La onzième édition du Binic Folks Blues Festival avait lieu du 26 au 28 juillet 2019. Le festival a de nouveau brillamment confirmé son succès populaire et son ambiance tout particulièrement attachante. La foisonnante et généreuse programmation de cette année était remplie de très belles promesses et nous nous y sommes concoctés un dimanche sur mesure. Retour sur un parcours sans fausse note.
Avec maintenant quelques années au compteur, notre petit rituel binicais commence à être bien rodé. A défaut de pouvoir enchainer les trois journées, nous avons stratégiquement choisi de nous y rendre lors de l’ultime date. La présence de Sleaford Mods ce soir là n’y est sûrement pas pour rien mais c’est aussi le jour où la foule est traditionnellement la moins dense. L’impression tenace d’arriver après la bataille qui nous frappe dès notre arrivée vient confirmer notre choix tactique. L’édition 2019 a en effet largement fait le plein en accueillant 70 000 festivaliers, dont la moitié sur la seule journée du samedi. Pour notre part, nous savourons la relative tranquillité dominicale. Le public est toujours bien dense et toujours aussi bigarré mais la circulation reste agréablement fluide. Nous retrouvons avec grand plaisir ce mélange joyeux et foutraque de rockers, de familles, de passionnés ou de simples curieux de tous âges. Le site est également toujours aussi généreusement agencé. Les trois scènes sont disposées à cinq minutes de marche les unes des autres. Une première (scène Pomellec) un peu excentrée est placée proche des parkings. Une plus petite (scène Cloche) est située sur le port près du petit centre ville. Enfin, la dernière (scène Banche) trône royalement sur l’esplanade longeant la plage. C’est de nouveau un vrai bonheur de festivalier de retrouver l’endroit. Au chapitre des petits aménagements de l’année, on note un nombre accru de toilettes et une présence plus visible des très nombreux bénévoles.
Pour démarrer la journée sur les chapeaux de roue, nous virons vers la Banche pour y assister au concert de Shifting Sands. Dans nos souvenirs les plus marquants du BFBF, les prestations à la fois explosives et touchantes des différents groupes des deux frangins Corbett (Geoff et Ben) figurent en bonne place. Geoff Corbett, le plus barbu des deux, revenait trainer ses guêtres à Binic avec son projet Shifting Sands. On retrouve avec un plaisir immédiat la dégaine bourrue, la voix de cendre et le jeu de scène incandescent de l’australien. Il est accompagné sur scène d’Isabella Mellor (voix et clavier), de Dan Baebler (guitare électrique), de Pete Townson (Guitare acoustique) et de Nick Naughton (à la batterie). On craint un moment que le folk blues tendrement douloureux de leur excellent second album Crystal Cuts ne s’accorde pas très bien avec le soleil de cette fin d’après-midi mais la sombre magie du bonhomme va rapidement opérer. Comme lors de ses concerts précédents, Geoff Corbett interprète ses chansons avec une intensité et une frontalité désarmante. Sa totale implication et le délicieux contrepoint avec la voix lumineuse d’Isabella Mellor donnent à ses histoires de poisse abyssales et d’amours tragiquement bancales une force peu commune. Devant un public conquis, la bande livre un set envoutant de bout en bout. On ne pouvait rêver mieux comme entrée en matière.
Pas de temps à perdre puisqu’une autre de nos grandes attentes de cette édition joue à la suite sur la petite scène de la la Cloche. L’écoute de l’album Modern Convenience du trio australien Mod Con, sorti en avril 2018 chez Poison City, nous a suffisamment émoustillé pour que nous piaffions d’impatience de voir comment le combo défend ses compositions post-punk alambiquées et nerveuses sur scène. De nouveau, nous n’allons pas être déçus. Erica Dunn (chant et guitare), Sara Retallick (basse) et Raquel Solier (batterie) nous font d’entrée de jeu une très forte impression. Le trio enchaine sans temps mort et avec une belle énergie un rock élégant et fougueux. Il y a quelque chose de très classique dans leur musique mais avec juste ce qu’il faut d’esprit tortueux et incisif pour que le tout soit totalement irrésistible. Le duo rythmique est de plus tout simplement le plus impressionnant que nous verrons du week-end. L’incroyable Raquel Solier derrière les futs nous offre une épatante démonstration de puissance et de finesse et la basse redoutablement chaloupée de Sara Retallick n’est pas en reste. Sur cette redoutable base, le chant tout en rage malicieuse et le jeu de guitare enlevé d’Erica Dunn font merveille. Le set des trois filles passe donc comme l’éclair sans que l’intensité ne baisse à aucun moment et nous sortons de là ravis d’une si brillante confirmation de la classe du groupe.
Nous avons donc largement le sourire aux lèvres quand nous revenons vers la scène de la Banche pour revoir nos chouchous locaux de Dewaere. Rien que l’excellence du choix de leur patronyme mériterait qu’on s’y attarde une seconde mais le combo a bien d’autres atouts. Le rock vif et furibard de ces gars de Saint Brieuc est en effet une des plus belles surprises de la fin d’année dernière. Leur premier album Slot Logic sorti en décembre 2018 chez Bigoût Records et Phantom Records est un immense bonheur de rock incisif et urgent. Les dix titres ciselés et vivifiants de cette superbe galette sont une éclatante démonstration de la capacité de la bande à décocher sans reprendre sa respiration d’épatantes bombinettes entre noise et punk rock. Quelque part entre la furieuse fébrilité de la vague noise punk britannique actuelle (Idles, Blackilisters, USA Nails…) et une certaine tradition de rock vénère bien frenchy (Thugs en tête). Le quatuor nous avait fait une brillante prestation live en mars dernier au Marquis de Sade sur Rennes et nous étions donc très heureux de les revoir sur une scène plus imposante face à un public plus large.
Nous n’avions aucun doute sur leur capacité à encore monter en puissance mais cela ne va pas rendre moins jouissive leur explosive démonstration de force. Le son abrasif et ultra puissant de leurs compositions nous choppe dès le premier riff par le colbac et ne va plus nous lâcher. On ploie sous les coups de boutoirs de chaque frappe atomique du batteur Hugues Le Corre. On tangue au fil des lignes de basse volcaniques de Marc Aumont (qui semble s’être inscrit récemment dans un Fight Club à la vue des seyants bandages lui barrant le visage). On chavire sous les riffs irrésistibles de Julien Henry. Rajoutez à ça la grandiloquence et le chant chargé d’une fougue aliénée de l’australien d’origine Maxwell James Farrington et vous obtenez rien de moins que le meilleur concert que nous ayons pu apprécier de la journée. Vu le niveau global de ce dimanche, ce n’est pas peu dire.
Le temps d’une petite pause repas avec comme revigorant dessert une bonne rasade du punk baroque de Burn In Hell et nous nous préparons au concert le plus généralement attendu de ce week-end. Une fois n’est pas coutume, le Binic Folks Blues Festival s’est en effet offert une tête d’affiche avec la présence du duo anglais Sleaford Mods. De façon assez inhabituelle pour l’événement, il règne donc une ambiance fébrilement électrique dans la foule compacte qui s’amasse très tôt devant la scène de la Banche.
Pas de surprise côté dispositif scénique : le trapu Jason Williamson agrippe avec la fermeté qu’on lui connait son pied de micro pendant que la tringle Andrew Fearn (arborant cette fois un superbe T-shirt Minor Threat !) se plante derrière son ordinateur perché sur l’immuable tour de caisse de pinard en plastique, bière à la main. D’une pression sur le clavier, il lance la déferlante.
On retrouve immédiatement tout ce qui nous plaît dans le duo : un débit mitraillette allié à un accent nasillard à couper à la tronçonneuse et des beats ciselés, grinçants et secs comme des coups de trique. Le contraste saisissant entre la folle énergie dégagée par le frontman et le flegme goguenard de son comparse fonctionne toujours autant. Alors que le premier postillonne sa rage avec la véhémence d’un seize tonnes lâché sans frein dans une descente, le second se contente de dodeliner en répétant les punchlines acérées de son comparse tout en répandant consciencieusement sa binouze au pied de son laptop.
La première partie du set fait la part belle à Eton Alive, leur dernière galette. Le son plus rond et plus facétieux de ce dernier opus n’enlève rien à la puissance électrifiante du duo. Le public binicais leur réserve fort logiquement un accueil plus que triomphal et la partie centrale de la foule s’embrase instantanément dans un joyeux chaos. En vieux renards des pogos, nous nous sommes stratégiquement décalés sur le côté pour éviter coups et douches houblonnées tout en profitant du concert au premier rang. Williamson se révélera ce soir là moins bavard et cabot entre les morceaux que précédemment. Vu l’intensité qu’il va apporter vocalement et physiquement à chacun des titres de la soirée on ne se sentira absolument pas floué. On retrouve bien sûr quelques « classiques » comme TCR, Jolly Fucker ou l’imparable Jobseeker. L’ambiance est si survoltée que le duo va intelligemment décider de (très relativement) mettre la pédale douce sur les beats ravageurs sans que cela ne nuise nullement à l’ambiance de feu qui règne alors.
On ressort de là heureux, d’abord d’avoir pu partager avec un public aussi généreux que varié ce nouveau merveilleux moment de rage pure et d’humour ravageur si nécessaire à notre sale époque, mais également d’avoir constater de visu que le duo n’a absolument rien perdu de son mordant et de sa folle présence scénique.
Après ça, il nous reste encore un peu d’énergie pour nous offrir un détour par la scène de la Cloche voir Listener. On retrouve avec grand plaisir le rock puissant et émotionnel brodé par le chanteur-bassiste Dan Smith, le guitariste Jon Terrey et le batteur Kris Rochelle. Avec une prestation toute en intensité féline, la bande nous offre la conclusion parfaite à une journée qui n’aura décidément pas faibli un seul instant.
Après ce parcours musicalement royal de bout en bout, nous repartons donc une fois de plus complétement conquis. Ce qui est amusant de constater, c’est que nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir pris claque sur claque sur le week-end mais que chacun de ceux que nous ayons pu lire a pris un chemin largement différent dans la folle sélection de ces trois jours. Bravo donc une fois de plus à l’association La Nef D Fous et à ses joyeuses cohortes d’inflexibles bénévoles pour l’impeccable organisation de cet incroyable événement, totalement gratuit rappelons le. Longue vie à eux et à ce festival qui a su effectuer sa mue vers un public plus large tout en conservant son joyeux mélange de public, sa cohérence artistique et son esprit sévèrement rock.
Et donc vous avez raté Draught Dodgers, juste après Shifting Sands, LA grosse claque de cette année! Dommage!
Ben ouais, et en plus nous les avions bien mis dans nos concerts immanquables. Gros regrets en tout cas.