surpuissant et solidaire. La symétrie du nouvel équilibre entre les quatre combo guitare/basse/guitares est à peine troublé par quelques chants ou nappes synthétiques et c’est au milieu d’un redoutable ensemble que l’on se trouve projeté.

Attention cette nouvelle cohésion et cette montée en puissance ne se fait pas au prix de la réjouissante complicité qui rendait l’expérience encore plus chaleureuse. Comme précédemment, nos joyeux monos se guettent, se font des signes et les clins d’œil, les «Oups, j’ai raté ça !» et autres sourires amicaux se multiplient. Au fil des morceaux, le dispositif atteint pourtant petit à petit une forme à la fois stupéfiante et modeste d’utopie orchestrale Rock’n’Roll égalitaire, exaltante et assez émouvante au final.
Le set se boucle sur un long rappel en quatre temps durant lequel on savourera l’épatante montée en puissance de la triplette de morceaux du disque :  Spectral, Alex Weir (le guitariste dingue des Talking Heads) et Les chiens avant un monstrueux morceau final tout en puissance laissant tout le monde aussi extatique qu’exsangue.

On ressort de là heureux et conscient du privilège qu’il y a à suivre dans d’aussi belles conditions les mues successives de cette belle aventure. Vivement la prochaine Colo.

Notre galerie photo de la soirée :
La Colonie de Vacances @ Antipode Rennes 19 02 2022

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