Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Cette 19ème étape nous mène dans les landes du Médoc avec le très beau recueil de nouvelles impitoyablement sensibles de Yan Lespoux.
Un livre préfacé par l’indispensable Thomas Le Corre ne pouvait qu’attirer notre attention. Dans son texte liminaire, l’auteur de polar bordelais nous explique fort justement que quand on parle de Médoc à la plupart des gens, il leur vient principalement des images de vignobles prestigieux et des noms de grand crus classés. Ce n’est pourtant pas de ce Médoc là dont parle la trentaine de nouvelles de Presqu’îles de Yan Lespoux. Ces courts textes, séparés mais ne formant pourtant qu’un tout entremêlé, évoquent plutôt les landes du Médoc et la pays de Buch. Lespoux nous parle d’un territoire de forêts ensablées, de côtes et de dunes, gagné sur les marais à force de plantations de pins, des terres de villégiature, désertes l’hiver et blindées l’été, des terres hantées par l’eau traitresse, celle de l’océan et des marécages qui n’ont pas dit leur dernier mot.
Dans une écriture vive et incisive, l’auteur saisit une galerie de personnages tiraillés entre attachement viscéral et envie de fuir jambes à leur cou. En équilibre instable mais cependant très maitrisé entre tragique et drôlerie, l’auteur utilise habilement des motifs récurrents : le secret d’un coin à champignon, le bordelais (c’est une sorte de parisien mais sans l’accent), la chasse, le premier noyé de l’année… pour donner forme à un monde à la fois singulier et terriblement universel. Cela faisait fort longtemps que nous n’avions pas lu une série de nouvelles aussi uniformément maitrisées que ce soit dans leur rythme que dans leur chute. De la première à la déchirante ultime ligne, le livre ne souffre d’aucune baisse d’intensité malgré (ou grâce ?) à sa grande variété de tons. Au fil des pages, on croisera ainsi un tracteur enjambeur garé sur le parking du Dixie, seule boite de nuit de la station, une vengeance incendiaire, la beauté fulgurante et hautaine d’un cerf, une poursuite entre un planteur de cannabis et deux petits malins venus lui faucher sa récolte, un cambriolage qui tourne mal, un concert des Pogues fantôme… des histoires de rupture et de passation, d’héritage impossible, de lumière et de deuil. On croisera surtout la naissance d’un véritable écrivain et c’est suffisamment rare pour ne pas la louper.
Presqu’îles de Yan Lespoux
paru 21 janvier 2021 chez Agullo Court
ISBN 979-10-95718-90-1
192 pages – 11,90 €
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