Vivement Maintenant ! [Part II]

Amatrices et amateurs de découvertes un brin siphonnées mais toujours grandement passionnantes, rendez-vous à Maintenant, le festival autour des arts, des musiques et des technologies proposé par les doux dingues de l’association Electroni[k] pour un week end prolongé des plus excitants du mercredi 4 octobre (le soir) jusqu’au dimanche 8 octobre inclus, pour une version du festival à nouveau resserrée sur 4 jours mais toute autant foisonnante. Après un premier focus sur la programmation à lire ici, on poursuit notre tour d’horizons des alléchantes propositions du festival.

Urbanimal : chasse au trésor… en réalité augmentée !

Pour les loupiots et les loupiotes mais pas que puisqu’il faudra quand même être muni d’un smartphone ou d’une tablette (doté·e de l’application Maison Tangible AR -gratuite- que vous pouvez télécharger en suivant ce lien), Aurélien Jeanney et l’équipe de Maintenant ont concocté une chasse au trésor en réalité augmentée, Urbanimal, à faire soit de façon autonome, soit accompagné.e par les médiateurs du festival de 14h à 18 le samedi 7 octobre (prévoyez une quarantaine de minutes pour faire le parcours à pied). Pour le départ, rendez vous place Jeanne Laurent. Sur le principe du geocaching, il vous faudra suivre un parcours dans le quartier Cleunay-Courrouze (une chouette manière de ré-enchanter nos espaces urbains et de se les approprier) et trouver où sont dissimulés les huit animaux totems comme Plume l’ourse ou Oswald le pingouin par le biais de grands posters colorés. Sachant que chacun des animaux représenté sur les illustrations personnifie par exemple un métier ou un lieu précis du quartier (par exemple, Youri le serpent aime faire du sport, on ne vous en dit pas plus…). Une fois découverts, les animaux, passés à la loupe de votre smartphone et de l’application de réalité augmentée prendront vie et vous permettront de découvrir les énigmes à résoudre pour trouver la cachette suivante.  Et comme c’est une chasse au trésor, une fois toutes les énigmes résolues, rendez-vous au Théâtre du Vieux St-Étienne pour récupérer votre trésor !

Terra Australis : entre sciences et art, le chant des terres de la désolation

Pour les explorateurs et exploratrices qui aimeraient pousser un peu plus loin leurs pérégrinations, on ne saurait que trop conseiller la découverte artistique des îles Kerguelen, terres australes tout au sud de l’océan Indien, à un peu moins de 2000 km de l’Antarctique, au climat froid et venteux et au relief volcanique, par le biais de Terra Australis proposé sur quatre temps les jeudi 5 et vendredi 6 octobre à 13h et 18h à l’Université Rennes 2 (Bat. D Plateau Bourdon). On se souvient de notre découverte émerveillée de Manicouagan, réserve canadienne interdite au public sur le territoire de la nation Innue, présentée par Paul Duncombe par le biais de la performance mêlant arts et sciences (exposition et conférence) l’an dernier. On est donc impatient d’explorer les Terres Australes selon le même principe mêlant arts et découvertes scientifiques.

Dans l’Antiquité, Aristote s’interroge : « il doit y avoir une terre qui soit, par rapport au pôle sud, comme le lieu que nous habitons » (Météorologiques, Livre II, Chapitre V). Cette terre encore inconnue et déjà fantasmée, il la nomme Terra Australis. A partir de la Renaissance, ce territoire rêvé, imaginé, commence à apparaître sur les cartes et planisphères, déclenchant une vague d’explorations maritimes, conduisant entre autres à la découverte des îles Kerguelen par l’officier de marine Kerguelen de Trémarec. La scientifique canadienne Ella Daly, biologiste doctorante à l’Université de Rennes, qui étudie les invasions biologiques dans les régions polaires, a profité d’une expédition sur les îles Kerguelen pour étudier l’impact du changement climatique sur les écosystèmes terrestres et en ramener photographies argentiques (visibles dans l’exposition à l’université Rennes 2) et enregistrements sonores. Partant de ce matériau, le musicien Pierre Huygues -alias Ephère pour ses apparitions clubbing-, a recréé un paysage sonore fortement texturé, qui invite à la fois à la reconnexion avec la nature et à l’imaginaire fantasmé des terres australes. A découvrir plongé dans le noir pour voyager très loin. Mais sans bonnet et anorak…

Héron Cendré : un oiseau aussi malicieux qu’émouvant

Question voyage, nous sommes ravis qu’Héron Cendré n’ait pas suivi le départ des migrations volatiles de ce début d’automne et ait été invité à nicher au deuxième étage de la Bibliothèque des Champs Libres le vendredi 6 octobre dès 17h30 (d’expérience n’arrivez pas trop tard si vous le pouvez, c’est souvent plein comme un œuf !). Nous avions suivi avec plaisir les aventures musicales bien dingo de Grégory Hairon dans son projet/personnage Gregaldur. Il y avait mis un terme à d’un ultime et très touchant concert à l’Antipode et nous étions donc bien impatients de découvrir la suite de ses facétieuses péripéties dans ce nouveau projet il y a déjà plusieurs années. Envol réussi à la suite duquel nous nous sommes promis de continuer à suivre les migrations de ce drôle d’oiseau aussi malicieux qu’émouvant. Sur scène, le bonhomme est ainsi entouré d’un chouette bric-à-brac de claviers et autres machines étranges, d’une guitare et d’un intrigant plateau bardé de ressorts et de câbles. Ce dernier instrument, lorsqu’il est frappé de la main (ou du pied !), sert à ponctuer d’irruptions bruitistes des compositions tour à tour rêveuses, hypnotiques ou facétieuses. On retrouve la malice ludique et l’esprit aventureux que l’on apprécie tant chez le gars, avec une poétique fragilité qui ajoute encore au charme du projet. Dans la lignée des expérimentateurs lunaires et inspirés (Terry Riley, Robert Wyatt, Steve Reich, ou même Richard Dawson – le garçon, s’il ne travaille pas sur des chœurs vocaux bien secoués ou vogue davantage dans les nuées électroniques plutôt qu’acoustiques, partage en effet l’innocence héroïque du troubadour fantasque de Newcastle), Héron Cendré propose la découverte d’un univers éminemment personnel et bien souvent passionnant.

La combinatoire à combines : tout est déjà dans le titre mais pas que…

Le jeudi soir, on ne manquerait pour rien au monde la soirée proposée à l’Antipode qui réunira deux projets diablement excitants sous la forme de deux performances audiovisuelles. L’un deux, La Combinatoire à Combines, est une sortie de résidence, donc un projet (presque) tout neuf qu’on a bien hâte de découvrir. Réunissant Sacha Gattino, musicien percussionniste informaticien musical (et on en passe) dont les recherches éclectiques (du piano au côté de Mami Chan aux percussions indonésiennes Gamelan de Java en passant par de la techno en forme de vanité – au sens pictural !- et là encore on en passe des palanquées) se révèlent aussi facétieuses que passionnantes et Elie Blanchard, aka Yro, dont on est raide dingue par ici, cette performance assez inouïe se propose de mélanger dans la marmite « naturalia, artificialia, exotica, domestica [et] electronica » avec toujours une franche espièglerie qui nous ravit au plus haut point.

Partant d’un instrumentarium composé au gré des découvertes durant 25 ans mêlant « objets domestiques, d’instruments précieux, dérisoires ou ordinaires d’ici et d’ailleurs, de jouets et créations de luthiers sur mesure » dans lequel il a pioché plus de 200 spécimens (comme une cloche à griffes d’éléphant, des pommes de pin, des bols chantants ou des gongs chinois), Sacha Gattino utilise sur scène un grand lamellophone préparé en partie avec des aimants, un tambour sur cadre électro-organique joué à plat, une interface modulaire – la « table à transfert »-qui accueille de nombreux instruments et un clavier-échantillon qui sert à jouer du bout des doigts tout l’orchestre des 200 instruments -et pouce- enregistrés sous forme de « cellules, programmées, parfois réaccordées pour être rejouées, revitalisées depuis [le] clavier ». Jeu, échantillonnage, mixage et traitements numériques, tout se met en place en temps réel. Ajoutez à cela quelques pédales d’effets et surtout une programmation aléatoire venant bousculer tout ça de façon imprévisible et obligeant le musicien à réagir en direct aux sons inattendus surgissant sans son contrôle et vous aurez une petite idée du projet siphonné qu’est La Combinatoire à Combines. Auquel s’ajoute désormais la dimension visuelle assurée par Elie Blanchard dans le but de « faire vivre en images ces instruments et proposer un dialogue qui puisse sublimer l’écoute et dévoiler l’invisible sur scène » . Connaissant les talents du bonhomme, on gage que c’est déjà gagné !

In synthé modulaire we trust

Autre artiste que l’on suit depuis un moment et qu’on est immensément heureux.se de découvrir en live, Hélène Vogelsinger au nom (d’artiste ?) prédestiné nous présentera elle aussi une performance audiovisuelle le même soir à l’Antipode. Depuis sa découverte des synthétiseurs modulaires, la musicienne française a plongé tête première dans le monde des machines hérissées de câbles. On a beaucoup écouté par ici ses deux derniers albums Contemplation (2020) et Reminiscence (2021, ré-édité en 2023) tant la chaleur des sons analogiques et l’émotion qui s’en dégagent sont immersives. Nappes profondes au grain immensément chaleureux et réconfortant, minimalisme répétitif tout en subtilité, parfois accompagnés de voix lointaines, la musique d’Hélène Vogelsinger se révèle aussi prenante qu’apaisante.

Pour ces deux derniers disques justement l’artiste a choisi de renouveler son processus créatif. Elle a choisi un lieu  oublié, perdu, la gare internationale de Canfranc en Espagne, une gare désaffectée, monumentale, abandonnée, un espace fantôme au milieu des Pyrénées et à partir de photographies, de vidéos, de documentaires, de tout ce qu’elle pouvait trouver sur cet endroit hors du temps, elle a commencé à composer, à se laisser traverser par l’histoire, les énergies du lieu, à transcrire dans sa musique, ce lent effondrement, la désintégration progressive sous l’emprise des ronces et du temps. De là est né le morceau Astral Projection, qu’après toute cette projection dans l’imaginaire du lieu, elle a eu envie d’aller enregistrer là-bas directement. Làs, la gare était en train d’être rénovée et le site devenu inaccessible. Par chance, en suivant la voie ferrée, Heélène Vogelsinger a trouvé un autre lieu désaffecté, un bâtiment au milieu des montagnes, pénétré d’une lumière éphémère et inspirante. Elle y a donc enregistré une première session. De là sont nés les Metaphysical alteration qui seront présentées à l’Antipode : des sessions enregistrées dans des lieux abandonnés, filmés caméra à l’épaule, afin de capturer à la fois la musicalité, « la substance » de ce lieu enfoui, mais aussi l’instant. Ainsi ces différentes sessions se sont elles déroulées dans un temps différent, sur différentes saisons, celles-ci influant à leur tour sur l’essence du moment. Et ce détour par le passé qui s’efface, par ce palimpseste qu’on gratte de pierres éventrées, gagnées par la végétation et les graffs, nous plonge de façon totalement inouïe dans le présent et nous connecte à l’instant. Maintenant porte décidément bien son nom.

Les amateurs et amatrices de synthétiseurs analogiques que nous sommes se réjouissent pareillement de découvrir le concert de Maria Teriaeva aux Musée des Beaux Arts dimanche 8 octobre à 17h. L’artiste russe venue de Sibérie utilise en effet un synthétiseur conçu par Don Buchla en 1972, le Music Easel, assez chaotique à apprivoiser selon ses dires, mais lui permettant enfin de développer sa créativité en solo : « utiliser cet instrument était difficile, inhabituel et pourtant naturel » expliquait-elle à la sortie de son second album, Conservatory of Flowers (2020, après Focus en 2017). On l’avait pour notre part découverte avec sa signature du deuxième numéro du podcast Ensemble, concocté par Electroni[k]/Maintenant. Inspirée par ses travaux sur la recherche sonore (sur de nouveaux instruments et modules), Maria Teriaeva compose des plages vibrantes, entre ambient et dream pop. En effet, comme les sonorités chaleureuses de son instrument se mêlent avec harmonie aux instruments à vent ou à cordes, l’artiste n’hésite pas à combiner les sonorités de son synthétiseur à des voix ou des instruments acoustiques. Sur son dernier album en date, la musicienne recentre ses compositions sur le rythme et les éléments percussifs, laissant moins de place aux lentes plages ambientes et retrouve les structures de composition de l’indie pop et du shoegaze qu’elle pratiquait auparavant. Pour autant, l’instrument, les développements restent ancrés dans l’électronique. On ne sait pas encore où aura lieu la performance dans le Musée des Beaux Arts (le patio ? une salle d’exposition ?) mais nul doute qu’une fois encore le dialogue qui devrait se nouer entre le lieu et la performance sera fécond.

Nuit Électronique : danser sur le futur

On finit notre tour d’horizon de la programmation avec la Nuit Électronique qui aura lieu à l’Antipode le samedi 7 octobre à partir de minuit. Une nuit hybride, hors norme, mêlant dj sets, lives, où les espaces modulaires que permet le « nouvel » équipement rennais prendront à nouveau tout leurs sens. Se voulant un reflet des différentes expressions qui traversent et secouent les dancefloors actuels, avec toujours un œil sur le futur en train de s’écrire, cette soirée devrait encore une fois rappeler que la nuit d’abord se partage. On commence avec nos chouchous espagnols de retour à l’Antipode, Dame Area, bombe atomique en puissance qui devrait mettre les danseurs et danseuses sens dessous dessus. Electro, industrielle, post-punk, krautrock, EBM… la musique redoutable du duo barcelonais composé de Silvia Konstance et Viktor L. Crux. Tribal se joue des étiquettes en embrassant tous ces genres avec une jubilation communicative. Le chant habité de Silvia et les sonorités soufflant le chaud et le froid avec la même intensité apportent une personnalité remarquable à leurs titres et sur scène, le duo possédé (il faut voir la musicienne arpenter la scène !) emporte le public dans le sillage d’un ouragan de dinguerie. Pas moins habitée, l’artiste, écrivaine, performeuse et DJ afro-américaine Juliana Huxtable ne reste pas à se la couler douce derrière les platines : ses sets explosifs mené avec une sensibilité intuitive sont une collision des genres et un concassage en règle des frontières musicales. Tout.e aussi énergique mais dans une veine moins frontale, l’icône « underground de la scène club internationale » (on cite) MOESHA 13 (parce que from Marseille) rappe en direct sur ses instrus fusion club et électro, insufflant son énergie communicative à toute une foule. Plus pop (trop ?), la co-fondatrice du label Last Love Records, LEGIT GIRL DJ devrait sans peine parler aux plus jeunes d’entre nous. On passe notre tour mais on est certain.e que d’autres y trouveront amplement leur compte.

On a pour notre part un petit faible pour OD Bongo déjà passé par Maintenant en 2019. Le duo franco-belge formé par Edouard Ribuyo (à la tête du label ThirdTypeTapes et producteur d’une electronica bruitiste et aventureuse) et Amedée De Murcia, vétéran bien connu de la scène électronique avec son projet Somaticae (cœur avec les doigts) et trublion du rock distordu au sein du groupe Balladur, devrait une nouvelle fois nous filer une mandale sonique bien sentie. En marge de la scène dub industrielle, le duo propose en effet un chaos jouissif et improvisé, au milieu du public, et sans aucune concession prenant un malin plaisir à amener les auditeurs dans un état de transe, aidés d’effets visuels stroboscopiques. Un live qui devrait sans peine essorer le dancefloor par son intensité. L’esprit de défrichage de nouvelles contrées électroniques allemande ne sera pas en reste avec un de ses émérites représentant en la personne de Bryan Müller, aka Skee Mask (Ilian Tape) qui se réapproprie, pour les réinventer, les codes d’une techno inspirée par Chain Reactions ou Warp, ciselant ses prods avec une impressionnante finesse et pas moins de créativité. On est aussi très curieux de découvrir Rixes, duo dans lequel on retrouve Bertrand James (TotorRo, La Battue) derrière sa batterie, accompagné de Maël Péneau (Maelstrom) et ses machines. L’idée : faire dialoguer machines et instrument. Pour cela, la batterie se trouve équipée de capteurs, ceux-ci étant utilisés pour déclencher et créer une nouvelle matière sonore que les machines traitent et modulent en direct, en y ajoutant notamment des improvisations aux synthétiseurs et séquenceurs analogiques. Afin de rendre visibles ces interactions entre la machine et la batterie, le duo a missionné Eliza Struthers-Jobin pour créer des visuels qui rendent tangibles « le processus créatif du groupe » . Et ça déboîte !

Alors on le répète, vous comprendrez déjà pourquoi on a tant hâte que Maintenant soit déjà maintenant… On vous y retrouve ?


Le festival Maintenant aura lieu du 5 au 8 octobre 2023 à Rennes.

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