[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #20 : Une bête au Paradis de Cécile Coulon

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ?  Marre des jauges, des infos sans filets, des conjonctions, des injonctions, ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans vergogne dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Et c’est sur une histoire de famille et d’attachement à la terre, construit comme une tragédie grecque de Cécile Coulon que nous mettrons la lumière aujourd’hui.

Une bête au Paradis

Voila deux semaines que Pierre Rabhi nous a quitté, paysan et écrivain, il suivait avec bonheur les chemins pierreux de l’Ardèche, en plaidant pour une sobriété heureuse. Cécile Coulon s’inscrit à la suite de Jean Giono ou de George Sand, dans cette lignée des écrivains de la terre. D’autres écrivains comme par exemple Serge Joncour, à travers Nature Humaine, participeront à la connaissance de ce monde paysan. Ici, la terre des collines est un espace rebelle, hostile. Suivre un chemin sinueux pour atteindre la ferme au nom évocateur de Paradis est un espoir un peu fou pour Émilienne.

Le jour où les parents de Blanche et de Gabriel sont emportés par un accident de voiture, Gabriel est âgé de 3 ans et Blanche de 5 ans. Ils trouveront auprès d’Émilienne un attachement puissant, une filiation indestructible  » un arbre fort aux branches tordues ». Petit, Gabriel est secoué par sa colère, ses cris s’apaisent, quand son corps meurtri, tombe alors dans le sommeil. Parfois, Émilienne doit pousser l’enfant dehors où il finit par épuiser ses larmes, perdu d’avoir tant cherché, quelqu’un, sa mère.

Un attachement puissant à cette terre

Blanche, est à la recherche d’un Amour Absolu, semblable à l’amour d’une mère. Dévastée par ce drame, elle trouve un peu d’apaisement au contact de cette terre qui lui a pris ses parents. Le Paradis s’imprime dans son corps, corps et âme : la ferme est son premier amour, la personnalisation affective de sa mère ; les animaux de la ferme sont sa propre famille, car on se raccroche à ce que l’on connaît le mieux. Entre les poules et les cochons, Blanche éprouve sa force et son attachement à la terre. Louis, cet enfant battu et recueilli par Émilienne, aurait pu épouser Blanche et ensemble, ils auraient pu écrire une autre destinée.

Mais le cœur de Blanche, s’attache à Alexandre. Le jour de l’abattage des cochons devient sous la plume de Cécile Coulon le jour où leurs ébats couvriront les cris des bêtes suppliciées, et ouvriront un tout autre futur. Scène de tragédie, à l’image de Phèdre et des grandes figures de la Grèce antique, le caractère de Blanche, s’affirme sans pudeur, « ça fait mal comme de marcher sur une braise ». Ce jour est sa naissance à l’amour, aimer un homme, projeter un futur, désirer une vie entière à ses côtés.

La trahison, un conte cruel entre amour et folie

Le retour d’Alexandre au village, après douze années d’absence, fixe comme un projecteur, les fissures que la vie a fait naître. La vieillesse d’Émilienne et ses pépins de santé, ébranlent Blanche et Gabriel ses petits enfants. Alexandre rêve de devenir promoteur, sans doute en imaginant déployer ses projets depuis le chemin sinueux réhabilité et bien asphalté, pour le mener jusqu’au Paradis parmi ses futures acquisitions immobilières. Alexandre n’est plus là pour Blanche.

Louis veille et Blanche comprend qu’il est peut-être déjà trop tard.

La voix de la terre. La voix de Cécile Coulon

Cette voix coule comme une terre fluide, elle est vivifiante et amoureuse. Celle d’Alexandre est pierreuse, vénale. Louis ne cesse d’alerter Blanche : « Alexandre n’était pas un garçon de grange, d’œufs, de cornes, Alexandre n’était pas un garçon de marécage, de lisier, de grenouilles, Alexandre était un homme impatient dont les rêves dévorants dépassaient les contours du Paradis ».

Gabriel et Aurore s’affirment et se préparent à partager leur vie. La délicatesse d’Aurore est si forte et si apaisante que Gabriel, peu à peu, écarte ses colères : « Aurore comprenait qu’elle ne soignerait pas Gabriel, qu’il y avait en lui un arbre noir depuis l’enfance, que la mort de ses parents avait arrosé de colère ; elle ne pouvait pas le tomber, cet arbre, seulement couper quelques branches quand elles devenaient trop encombrantes. Elle le rafraîchissait, le frictionnait de ses mots et de son sourire, elle le secouait pour que tombent de son âme des feuilles mortes et des fruits empoisonnés. »

Les images distillées par Cécile Coulon amplifient une écriture lumineuse et d’une précision bouleversante, comme ce gris de terre. La terre n’est jamais grise, mais ici l’image devient subtile et puissante : « Ses yeux disparaissaient, enfoncés dans les rides qui les mangeaient, rivière jamais rassasiée. Le vert si dur, si beau de ce regard avalé par le temps se transformait en gris, un gris de terre, un gris de jument, un gris qui ternissait tout, amplifiait les petites peurs, les angoisses sans importance. »

Une bête au Paradis / Cécile Coulon
Editions L’Iconoclaste
Paru le 21 août 2019
347 pages
ISBN 978-2-37880-078-9
Prix indicatif : 18€

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