[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #18 : Goinfreries vintages pour Noël

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! J-7 avant les sacro-saints repas de Noël. Avez-vous trouvé de quoi composer votre menu ? et si on jetait un œil sur ces vieux bouquins de cuisine vintage aux photos et commentaires incroyables ? 

Les bouquinistes ou recoins littérature chez Emmaüs regorgent de trésors littéraires et culinaires cachés. J’en veux cette collection de livres de cuisine vintage qui s’entassent sur un rayonnage de ma bibliothèque. Etendards du monde culinaire d’avant – et parfois de sa bienséance surannée -, ces livres regorgent de recettes oubliées et de photos qui déchirent la rétine. A l’heure où il est bon ton de « décroître » et de ne pas acheter neuf, et si on s’inspirait de ces pages poussiéreuses pour composer un menu ?

Le cocktail

C’est Monique Guillaume qui va nous servir de guide !

Ainsi que la Vè partie « Les plaisirs de la table volante » de l’ouvrage L’encyclopédie de la grande et de la petite cuisine (Editions Rombaldi, 1959).
Au programme, un cocktail au gobelet à mélange : Le Lorraine (1/2 gin, 1/2 Dubonnet – pour faire honneur aux Rennais et à sa place Ste Anne-, 1 zeste de citron). Un cocktail « très à la mode dans la société cosmopolite » selon Monique !

Le foie gras ou pas

Puisqu’il est de bon ton – paraît il – de passer Noël entre un foie gras et un sapin, tâchons de trouver une toute autre proposition. Que diriez-vous d’un pigeonneau à la crapaudine ?  C’est L’Art Culinaire Français (Flammarion, 1959) qui régale ! 3760 recettes et conseils, 280 gravures en noir, 420 sujets en couleurs, des recettes de cuisine, de pâtisserie, de conserves, de cuisine régionale et étrangère sur plus de 1000 pages. Ce gros pavé de la fin des années 50 fut composé par les plus grands cuisiniers de l’époque tel que Ali-Bab, A.Escoffier, Prosper Montagné, H.P Pellaprat, Urbain-Dubois, Darenne et Duval, Philéas Gilbert, André Guérot et bien d’autres. Les photos sont succulentes de kitscheries !

Mais attention, on ne rigole pas avec la rigueur gastronomique ! Pas question de fendre votre pigeonneau par le dos comme pour le poulet grillé ! « C’est une méthode erronée et qui ne justifie pas la dénomination « à la crapaudine ». On doit procéder ainsi : « Rentrer les pattes dans le ventre, puis fendre l’oiseau depuis la pointe d’estomac jusqu’aux ailerons, ce qui constitue deux parties, la carcasse (ou dos) d’un côté, l’estomac de l’autre, reliés par la charnière des ailerons et, ainsi préparée, la pièce affecte la forme d’un batracien ». 
Après ces quelques manipulations anatomiques, attaquons la recette proprement dite : « assaisonner de sel et de poivre, badigeonner de beurre fondu et faire raidir au four. Ensuite, paner les pigeons avec de la chapelure fine, arroser de beurre fondu et cuire sur le gril à feu doux. Dresser sur plat bordé de cornichons et de demi-tranches de citron cannelées. Pomme paille sur les côtés. »

Un poisson

Impossible d’échapper aux conseils de Henri-Paul Pellaprat sur ce sujet ! Né en 1869 à Paris, il exerça dès l’âge de 12 ans dans de nombreux restaurants prestigieux de la Belle Epoque. Il lança en 1930 le Train des Poissons, qui partait de la gare de Lyon, à Paris, jusqu’à Marseille, en multipliant les arrêts pour inciter les Français à manger plus de poisson. Le Poisson dans la cuisine française (Flammarion, 1975) comporte 520 recettes et 80 gravures consacrées aux produits de la mer. Mais le chef gastronome vous met en garde dans l’avant-propos : « Il ne faut jamais beaucoup de vin dans un plat de poisson, mais si l’on y met une vulgaire piquette, on ne peut prétendre au même résultat qu’avec un bon Beaujolais ou un Médoc ; pas plus qu’avec de l’étoffe inférieure vous ne pourrez prétendre avoir un beau costume. »

Une allitération culinaire de petite truite saumonée sauce mousseline ravirait-elle vos papilles ? « La truite se cuit entière au court-bouillon, se dresse sur serviette avec persil et bordure de citron. On peut la dépouiller, mais ce n’est pas obligatoire, sa robe d’argent lui faisant une très jolie parure. On sert à part une sauce mousseline ou hollandaise et des pommes de terre à l’anglaise. On peut enjoliver la présentation en piquant sur le dos de belles crevettes rouges. En Angleterre on sert une salade de concombre avec truite et saumon même chauds. »

Une volaille

Voilà une recette qui porte un nom bien étrange : la poularde demi-deuil à la lyonnaise. Elle est issue du livre « phare » pour les ménagères des années 60 : La Cuisine familiale (Editions de Montsouris, 1968). Une édition qui a fait ses armes dans le roman-feuilleton avant de s’attaquer à la cuisine qui fleure bon le sexisme rance et le patriotisme nauséeux dans sa préface : « La femme française sait d’instinct bien cuisiner, suivant les traditions qui firent le renom de la table française. Ce qu’il faut, c’est moins un formulaire rigoureux à appliquer servilement qu’un guide, qui, sur des bases expérimentées, oriente, stimule son esprit et on ingéniosité ; un guide qui, avec le minimum de dépenses, de gaspillages et de perte de temps pour le maximum de profit et de plaisir aussi, lui permette de remplir au mieux sa mission de pourvoyeuse de besoins familiaux, de gestionnaire des ressources du ménage, de « providence » du foyer. » 

Trêve de badinerie, comment cuisiner cette poularde entre les deux rives du Styx ? Sachez avant tout chose, que ce plat est réputé dans la région lyonnaise et se sert chaud ou froid. Il vous faudra « une belle volaille de préférence de Bresse de 1,8 kg environ. Coupez des lamelles de truffes et glissez-les sous la peau en réalisant un motif de décoration si vous êtes habile. [Et pour les autres, démerdez-vous, mais ce sera moche, comme un pull de Noël]. Enveloppez la volaille dans un linge fin et ficelez-la légèrement ; mettez-la dans un pot_au_feu de légumes et faites bouillir 25 mn. Vous la laissez ensuite dans le bouillon pendant 20 mn. Vous pouvez la servir chaude, accompagnée de bouillon amélioré d’un peu de beurre et de menus morceaux de truffe hachés. Vous pouvez aussi la manger froide en la recouvrant d’une mince couche de gelée et en terminant avec de la gelée découpée en motifs pour terminer la décoration de votre plat. » 

 

La bûche

Elle sera de Noël parce que c’est de saison. Et c’est Ernest Pasquet qui le dit dans La Pâtisserie familiale (Flammarion, 1958). Un classique de la littérature culinaire qui a sans doute été le livre de référence de plusieurs générations de gourmands. 700 recettes qui vont des gâteaux, aux petits fours, aux entremets, en passant par les glaces et les confitures ainsi que les confiseries et les boissons. Une source inépuisable de recettes comme le gâteau de Messine ou les petits pains à la pistache, les macarons au chocolat ou les madeleines de Commercy, les navettes à la cannelle ou les galettes de Saint-Malo. Avec photos vieillottes à l’appui !

Pour cette bûche de Noël, il vous faudra donc un biscuit roulé à garnir avec une crème au beurre ou au café. « Après l’avoir roulé [pas sous les aisselles, enfin, vous faites comme vous voulez !], couper les deux bouts en biseaux. Mettre ce rouleau sur le plat de service la soudure du biscuit dessous. Avec un peu de crème au beurre blanche que l’on aura réservée, faire 2 gros choux à l’aide d’un cornet en papier, les placer sur la bûche pour former les nœuds du bois. Avec une poche munie d’une douille cannelée à grosses dents, garnir la bûche  avec la crème au beurre choisie, sur toute la surface en tirant d’un bout à l’autre sans régularité pour imiter autant que possible l’écorce du bois. Bien entendu les nœuds seront également recouverts. Avec un petit couteau trempé dans l’eau chaude, faire une entaille dans les nœuds pour imiter la coupe. Saupoudrer légèrement la bûche avec du sucre glace pour imiter la neige. » 

Quelques conseils utiles ou « Le savoir-vivre » de la Table

Autant les recettes de ces vieux livres vintage peuvent s’accommoder de nos pratiques culinaires actuelles, autant les « recommandations sociétales » sont des capsules de conseils plus décalés et dépassés les uns que les autres.

Le Savoir-Cuisiner des femmes d’aujourd’hui – Tome VI (Editions Femmes d’Aujourd’hui, 1959) est donc un condensé de ces conseils vaguement rétrogrades. « Rappelons que c’est soit la maîtresse de maison, soit les invitées par ordre de préséance, qui sont servies en premier lieu, le maître de maison est servi le dernier. S’il y a des enfants, bien entendu, ce sont eux qui seront servis les derniers. »
Et pour ceux dont les repas de famille finissent en pugilat à cause de sujets sensibles (vaccination or not et/ou souffrance animale et foie gras, par exemple), suivez un conseil fort à propos : [La maîtresse de maison] « veillera également à ne pas couper une conversation, quitte – si celle-ci est très animée et risque de se prolonger – à suggérer : « Voulez-vous que nous continuions cette passionnante discussion au salon ? »

Dernier conseil odontologique de toute beauté : « Si un brin de viande s’est malencontreusement inséré entre les dents, supportez-le avec stoïcisme : n’essayez pas, même avec discrétion, de le déloger. L’usage des cure-dents n’est pas admis en société. » 

« Que ton aliment soit ta seule médecine » Hippocrate, 460-370 av. J.-C.

Rabelais a posé à la Renaissance les bases de la gastronomie. Raymond Oliver, élève d’Henri-Paul Pellaprat à l’école du Cordon Bleu, a assuré cette relève. Il est notamment connu pour sa création, en 1954, de la première émission de télévision consacrée à la cuisine, Art et magie de la cuisine, animée pendant 13 ans avec Catherine Langeais.

La Cuisine du Bonheur est un ouvrage étrange co-écrit par Raymond Oliver et Edouard Longue (Casterman, 1964). Ce dernier est présenté comme physicien et physiologiste, auteur d’une célèbre série des yogas adaptés à l’Occident. Les recettes sont présentées de façon très lacunaires au bénéfice d’une focalisation sur les « techniques familiales ».

Vous vivez en couple ? Tremblez ! Le chapitre IV est intitulé « La cuisine pour le conjoint ». Mesdames, encore une fois, c’est à vous qu’il revient d’investir les fourneaux ! « Revenons à Lui (qui peut être Elle, lorsque le mari fait la cuisine, par inclination ou par nécessité d’horaire professionnel de l’épouse). Nous avons déjà vu comment les goûts peuvent se confronter et s’harmoniser, dès la lune de miel. Ensuite, les enfants sont venus, instituant l’obligation des menus passe-partout et « polyvalents ». C’est l’époque où celui des époux qui-ne-fait-pas-la-cuisine se sent frustré, oublié. Les petits plats intentionnées et relevés du début de mariage sont plus rares : un peu à cause des charges familiales accrues ; un peu, aussi, parce que l’imagination du conjoint-cuisinier tend à s’émousser ». 

Vous êtes célibataire ? vous ne prendrez aussi pour votre grade dans le chapitre « Les rythmes de l’être qui mange seul » : « Ils sont trop souvent machinaux, imprimés par la vie sociale et incohérents dans la vie privée. Le célibataire prend un repas de midi au restaurant ou à la cantine, puis laisse s’étioler l’esprit de son repas du soir. La plupart du temps, il ignore la plus riche des possibilités de son dîner : celle de ne plus être soumis à l’horloge. » 

En guise de conclusion

Vous mangerez bien surtout ce qui vous fait plaisir à Noël, seul ou accompagné, avec ou sans sucre (le dernier diable du moment), en mode liquide ou solide. On tâchera de notre côté de continuer à vous abreuver de nourritures intellectuelles. Et bon appétit, bien sûr !

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