Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Direction l’Italie et Gênes pour cette 14è proposition. Mais oubliez, le soleil, la douceur de vivre et la dolce vita ! Et dites plutôt bonjour aux lacrymos, aux matraques et à la violence sordide.
Juillet 2001, Gênes (Italie) : « Les habitants de Gênes ont fui ou se terrent chez eux. La ville est déserte et l’état de siège a été proclamé. » Sous le soleil italien se joue un sombre ballet. La ville est quadrillée, verrouillée par la police et le quartier du Palais Ducal se transforme en bunker. Face aux forces de l’ordre, environ 25 000 hommes déployés, 300 000 manifestants entre pacifisme et violence. Et au milieu, le sommet du G8 rassemblant la fine fleur politique de l’époque : le Premier ministre canadien Jean Chrétien, le Président français Jacques Chirac, le Chancelier allemand Gerhard Schröder, le Président du Conseil italien Silvio Berlusconi, le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi, le Premier ministre britannique Tony Blair, le Président russe Vladimir Poutine, le Président des États-Unis George W. Bush et les présidents de la Commission et du Conseil de l’Union européenne Romano Prodi et Guy Verhofstadt.
Frédéric Paulin convoque dans cette Histoire avec un grand H des personnages de fiction qui tisseront un fil rouge pour nous conter les violences et exactions de ce sommet du G8 : Chrétien Wagenstein, dit Wag, est rennais et militant LCR. Fou amoureux de Nathalie Deroin, une anarchiste convaincue de la violence pour la violence et qui porte haut et fière les volontés des Black Blocks, il n’ose lui avouer qu’il est devenu indic pour la DST, représentée par Cazalon et Mélanie Martinez, deux flics infiltrés par leur hiérarchie spécialement pour ce sommet du G8. On croise aussi Génovéfa Gicquel, jeune journaliste au Journal du Dimanche qui fuit un fiancé pressé de fonder une famille. Elle, elle a plutôt des rêves de carrière comme reporter de guerre sur le terrain, au plus près de l’actu. Elle croisera la route d’Erwan, photographe baroudeur en mode free-lance. Ces six personnages vont se toiser puis s’épauler, s’entraider, s’engueuler dans le dédale des rues génoises. Dans l’ombre, deux personnages tirent les ficelles : Laurent Lamar, conseiller en communication auprès du président Chirac, et un fasciste sur le retour, Franco de Carli, conseiller à la sécurité au Ministère de l’intérieur italien et chargé du bon déroulement du sommet à Gênes par les hautes sphères politiques de la Botte.
Nous voilà donc, sous la plume de Frédéric Paulin, plongés au cœur d’une ville sous haute tension, entre la colère des altermondialistes qui viennent de perdre l’un des leurs, tué par balles au Sommet des Quinze à Göteborg et l’envie d’en découdre des forces de l’ordre italienne hautement contaminées par les idées nauséabondes des deux partis aux relents fascistes, Alliance nationale et Ligue du Nord, au pouvoir sous Berlusconi.
Gênes est bouclée, quadrillée, surveillée par des hélicos ; les rues sont fermées, les vitrines sont barricadées, les chars policiers effectuent des rondes, les contrôles sont légions. Bref, la ville sent le souffre. De l’autre côté, les manifestations pacifiques dégénèrent, les courants politiques des factions s’opposent et se livrent bataille. Les premières dégradations ont lieu. Et quand le chien de faïence se brise, c’est toute une ville qui est mise à feu et à sang. La police, hors de contrôle et menée par le bout du nez par des politiques qui veulent juste en découdre, se déchaîne dans une violence animale et primitive. En face, les manifestants bouillonnent et la manif aux étendards pacifiques (mais pas que) devient du combat de rue. La mort de Carlo Giuliani, jeune manifestant tué par un carabinier, sera l’élément déclencheur d’une spirale de violences hors de tout contrôle. Les forces de l’ordre vont se déchaîner.
A tel point qu’Amnesty International qualifiera la répression subie par les manifestants pacifiques de ce sommet génois de « plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale ». Les pages s’enchaînent et nous font descendre en apnée dans les sombres recoins de la violence policière : torture et humiliations dans les locaux de l’école Diaz ou de la caserne de Bolzaneto, sévices et arrestations de manifestants, violences gratuites et blessures de guerre.
Ce roman noir est un coup de poing qui file la nausée et des sueurs froides dans le dos. Frédéric Paulin a l’art et la manière (on le sait depuis sa trilogie sur l’Algérie notamment) de lier des personnages fictifs aux grandes dates de l’Histoire et à ses répercussions. Ici, sans manichéisme, il nous embarque dans ces petites ruelles aux côtés de Wag, Nathalie, Génovéfa et Erwan. On court, on sue, on tremble, on est muet de stupeur face aux déferlements de violence des forces de l’ordre. On enrage quand on lit les démonstrations de cynisme des représentants politiques. On rit jaune face aux inquiétudes stomacales de feu notre Président de la République présent à ce sommet. On partage les inquiétudes du caporal chef Dario Calvini, membre des carabinieri, qui rugit face au déferlement de violence de ses collègues. Les derniers chapitres sont d’une violence inouïe et ne sont certainement qu’une partie immergée de l’iceberg. La nausée n’est pas loin, le sentiment d’injustice est profond.
Une lecture hautement salutaire, même si difficile. Qui sous l’apanage de la fiction nous rappelle combien cette violence est toujours là, à la fois en coulisses et sur le devant de la scène. Comme un monstre tapi dans l’obscurité, prêt à tout pour surgir régulièrement. A glisser sous le sapin, pour ne pas oublier de rester vigilants à tout instant.
Résumé sur le site de l’éditeur :
Gênes, juillet 2001.
Les chefs d’État des huit pays les plus riches de la planète se retrouvent lors du G8. Face à eux, en marge du sommet, 500 000 personnes se sont rassemblées pour refuser l’ordre mondial qui doit se dessiner à l’abri des grilles de la zone rouge. Parmi les contestataires, Wag et Nathalie sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs houleuses et se croient prêts à affronter les forces de l’ordre. Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de la Superbe est d’une brutalité inédite, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien. Et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers. Entre les journalistes encombrants, les manœuvres de deux agents de la DST, et leurs propres tiraillements, Wag et Nathalie vont se perdre dans un maelstrom de violence. Il y aura des affrontements, des tabassages, des actes de torture, des trahisons et tant de vies brisées qui ne marqueront jamais l’Histoire. Qui se souvient de l’école Diaz ? Qui se souvient de la caserne de Bolzaneto ? Qui se souvient encore de Carlo Giuliani ? De ces journées où ils auront vu l’innocence et la jeunesse anéanties dans le silence, ils reviendront à jamais transformés. Comme la plupart des militants qui tentèrent, à Gênes, de s’opposer à une forme sauvage de capitalisme.
La Nuit tombée sur nos âmes / Frédéric Paulin
Editions Agullo – collection Agullo Noir
Paru le 09 septembre 2021
272 pages
ISBN : 978-2-382-46003-0
Prix indicatif : 21,50€
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