Compte-rendu écrit à 3 mains et SANS bottes par Mr B., Yann et Isa, photographié à 4 mains et SANS poncho par So et Mr B.
Après la folle soirée de vendredi au Fort Saint-Père, on se doutait que la soirée serait un cran en dessous. Mais deux immenses concerts (Foals et The Soft Moon) et deux surprises plus tard (Kiasmos et Spectres), on a le délicieux sentiment que cette 25ème édition est bien partie pour être un très bon millésime. Compte-rendu.
Chaussés de nos bottes, nous pénétrons sur le site en nous rendant compte que les dites bottes ne sont plus indispensables (on ne pensait pas pouvoir écrire ceci un jour). La partie drainée du fort est toujours aussi impeccable, et les mares de boue de la scène des Remparts ont été suffisamment paillées pour passer la soirée (presque) au sec. Précaution indispensable car on se rend rapidement compte que le site sera copieusement piétiné par un nombre croissant de festivaliers. Petit signe qui ne trompe pas, la foule est beaucoup plus dense devant la scène des Remparts pour accueillir l’apéritif sonore du jour.
Sur le papier, Only Real avait tout ce qu’il faut pour réussir une impeccable ouverture de soirée. Avec un premier album sous le bras, Jerk at the End of the Line, ensoleillé, nonchalant et enchainant les petites ritournelles addictives, Niall Galvin a réussi un subtil mélange de pop / hip-hop. Un flow nonchalant sur les couplets, des chœurs aériens sur les refrains, le quatuor enchaine les titres avec une belle fluidité, distillant de ci de là deux trois blagues. Certains spectateurs reprendront même le refrain du tubesque Cadillac Girl en toute fin de concert, ce qui n’est pas une mince performance à cette heure. Rajoutez les petits rayons d’un soleil retrouvé, et vous avez toutes les bonnes raisons de vous retrouver avec un large sourire aux lèvres. Malheureusement, pour celles et ceux qui ont eu la chance d’assister à l’un des meilleurs concerts de la dernière édition, le quatuor souffre difficilement de la comparaison avec Mac DeMarco. Même si Niall cultive également un côté slacker, les deux gars ne boxent pas dans la même catégorie. Pour devenir un branleur hors classe, il faut prendre le risque d’en faire des tonnes, et l’attitude de Niall est un peu trop lisse pour nous convaincre. Musicalement parlant, les similitudes étaient déjà criantes à l’écoute de l’album, entre nonchalance des mélodies et lignes de guitares claires et dissonnantes. Certains titres se démarquent plus clairement, comme le plus sombre Break It Off, mais ce dernier est joué de manière trop légère, nous ramenant une fois de plus à ces similitudes trop appuyées. Et même si les compos sont plutôt bien troussées, le mariage pop/hip-hop est un peu redondant et ne tient pas la longueur en live. Un concert qui a tout de même le mérite de lancer en douceur la soirée, même s’il manque ce petit quelque chose pour faire basculer cet agréable moment dans la colonne inoubliable.
Le Fort se transforme ensuite en dancefloor diurne avec l’arrivée de Kiasmos, duo composé du prolifique islandais Olafur Arnalds (compositeur de bo, collaborateur occasionnel de Nils Frahm, auteur d’album solo mêlant piano, cordes et sons électroniques) et de Janus Rassmussen (originaire des Iles Féroé). Lunettes noires, grands sourires face au soleil et au public, les deux garçons commencent par savamment entremêler samples de cordes, de piano acoustique, nappes électroniques et pulsation techno/deep house pour une entrée en matière douce et élégante (malgré des infra-basses retorses en début de set, vite corrigées ensuite). Derrière leurs machines, les deux nordiques dansent de plaisir avec un hédonisme vite communicatif : sous le soleil, la subtile alliance d’un pied techno four on the floor et d’entrelacs aériens de notes cristallines font mouche et le Fort ondule, souvent les bras en l’air. Il faut dire que les deux zigues jouent des potards, s’amusent de montées et de breaks à faire crier les festivaliers et envoient les basses qui tabassent, toujours contrebalancées par la légèreté éthérée de leurs développements mélodiques (Held). On se laisse vite gagner, notamment par les crépitements rythmiques et les longs développements de Thrown. D’autant que si sur disque, on peinait à être totalement convaincu par la musique, certes plaisante du duo, en live, les deux connaissent leur affaire : leurs compos gagnent en épaisseur et en puissance de frappe. Nappes mélancoliques, basses grasses, irrésistible pulsation techno, les titres alternent accalmies toutes en cordes et piano et grosses déferlantes de basses. Une plaisanterie plus loin (« It’s a song called substitute for Björk« ), le son passe en technicolor et le spectre sonore s’emplit progressivement pour un final particulièrement réussi. Un réjouissante mise en jambes pour la suite.
Nous pensions le prix de la plus belle part de flan du festival serait définitivement attribué aux affreux Ratatat mais les madrilènes d’Hinds vont sérieusement nous faire douter de notre palmarès. Les quatre (très) jeunes demoiselles ont certes de très jolis sourires et semblent sincèrement ravies de jouer pour la première fois devant autant de monde. Hélas, leur enthousiasme ne nous est guère communicatif. La faute à leur surf pop désespérément inoffensive et à une interprétation si approximative que ça en devient risible. ça se voudrait charmant, spontané et décomplexé mais c’est juste banal au possible. Une musique qui suit tellement les chemins archi-rebattus du rock le plus plan plan, que même le soleil et la jeunesse ne peuvent la sauver à nos oreilles.
Moins échevelés mais tellement plus intense, The Soft Moon sont un diamant obscur et brut qu’on craint de voir avant la nuit tombée, de peur que la magie noire du trio ne perde de ses vénéneux attraits. Mais avec un set montant maléfiquement en intensité au fur et à mesure que l’obscurité emplit le Fort, nos âmes entrent irrémédiablement en combustion spontanée. On se prend un Black, massif, direct dans l’estomac, l’oreille asphyxiée de plaisirs coupables. Au centre de la scène, Luis Vasquez, pantin épileptique, criant comme un beau diable, chante le désespoir du monde avec une voix paradoxalement aussi désincarnée qu’habitée et continue de racler jusqu’à l’os un post punk décharné et glacé. Fender jaguar en bandoulière, il convoque en même temps front wave schizophrène, rythmiques décharnées, guitares angulaires, lamentations synthétiques et froide intensité dans une ambiance d’apocalypse inerte et désespérée. La batterie alterne sonorités électroniques et martiales et toms martelés avec fureur (Luis Vasquez épaississant encore les rythmiques en frappant tom ou bongos avec le même désespoir) tandis que le bassiste (ce nouveau line-up tient tout aussi haut la barre) impassible, creuse direct nos entrailles avec un son puissant et compact. La guitare de Luis Vasquez striant ce magma sonore de fulgurances soniques à se pendre (Far, sublime). Comme en 2012, on en ressort l’âme essorée et reconnaissante. Bien sûr, on comprend aisément que la noirceur crasse de la bande à Luis Vasquez ne parle pas à tout le monde (notamment à la moitié Foals-ienne de l’équipe), mais l’intensité magmatique du set nous aura une nouvelle fois mis les sangs et les sens sens dessus dessous. Grand.
La palme du créneau le plus délicat de ce samedi revient sans hésitation à Spectres. Le quatuor de Bristol se retrouve en effet coincé entre le volcan de glace The Soft Moon et les plus qu’attendus Foals. Du coup, leur début de set est assez douloureux. Descente abrupte après la furia de Luis Vasquez, morceaux qui ne décollent pas et voix qui se cherche, on craint un instant de déclarer forfait. Même le t-shirt arborant une Björk toute minaude du chanteur ne parvient pas à nous dérider. Sauf que l’on fera bien de s’accrocher un peu. Après trois ou quatre chansons, le groupe décolle enfin et ne va plus redescendre jusqu’au bout. Les gars collent un sérieux coup accélérateur à leur rock shoegaze nerveux et abrasif et leur set prend alors des allures de grand huit sonique tout à fait réjouissant. Ils enchainent les morceaux de bravoure avec une énergie épatante et se payent même le luxe de nous offrir un énorme ouragan de larsens et de bruit blanc rivalisant largement avec celui pourtant déjà de grande classe de Thurston Moore la veille. Réussir ça sans payer la honte n’est clairement pas le moindre des exploits. Un grand moment de rock bruitiste qui vrille où ça fait bien du mal.
Un petit frisson d’inquiétude traverse l’ensemble du Fort lorsqu’Alban Coutoux, le co-programmateur de la Route du Rock, se pointe sur scène peu après 23 heures. Malgré l’absence de leur bassiste souffrant, Foals souhaite tout de même jouer avec leur backliner. Une décision qui prouve, s’il en était besoin, l’attachement du groupe pour le festival, après deux passages marquants en 2008 et 2010. Et l’accueil du public dès les premières notes du tout nouveau Snake Oil nous rassure pleinement : Foals est clairement attendu comme la tête d’affiche de la soirée, et non comme un remplacement (de luxe) de la diva islandaise. Un premier titre en forme d’échauffement, pas le plus marquant des nouveaux morceaux du futur album prévu pour fin août, mais une parfaite rampe de lancement pour l’impeccable enchainement Balloons / My Number. En conférence de presse, les musiciens nous avaient donné des indices sur le set à venir, un savant mélange des trois premiers albums avec l’inclusion de trois nouvelles compos figurant sur le très attendu What Went Down. On a ainsi pu découvrir l’excellent Mountain At My Gates, petit bijou de composition qui débute en douceur pour finir sur une galopante accélération finale dont le quintet a le secret. Seul petit bémol, l’excellent Total Life Forever est un peu oublié, à la notable exception de l’irrésistible montée de Spanish Sahara. Le public redécouvre avec délectation quelques unes des tueries d’Antidotes et Holy Fire : ça bouge dans tous les sens, ça remue sévèrement dans les premiers rangs, le Fort Saint-Père entre progressivement en ébullition sous les coups de boutoir des deux guitaristes placés sur le devant de la scène.
Le quintet d’Oxford n’a rien perdu de cette frénésie qui donne une irrésistible envie de danser, même si certains réarrangements révèlent un son beaucoup plus lourd. Le tout nouveau What Went Down en est la parfaite illustration, sur lequel le charismatique Yannis Philippakis finit à genoux avant d’escalader les barrières de la fosse pour scander un refrain qui résonne (déjà) comme un classique. Inhaler s’achève dans un cri, sur un riff de guitare furieux, pour finir dans un déluge sonore des plus réjouissants. Visiblement ravis d’être là, le groupe manifeste à plusieurs reprises son amour pour le festival, tout en distillant malicieusement quelques petites piques à l’adresse de Björk. Un set furieusement dansant qui s’achève en beauté avec l’incontournable Two Steps, Twice sur lequel l’intenable frontman multiplie les acrobaties pour être au plus près de la fournaise des premiers rangs. Si l’on doit reconnaitre avoir quelque peu décroché sur Holy Fire, on est clairement impatient de découvrir l’intégralité du tout nouvel album. Foals n’a rien perdu de la puissance de feu qui se dégage sur scène à chacune de leurs apparitions. Et on ne les remerciera jamais assez (eux et l’association Rock Tympans) d’avoir su relever le délicat challenge du remplacement de dernière minute.
Les djs des Magnetic Friends nous propulsent alors avec une impeccable sélection hip hop et électro (mention spéciale pour le facétieux Isobel islandais remixé -accueilli par autant de majeurs dressés que de bras en l’air-) jusqu’au set d’électro racée de Daniel Avery. Et vu que le garçon s’y connaît pour allier antiques lignes aciiiiid, beats non écrémés qui restent sur les hanches et basses efficaces à l’énergie primaire, nos pieds martèlent la paille sans discontinuer. La techno plutôt classe et puissante du dj résident de la Fabric londonienne se révèle néanmoins un tantinet moins variée (festival oblige ?) que son dernier mix sur Rinse Fm, mais le bonhomme fait preuve d’une redoutable efficience. Payant cash notre trop longue veille de la nuit précédente, on rend cependant les armes à regrets avant Lindstrøm.
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La Route du Rock Collection Eté 2015 du jeudi 13 août au dimanche 16 août.
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